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Ainsi dans le massacre incessant qui m'engraisse,
Par la Nature élu, je fleuris et m'endors,
Comme l'enfant candide et sanglant d'une ogresse.

ALPHONSE DAUDET

AUX PETITS ENFANTS

ENFANTS d'un jour, ô nouveau-nés,

Petites bouches, petits nez,

Petites lèvres demi-closes,

Membres tremblants,

Si frais, si blancs,
Si roses;

Enfants d'un jour, ô nouveau-nés,
Pour le bonheur que vous donnez
A vous voir dormir dans vos langes,
Espoir des nids,
Soyez bénis,

Chers anges!

Pour vos grands yeux effarouchés

Que sous vos draps blancs vous cachez,
Pour vos sourires, vos pleurs même,
Tout ce qu'en vous,

Êtres si doux,

On aime;

Pour tout ce que vous gazouillez,
Soyez bénis, baisés, choyés,

Gais rossignols, blanches fauvettes!
Que d'amoureux

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Lorsque sur vos chauds oreillers,
En souriant vous sommeillez,

Près de vous, tout bas, ô merveille!
Une voix dit :

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C'est la voix de l'ange gardien ;
Dormez, dormez, ne craignez rien;
Rêvez, sous ses ailes de neige:
Le beau jaloux

Vous berce et vous
Protège.

Enfants d'un jour, ô nouveau-nés,
Au paradis, d'où vous venez,
Un léger fil d'or vous rattache.
A ce fil d'or

Tient l'âme encor
Sans tache.

Vous êtes à toute maison

Ce que la fleur est au gazon,
Ce qu'au ciel est l'étoile blanche,

Ce qu'un peu d'eau

Est au roseau

Qui penche.

Mais vous avez de plus encor

Ce

que n'a pas l'étoile d'or

Ce qui manque aux fleurs les plus belles :

Malheur à nous!

Vous avez tous

Des ailes.

L'OISEAU BLEU

'AI dans mon cœur un oiseau bleu,

J'AL

Une charmante créature,

Si mignonne que sa ceinture
N'a pas l'épaisseur d'un cheveu.

Il lui faut du sang pour pâture.
Bien longtemps, je me fis un jeu
De lui donner sa nourriture:
Les petits oiseaux mangent peu.

Mais, sans en rien laisser paraître,
Dans mon cœur il a fait, le traître,
Un trou large comme la main.

Et son bec fin comme une lame,

En continuant son chemin,

M'est entré jusqu'au fond de l'âme!...

HENRI CAZALIS

LA BÊTE

UI donc t'a pu créer, Sphinx étrange, ô Nature!

C'est pour les dévorer que tu fais tes petits,
Et c'est nous, tes enfants, qui sommes ta pâture:

Que t'importent nos cris, nos larmes et nos fièvres ?
Impassible, tranquille, et ton beau front bruni
Par l'âge, tu t'étends à travers l'infini,

Toujours du sang aux pieds et le sourire aux lèvres !

JE

RÉMINISCENCES

A DARWIN.

E sens un monde en moi de confuses pensées, Je sens obscurément que j'ai vécu toujours, Que j'ai longtemps erré dans les forêts passées, Et que la bête encor garde en moi ses amours.

Je sens confusément, l'hiver, quand le soir tombe,
Que jadis, animal ou plante, j'ai souffert,
Lorsque Adonis saignant dormait pâle en sa tombe;
Et mon cœur reverdit, quand tout redevient vert.

Certains jours, en errant dans les forêts natales,
Je ressens dans ma chair les frissons d'autrefois,
Quand, la nuit grandissant les formes végétales,
Sauvage, halluciné, je rampais sous les bois.

Dans le sol primitif nos racines sont prises;
Notre âme, comme un arbre, a grandi lentement;
Ma pensée est un temple aux antiques assises,

Où l'ombre des Dieux morts vient errer par moment.

Quand mon esprit aspire à la pleine lumière,
Je sens tout un passé qui me tient enchaîné;
Je sens rouler en moi l'obscurité première:
La terre était si sombre aux temps où je suis né !

Mon âme a trop dormi dans la nuit maternelle : Pour monter vers le jour, qu'il m'a fallu d'efforts! Je voudrais être pur: la honte originelle,

Le vieux sang de la bête est resté dans mon corps.

Et je voudrais pourtant t'affranchir, ô mon âme,
Des liens d'un passé qui ne veut pas mourir;
Je voudrais oublier mon origine infâme,
Et les siècles sans fin que j'ai mis à grandir.

Mais c'est en vain: toujours en moi vivra ce monde
De rêves, de pensers, de souvenirs confus,
Me rappelant ainsi ma naissance profonde,
Et l'ombre d'où je sors, et le peu que je fus ;

Et que j'ai transmigré dans des formes sans nombre,
Et que mon âme était, sous tous ces corps divers,
La conscience, et l'âme aussi, splendide ou sombre,
Qui rêve et se tourmente au fond de l'univers!

CHARLES FRÉMINE

RETOUR

E viens de faire un grand voyage

JE

Qui sur l'atlas n'est point tracé :
Pays perdu! dont le mirage
Derrière moi s'est effacé.

Le cap noir de la quarantaine
Met son ombre sur mon bateau
Couvert d'écume et qui fait eau,
Mais dont je suis le capitaine.

Ai-je bien ou mal gouverné?
Encor n'ai-je point fait naufrage:
Sur maint bas-fond si j'ai donné,
J'ai vu de haut gronder l'orage.

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