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MÉLANGES

FÈTES DE BRUXELLES

XXV ANNIVERSAIRE DU COURONNEMENT DU ROI DES BELGES.

La lettre suivante, destinée à paraitre dans la livraison du mois d'août, n'a pu être insérée par suite de circonstances indépendantes de la volonté de l'auteur. Malgré ce retard, nous pensons que nos lecteurs ne verront pas sans intérêt ce compte rendu des fêtes nationales dont Bruxelles a été le théâtre au mois de juillet dernier, et sur lesquelles les journaux français, à l'exception de la Presse et de l'Illustration, ont gardé le plus complet et le plus inexplicable silence.

MONSIEUR LE RÉDACTEUR,

Août 1856.

J'arrive de Belgique, je viens d'assister aux fêtes de Bruxelles, et je suis encore, en vous écrivant, sous l'impression de cet admirable spectacle. C'était une de ces solennités qui laissent d'ineffaçables souvenirs. En assistant à ces pompes nationales, en recueillant dans les acclamations de la foule l'expression de l'enthousiasme universel, on sentait que ce n'était ni la fête d'un homme ni la fête d'un parti: c'était la fête d'un peuple entier, le jubilé du trône et de la liberté!

Il y a vingt-cinq ans, la Belgique venait de renaître à l'indépendance; elle avait, dans une lutte héroïque, défendu contre une domination étrangère ses libertés, sa foi, sa nationalité. Le Congrès, appelé à consacrer le triomphe populaire en fondant des institutions durables, avait rempli sa patriotique mission. La révolution, loin de rompre avec le passé, avait été un retour aux vieilles traditions du pays; il avait suffi de ressusciter les antiques franchises de ses provinces pour lui donner la constitution la plus libérale de l'Europe. Un chef manquait encore pour assurer l'œuvre nouvelle la fortune de la Belgique lui fit trouver dans la patrie même du gouvernement constitutionnel un prince que sa haute raison, son esprit conciliant et ferme, son respect pour la parole donnée, rendaient digne de présider aux destinées d'un peuple libre.

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Depuis le jour où Léopold de Saxe-Cobourg jura d'observer les lois du

pays il s'est écoulé un quart de siècle, longue période en des temps agités comme les nôtres. La Belgique, déjouant les prédictions de M. de Talleyrand et de la vieille diplomatie, a conquis sa place parmi les États européens forte de ses admirables institutions et du caractère profondément religieux de ses habitants, elle a vu près d'elle, sans les redouter, les tristes alternatives de la démagogie et du despotisme. Alors que s'ébranlaient tous les trônes, elle s'est plus étroitement unie à sa jeune royauté; plus tard, elle a su demeurer libre lorsque de toutes parts la liberté semblait proscrite. Tels étaient les souvenirs qu'elle rappelait avec un légitime orgueil en célébrant le vingt-cinquième anniversaire de sa constitution et de sa dynastie. En même temps elle rendait grâces à Dieu de sa prospérité présente, et, conviant toutes les nations à saluer avec elle les espérances de son avenir, elle montrait, que si des jours mauvais venaient à se lever pour elle, elle saurait défendre son indépendance comme elle a su la conquérir.

Toute la Belgique avait voulu s'associer à cette fête nationale. Une foule innombrable venue des différentes provinces remplissait les places et les rues de la capitale. A chaque heure du jour le chemin de fer amenait des populations tout entières; la nuit même des milliers de voyageurs à pied couvraient les routes voisines pour se dérober à la chaleur du jour. Il serait trop long de vous décrire l'aspect de Bruxelles durant ces trois jours, les maisons pavoisées, les décorations des édifices publics et des hôtels particuliers, les arcs de triomphe, les trophées, les fontaines jaillissantes offraient de tous côtés un merveilleux coup d'œil. Mais je laisse de côté ces détails; ce sont de ces magnificences que peuvent étaler dans leurs fêtes publiques tous les gouvernements quels qu'ils soient j'ai hâte d'arriver à ce qui donnait à cette solennité un caractère unique de simplicité et de grandeur.

