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Mais, la rencontrant loin du monde,
Un fou qui croit au lendemain
L'épouse; elle devient féconde
Pour le bonheur du genre humain.

J'ai vu Saint-Simon le prophète,
Riche d'abord, puis endetté,
Qui des fondements jusqu'au faîte
Refaisait la sociéte.

Plein de son œuvre commencée,
Vieux, pour elle il tendait la main,
Sûr qu'il embrassait la pensée
Qui doit sauver le genre humain.

Fourier nous dit: Sors de la fange,
Peuple en proie aux déceptions.
Travaille, groupé par phalange,
Dans un cercle d'attractions.
La terre, après tant de désastres,
Forme avec le ciel un hymen,
Et la loi qui régit les astres
Donne la paix au genre humain !

Enfantin affranchit la femme,
L'appelle à partager nos droits.
Fi! dites-vous; sous l'épigramme
Ces fous rêveurs tombent tous trois.
Messieurs, lorsqu'en vain notre sphère
Du bonheur cherche le chemin,
Honneur au fou qui ferait faire
Un rêve heureux au genre humain !

Qui découvrit un nouveau monde ?
Un fou qu'on raillait en tout lieu.

Sur la croix que son sang inonde
Un fou qui meurt nous lègue un Dieu.
Si demain, oubliant d'éclore,

Le jour manquait, eh bien! demain
Quelque fou trouverait encore
Un flambeau pour le genre humain.

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MILLEVOYE

LA CHUTE DES FEUILLES ·

DE la dépouille de nos bois

L'automne avait jonché la terre;

Le bocage était sans mystère,
Le rossignol était sans voix.
Triste et mourant à son aurore
Un jeune malade, à pas lents,
Parcourait une fois encore

Le bois cher à ses premiers ans.

Bois que j'aime, adieu! je succombe:
Votre deuil me prédit mon sort,

Et dans chaque feuille qui tombe
Je lis un présage de mort!

Fatal oracle d'Épidaure,

Tu m'as dit: Les feuilles des bois
A tes yeux jauniront encore,
Et c'est pour la dernière fois.
La nuit du trépas t'environne;
Plus pâle que la pâle automne,
Tu t'inclines vers le tombeau.
Ta jeunesse sera flétrie
Avant l'herbe de la prairie,

Avant le pampre du coteau.'

Et je meurs ! De sa froide haleine
Un vent funeste m'a touché,

Et mon hiver s'est approché

Quand mon printemps s'écoule à peine.
Arbuste en un seul jour détruit,
Quelques fleurs faisaient ma parure;
Mais ma languissante verdure
Ne laisse après elle aucun fruit.
Tombe, tombe, feuille éphémère,
Voile aux yeux ce triste chemin,
Cache au désespoir de ma mère
La place où je serai demain !
Mais vers la solitaire allée
Si mon amante désolée

Venait pleurer quand le jour fuit,
Éveille
par un léger bruit

Mon ombre un moment consolée."

Il dit, s'éloigne... et sans retour!
La dernière feuille qui tombe
A signalé son dernier jour.

Sous le chêne on creusa sa tombe.
Mais son amante ne vint pas
Visiter la pierre isolée ;

Et le pâtre de la vallée

Troubla seul du bruit de ses pas

Le silence du mausolée.

MADAME DESBORDES-VALMORE

S'IL L'AVAIT SU

S'IL avait su quelle âme il a blessée,

Larmes du cœur, s'il avait pu vous voir, Ah! si ce cœur, trop plein de sa pensée, De l'exprimer eût gardé le pouvoir, Changer ainsi n'eût pas été possible; Fier de nourrir l'espoir qu'il a déçu, A tant d'amour il eût été sensible, S'il l'avait su.

S'il avait su tout ce qu'on peut attendre
D'une âme simple, ardente et sans détour,
Il eût voulu la mienne pour l'entendre.
Comme il l'inspire, il eût connu l'amour.
Mes yeux baissés recélaient cette flamme;
Dans leur pudeur n'a-t-il rien aperçu ?
Un tel secret valait toute son âme,
S'il l'avait su.

Si j'avais su, moi-même, à quel empire
On s'abandonne en regardant ses yeux,
Sans le chercher comme l'air qu'on respire
J'aurais porté mes jours sous d'autres cieux.
Il est trop tard pour renouer ma vie;
Ma vie était un doux espoir déçu:
Diras-tu pas, toi qui me l'as ravie,
Si j'avais su?

LES ROSES DE SAADI

'AI voulu ce matin te rapporter des roses;

J'AI

Mais j'en avais tant pris dans mes ceintures closes Que les nœuds trop serrés n'ont pu les contenir.

Les nœuds ont éclaté. Les roses, envolées
Dans le vent, à la mer s'en sont toutes allées.
Elles ont suivi l'eau pour ne plus revenir.

La vague en a paru rouge et comme enflammée. Ce soir, ma robe encore en est tout embaumée... Respires-en sur moi l'odorant souvenir !

LE PREMIER AMOUR

VOUS souvient-il de cette jeune amie,

Au regard tendre, au maintien sage et doux?

A peine, hélas! au printemps de sa vie,
Son cœur sentit qu'il était fait pour vous.

Point de serment, point de vaine promesse ⚫
Si jeune encore, on ne les connaît pas;
Son âme pure aimait avec ivresse,

Et se livrait sans honte et sans combats.

Elle a perdu son idole chérie ;

Bonheur si doux a duré moins qu'un jour!
Elle n'est plus au printemps de sa vie :
Elle est encore à son premier amour.

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