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J'ai revu la maison lointaine et bien-aimée
Où je rêvais, enfant, de soleils sans déclin,
Où je sentais mon âme à tous les maux fermée,
Et dont, un jour de deuil, je sortis orphelin.

J'ai revu la maison et le doux coin de terre
Où mon souvenir seul fait passer, sous mes yeux,
Mon père souriant avec un front austère

Et ma mère pensive avec un front joyeux.

Rien n'y semblait changé des choses bien connues
Dont le charme autrefois bornait mon horizon:
Les arbres familiers, le long des avenues,
Semaient leurs feuilles d'or sur le même gazon;

Le berceau de bois mort qu'un chèvrefeuille enlace,
Le banc de pierre aux coins par la mousse mordus,
Ainsi qu'aux anciens jours tout était à sa place
Et les hôtes anciens y semblaient attendus.

Ma mère allait venir, entre ses mains lassées
Balançant une fleur sur l'or pâle du soir;

Au pied du vieux tilleul, gardien de ses pensées,
Son Horace à la main, mon père allait s'asseoir.

Tous deux me chercheraient des yeux dans les allées
Où de mes premiers jeux la gaîté s'envola;

Tous deux m'appelleraient avec des voix troublées
Et seraient malheureux ne me voyant pas là.

J'allais franchir le seuil: C'est moi, c'est moi, mon père ! . . .

Mais ces rires, ces voix, je ne les connais pas.

Pour tout ce qu'enfermait ce pauvre enclos de pierre,
J'étais un étranger! . . . Je détournai mes pas ...

Mais, par-dessus le mur, une aubépine blanche Tendait jusqu'à mes mains son feuillage odorant. Je compris sa pitié! J'en cueillis une branche, Et j'emportai la fleur solitaire en pleurant!

ALBERT GLATIGNY

BALLADE DES ENFANTS SANS SOUCI

LS vont pieds nus le plus souvent.

ILS

L'hiver

Met à leurs doigts des mitaines d'onglée.
Le soir, hélas! ils soupent du grand air,
Et sur leur front la bise échevelée
Gronde, pareille au bruit d'une mêlée,
A peine un peu leur sort est adouci
Quand avril fuit la terre consolée.
Ayez pitié des Enfants sans souci.

Ils n'ont sur eux que le manteau du ver,
Quand les frissons de la voûte étoilée
Font tressaillir et briller leur œil clair.
Par la montagne abrupte et la vallée,
Ils vont, ils vont! A leur troupe affolée
Chacun répond: "Vous n'êtes pas d'ici,
Prenez ailleurs, oiseaux, votre volée."
Ayez pitié des Enfants sans souci.

Un froid de mort fait dans leur pauvre chair
Glacer le sang, et leur veine est gelée.
Les cœurs pour eux se cuirassent de fer.
Le trépas vient. Ils vont sans mausolée
Pourrir au coin d'un champs ou d'une allée,
Et les corbeaux mangent leur corps transi
Que lavera la froide giboulée.

Ayez pitié des Enfants sans souci.

ENVOI

Pour cette vie effroyable, filée
De mal, de peine, ils te disent: Merci!
Muse, comme eux, avec eux, exilée.
Ayez pitié des Enfants sans souci !

SULLY PRUDHOMME

LES CHAÎNES

'AI voulu tout aimer et je suis malheureux,

su les causes;

D'innombrables liens frêles et douloureux

Dans l'univers entier vont de mon âme aux choses.

Tout m'attire à la fois et d'un attrait pareil:
Le vrai par ses lueurs, l'inconnu par ses voiles;
Un trait d'or frémissant joint mon cœur au soleil
Et de longs fils soyeux l'unissent aux étoiles.

La cadence m'enchaîne à l'air mélodieux,
La douceur du velours aux roses que je touche;
D'un sourire j'ai fait la chaîne de mes yeux,
Et j'ai fait d'un baiser la chaîne de ma bouche.
Ma vie est suspendue à ces fragiles nœuds,
Et je suis le captif des mille êtres que j'aime :
Au moindre ébranlement qu'un souffle cause en eux
Je sens un peu de moi s'arracher de moi-même.

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Mais la légère meurtrissure,
Mordant le cristal chaque jour,
D'une marche invisible et sûre
En a fait lentement le tour.

Son eau fraîche a fui goutte à goutte,
Le suc des fleurs s'est épuisé;
Personne encore ne s'en doute,
N'y touchez pas, il est brisé.

Souvent aussi la main qu'on aime,
Effleurant le cœur, le meurtrit;
Puis le cœur se fend de lui-même,
La fleur de son amour périt;

Toujours intact aux yeux du monde,
Il sent croître et pleurer tout bas
Sa blessure fine et profonde,
Il est brisé, n'y touchez pas.

A L'HIRONDELLE

TOI qui peux monter solitaire

Au ciel, sans gravir les sommets, Et dans les vallons de la terre Descendre sans tomber jamais;

Toi qui, sans te pencher au fleuve
Où nous ne puisons qu'à genoux,
Peux aller boire avant qu'il pleuve
Au nuage trop haut pour nous;
Toi qui pars au déclin des roses
Et reviens au nid printanier,
Fidèle aux deux meilleures choses,
L'indépendance et le foyer;

Comme toi mon âme s'élève
Et tout à coup rase le sol,
Et suit avec l'aile du rêve
Les beaux méandres de ton vol;

S'il lui faut aussi des voyages,
Il lui faut son nid chaque jour;
Elle a tes deux besoins sauvages:
Libre vie, immuable amour.

ICI-BAS

CI-bas tous les lilas meurent,

ICI

Tous les chants des oiseaux sont courts.

Je rêve aux étés qui demeurent

Toujours . . .

Ici-bas les lèvres effleurent

Sans rien laisser de leur velours;
Je rêve aux baisers qui demeurent
Toujours...

Ici-bas tous les hommes pleurent
Leurs amitiés ou leurs amours;
Je rêve aux couples qui demeurent
Toujours...

INTUS

EUX voix s'élèvent tour à tour

DEUX

Des profondeurs troubles de l'âme :

La raison blasphème, et l'amour
Rêve un Dieu juste et le proclame.

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