Le 21 juillet, à midi, le canon tonna le roi partait de Laeken; il suivait, pour se rendre à Bruxelles, la route qu'il avait parcourue il y a vingt-cinq ans, au jour de sa joyeuse entrée. Mais cette fois il ne s'avançait plus seul, au lendemain d'une lutte sanglante, en face d'un avenir sombre et incertain. Les acclamations qui, sur un parcours d'une lieue et demie environ, accueillaient partout son passage, ne saluaient plus seulement des promesses et des espérances; elles attestaient la sécurité rendue, la paix assurée, les progrès accomplis, les libertés respectées; le peuple voyait autour de son roi une famille auguste et chérie, des princes, espoir de la nation et de la dynastie, prêts à continuer l'œuvre commencée et dignes de la poursuivre.

Toutefois une pensée de deuil se mêlait à l'allégresse universelle. Dans les rangs de cette royale famille une place demeurait vide: on se souvenait de cette reine si prématurément enlevée, de cette noble fille de la maison de France, qui s'était associée à toutes les joies et à toutes les tristesses de sa patrie d'adoption, et dont la dépouille inanimée repose dans l'humble cha-. pelle de Laeken. On avait voulu qu'au milieu des arcs de triomphe un monument funèbre fût consacré à cette douce et sainte mémoire : les lis de France s'y mêlaient aux lions de la Belgique; au sommet, le peintre avait représenté Louise-Marie priant pour sa famille et pour son peuple. La foule s'arrêtait, respectueuse et recueillie, et des fleurs pieusement déposées au pied du mausolée rappelaient les bienfaits de la reine et la reconnaissance publique.

A la place Royale le roi s'arrêta: sur les degrés de l'église Saint-Jacques, où il avait autrefois prêté serment, il retrouvait les membres survivants du Congrès, ses témoins devant Dieu et le pays. C'était une imposante rencontre. Tous les regards étaient attentifs, tous les cœurs étaient émus; le passé semblait revivre avec ses plus glorieux souvenirs. « C'est l'air de 1830 qu'on respire, » disait un ancien membre du gouvernement provisoire. Un homme aux vertus chrétiennes et au caractère antique, le président du Congrès, M. le baron de Gerlache, se fit en d'éloquentes paroles l'interprète du sentiment de tous; il rappela le royal serment si religieusement observé; il redit ce qu'avait été pour la Belgique ce règne de vingt-cinq années; en face d'hommes qui, dans le danger commun, avaient noblement oublié leurs divisions, il fit appel aux idées de concorde et d'union qui devaient dominer cet anniversaire. Je ne puis résister au désir de vous donner dans toute son étendue le texte de cet discours, qui mérite une place dans l'histoire de notre temps:

« Sire, il y a vingt-cinq ans qu'à cette même place, en ce même jour, le Congrés belge reçut, au nom de la nation, le serment de Votre Majesté « d'observer la Constitution et les lois du peuple belge, et de maintenir l'indépendance nationale. » Les mêmes hommes qui furent alors témoins de ce solennel engagement viennent affirmer aujourd'hui, à la face du ciel, que Votre Majesté a rempli toutes ses promesses et dépassé toutes nos espérances.

Et la nation tout entière, sire, vient l'affirmer avec nous; elle vient attester que pendant ce règne de vingt-cinq ans son roi n'a ni violé ni une seule de ses lois, ni porté atteinte à une seule de ses libertés, ni donné cause légitime de plainte à un seul de nos concitoyens! Ici tous les dissentiments disparaissent; ici nous sommes tous d'accord; nous n'avons tous qu'un même cœur pour associer dans un commun amour et notre roi et notre patrie!

