Page images
PDF
EPUB

QUAND

ROMANCE

UAND vous me montrez une rose
Qui s'épanouit sous l'azur,
Pourquoi suis-je alors plus morose?
Quand vous me montrez une rose,
C'est que je pense à son front pur.

Quand vous me montrez une étoile,
Pourquoi les pleurs, comme un brouillard,
Sur mes yeux jettent-ils leur voile ?
Quand vous me montrez une étoile,
C'est que je pense à son regard.

Quand vous me montrez l'hirondelle
Qui part jusqu'au prochain avril,
Pourquoi mon âme se meurt-elle ?
Quand vous me montrez l'hirondelle,
C'est que je pense à mon exil.

LIED

ROUGISSANTE et tête baissée,

Je la vois me sourire encor.
Pour le doigt de ma fiancée
Qu'on me fasse un bel anneau d'or!
Elle part, mais bonne et fidèle;
Je vais l'attendre en m'affligeant.

Pour garder ce qui me vient d'elle,
Qu'on me fasse un coffret d'argent !

J'ai sur le cœur un poids énorme;
L'exil est trop dur et trop long.

– Pour que je me repose et dorme, Qu'on me fasse un cercueil de plomb!

DANS

ÉTOILES FILANTES

ANS les nuits d'automne, errant par la ville,
Je regarde au ciel avec mon désir,

Car si, dans le temps qu'une étoile file,
On forme un souhait, il doit s'accomplir.

Enfant, mes souhaits sont toujours les mêmes:
Quand un astre tombe, alors, plein d'émoi,
Je fais de grands vœux afin que tu m'aimes
Et qu'en ton exil tu penses à moi.

A cette chimère, hélas ! je veux croire,
N'ayant que cela pour me consoler.

Mais voici l'hiver, la nuit devient noire,
Et je ne vois plus d'étoiles filer.

A UN ÉLÉGIAQUE

[EUNE homme, qui me viens lire tes plaintes vaines,

JEU

Garde-toi bien d'un mal dont je me suis guéri.

Jadis j'ai, comme toi, du plus pur de mes veines
Tiré des pleurs de sang, et le monde en a ri.

Du courage! La plainte est ridicule et lâche.
Comme l'enfant de Sparte ayant sous ses habits
Un renard furieux qui le mord sans relâche,
Ne laisse plus rien voir de tes tourments subis.

On fut cruel pour toi. Sois indulgent et juste.
Rends le bien pour le mal, c'est le vrai talion,
Mais, t'étant bien bardé le cœur d'orgueil robuste,
Va! calme comme un sage et seul comme un lion.

Quand même, dans ton sein, les chagrins, noirs reptiles, Se tordraient, cache bien au public désœuvré

Que tu gardes en toi des trésors inutiles

Comme des lingots d'or sur un vaisseau sombré.

Sois impassible ainsi qu'un soldat sous les armes;
Et lorsque la douleur dressera tes cheveux
Et qu'aux yeux, malgré toi, te monteront des larmes,
N'en conviens pas, enfant, et dis que c'est nerveux!

JOSÉ-MARIA DE HEREDIA

ANTOINE ET CLÉOPÂTRE

1. LE CYDNUS.

SOUS l'azur triomphal, au soleil qui flamboie,

La trirème d'argent blanchit le fleuve noir,

Et son sillage y laisse un parfum d'encensoir
Avec des chants de flûte et des frissons de soie.

A la proue éclatante où l'épervier s'éploie,

Hors de son dais royal se penchant pour mieux voir, Cléopâtre, debout dans la splendeur du soir,

Semble un grand oiseau d'or qui guette au loin sa proie.

Voici Tarse où l'attend le guerrier désarmé;

Et la brune Lagide ouvre dans l'air charmé

Ses bras d'ambre où la pourpre a mis des reflets roses;

Et ses yeux n'ont pas vu, présages de son sort,
Auprès d'elle, effeuillant sur l'eau sombre des roses,
Les deux Enfants divins, le Désir et la Mort.

II. SOIR DE BATAILLE.

Le choc avait été très rude.

Les tribuns

Et les centurions, ralliant les cohortes,

Humaient encor, dans l'air où vibraient leurs voix fortes, La chaleur du carnage et ses âcres parfums.

D'un œil morne, comptant leurs compagnons défunts, Les soldats regardaient, comme des feuilles mortes, Tourbillonner au loin les archers de Phraortes;

Et la sueur coulait de leurs visages bruns.

C'est alors qu'apparut, tout hérissé de flèches,
Rouge du flux vermeil de ses blessures fraîches,
Sous la pourpre flottante et l'airain rutilant,

Au fracas des buccins qui sonnaient leur fanfare,
Superbe, maîtrisant son cheval qui s'effare,
Sur le ciel enflammé, l'Imperator sanglant!

III.-ANTOINE ET CLÉOPÂTRE.

Tous deux, ils regardaient, de la haute terrasse,
L'Égypte s'endormir sous un ciel étouffant

Et le Fleuve, à travers le Delta noir qu'il fend,
Vers Bubaste ou Saïs rouler son onde grasse.

Et le Romain sentait sous la lourde cuirasse,
Soldat captif berçant le sommeil d'un enfant,
Ployer et défaillir sur son cœur triomphant
Le corps voluptueux que son étreinte embrasse.

Tournant sa tête pâle entre ses cheveux bruns,
Vers celui qu'enivraient d'invincibles parfums,
Elle tendit sa bouche et ses prunelles claires;

Et, sur elle courbé, l'ardent Imperator

Vit dans ses larges yeux étoilés de points d'or
Toute une mer immense où fuyaient des galères.

COMME

LES CONQUÉRANTS

un vol de gerfauts hors du charnier natal, Fatigués de porter leurs misères hautaines, De Palos de Moguer, routiers et capitaines Partaient, ivres d'un rêve héroïque et brutal. Ils allaient conquérir le fabuleux métal Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines, Et les vents alizés inclinaient leurs antennes Aux bords mystérieux du monde occidental. Chaque soir, espérant des lendemains épiques, L'azur phosphorescent de la mer des Tropiques Enchantait leur sommeil d'un mirage doré; Ou, penchés à l'avant des blanches caravelles, Ils regardaient monter en un ciel ignoré Du fond de l'Océan des étoiles nouvelles.

PAUL VERLAINE

COLLOQUE SENTIMENTAL

ANS le vieux parc solitaire et glacé,

DANS

Deux formes ont tout à l'heure passé..

Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l'on entend à peine leurs paroles.

Dans le vieux parc solitaire et glacé,
Deux spectres ont évoqué le passé.

« PreviousContinue »