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<«< Au milieu des commotions qui ont ébranlé tant de gouvernements, la Belgique est demeurée fidèlement attachée à son prince et aux institutions qu'elle s'est données. Cette sorte de phénomène, rare dans notre siècle, ne peut s'expliquer que par l'heureux accord du roi et du peuple, cimenté par leur mutuel respect pour la foi jurée et pour la Constitution nationale. Une Constitution qui suffit à un peuple avide de liberté, et qui l'aime assez pour la supporter avec ses inévitables inconvénients; un peuple sensé, reli gieux et moral, qui se souvient de son passé, qui ne demande qu'à vivre er repos sous la protection de ses lois; un prince si sage, si habile, si conciliant, qu'au milieu d'opinions divergentes il a su conquérir l'estime et le respect de tous, en Belgique et à l'étranger: tel a été, sire, le concours de circonstances vraiment providentielles qui a maintenu et consolidé ce nouvel État, qui l'a rendu paisible, prospère et, nous osons l'espérer (c'est notre dernier vou), stable à tout jamais....

« Sire, l'histoire un jour, après avoir rappelé nos vieilles gloires nationales, aura quelques belles pages à consacrer à la fondation de ce royaume et au règne de Léopold I", règne d'autant plus fertile en enseignements, que Dieu, tout en protégeant visiblement la Belgique, ne lui a pas épargné les jours d'épreuve.

« C'est à l'histoire à remémorer ce qu'il ne nous est pas même permis d'indiquer ici; c'est à elle à dire cet élan des esprits dans toutes les carrières, dans les sciences, dans les arts, dans les lettres, et le rapide développement de l'industrie, qui a pour ainsi dire transformé cette nation, rendue à ellemême depuis à peine un quart de siècle.

«Sire, les membres du Congrès national sont profondément émus et touchés du sentiment délicat et bienveillant qui ramène à cette même place, où nous la reçûmes jadis, Votre Majesté, au milieu de cette vieille phalange de patriotes ardents, dévoués, courageux, qui ont posé les premiers fondements de notre édifice social, qui ont fait la Belgique que nous voyons, constitué les assemblées et organisé les pouvoirs qui la gouvernent.

« Votre présence ici, sire, nous rappelle le souvenir de cette grande journée de juillet de 1831, qu'aucune démonstration ne saurait rendre, où les cœurs, ivres de joie et d'espérance, saluaient en Léopold Ier l'aurore d'une Belgique nouvelle se réveillant enfin après deux siècles d'un long sommeil sous la domination de l'étranger.

« Les mêmes acclamations l'attendent aujourd'hui dans chacune de nos villes ; car l'idée de cette fête est toute populaire. Oui, sire, c'est la voix du peuple qui sent le besoin d'exprimer sa gratitude à celui qui, après Dieu, à le plus contribué à le rendre heureux!

« Il ne nous reste maintenant, sire, qu'à remercier le ciel au nom de la patrie, en lui demandant de prolonger bien longtemps encore les jours précieux et le règne glorieux de Votre Majesté pour affermir de plus en plus l'avenir de notre pays, pour servir de conseil, d'exemple et de guide à ces jeunes princes, véritables enfants de la Belgique, qui sont appelés à continuer un jour les sages et nobles traditions du beau règne de Léopold I“. »

A la place Royale s'achevait la cérémonie commémorative de la joyeuse entrée du roi. Cependant tout n'était pas fini: la religion, qui se mêle aux plus belles pages de l'histoire de la Belgique, vient aussi consacrer toutes ses fêtes. Une cérémonie religieuse devait couronner la solennité patriotique. On avait choisi pour la célébrer une place vaste et découverte, située au centre du quartier nouveau auquel Léopold a donné son nom, et qui semble une seconde ville ajoutée à l'antique enceinte de la cité.

Au fond de la place Saint-Joseph, de riches tribunes disposées des deux côtés de l'estrade royale devaient recevoir le Congrès, les Chambres, les délégués de la garde civique et de l'armée, les représentants de la magistrature et des conseils provinciaux et communaux. Parmi les députations qui venaient y prendre place on remarquait la phalange décimée des combattants de septembre 1830, et d'énergiques acclamations saluaient le vieux drapeau noirci et déchiré qui fut arboré le premier dans les luttes de l'indépendance. A droite s'élevait un autel d'une majestueuse simplicité; à gauche, sur une estrade adossée à l'église des PP. Rédemptoristes, se trouvaient réunis six cents prêtres revêtus de leurs surplis et ayant à leur tête les évêques et le cardinal-archevêque de Malines, en ornements pontificaux. Etranger aux divisions des partis, le clergé n'en devait pas moins prendre sa part des joies de la patrie. Plus que personne il était en droit de ́s'associer aux souvenirs de cet anniversaire, et les applaudissements qui partirent de ses rangs à

l'arrivée des membres du Congrès attestaient assez ses sympathies pour ces vétérans de la liberté et son inaltérable attachement pour la Constitution qui fut leur œuvre. L'Église de Belgique n'a pas oublié que son affranchissement date de 1830. Les catholiques étaient au premier rang parmi les soldats de l'indépendance; leurs chefs siégeaient au gouvernement provisoire et au Congrès; beaucoup d'entre eux allèrent, sous la blouse du volontaire, présenter leur poitrine aux balles de l'étranger et tombèrent, comme Frédéric de Mérode, martyrs de la cause nationale. Ces traditions sont encore vivantes parmi eux; ils savent que les grands principes qui forment la base du droit public de la Belgique sont leur sauvegarde et leur avenir, et les institutions libres qu'ils ont contribué à fonder trouveraient parmi eux, s'il en était besoin, leurs plus fermes défenseurs. Ce sentiment frappa tous les esprits, lorsque après la présentation des adresses des Chambres et la réponse du roi' le clergé se rendit à l'autel. On vit avec une émotion profonde s'avancer le cortége sacerdotal et ces pontifes agenouillés offrir leurs prières les plus ferventes pour un roi protestant, gardien fidèle des libertés de l'Église. Un chœur de douze cents voix entonna le Te Deum. L'hymne d'actions de grâces, si majestueux sous les voûtes de nos cathédrales, s'élevait plus imposant encore sous le dôme du ciel, en présence de la nation assemblée. Tous les fronts s'inclinaient, tous les cœurs s'unissaient dans une même pensée de reconnaissance et d'amour. C'était la prière d'un peuple qui montait à Dieu. La religion seule a le secret de ces pompes qui domptent les âmes les plus rebelles. Nul ne put rester insensible quand, se tournant vers la foule silencieuse et recueillie, le cardinal-archevêque appela les bénédictions du ciel sur le prince et sur le pays. C'était un de ces grands et magnifiques spectacles qu'aucune parole ne saurait rendre. L'avenir se levait radieux et plein d'espérances: l'Église bénissait un peuple libre et un roi honnête homme.

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Alors éclata en acclamations mille fois répétées l'enthousiasme un instant contenu des cris et des applaudissements retentirent de toutes parts, tandis que les troupes et les députations défilaient au pied du trône, aux sons de la Brabançonne et des airs des différentes provinces jamais manifestation semblable n'accueillit la présence d'un souverain. Mais cet enthousiasme fut à son comble lorsque, descendant du trône avec toute sa famille, le roi s'avança vers la tribune du clergé, et s'approcha du cardinal et des évêques pour les remercier de leur concours à la solennité nationale : les cris de Vive le roi! qui se firent entendre de toutes parts attestèrent que cette démarche avait noblement répondu au sentiment universel.

Il serait trop long d'insister sur tous les détails de ces fêtes : je ne vous dirai donc rien du banquet offert au roi par les Chambres, du spectacle et du concert gala donnés au théâtre de la Monnaie, des illuminations, du feu d'artifice, des fêtes musicales qui se succédaient sans relâche sur tous les points de la ville je laisse de côté la revue du 22, pendant laquelle une pluie torrentielle n'arrêta pas un seul instant l'élan de l'enthousiasme populaire. Mais

'L'Adresse du Sénat fut présentée par le prince de Ligne, qui préside ce corps; celle de la Chambre des représentants, présentée par son président, M. Delehaye, était l'œuvre de M. Dechamps, ancien ministre, l'orateur le plus éloquent de la Belgique.

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