Moi, mon âme est fêlée, et lorsqu'en ses ennuis Elle veut de ses chants peupler l'air froid des nuits, Il arrive souvent que sa voix affaiblie
Semble le râle épais d'un blessé qu'on oublie
Au bord d'un lac de sang, sous un grand tas de morts, Et qui meurt, sans bouger, dans d'immenses efforts!
'AI plus de souvenirs que si j'avais mille ans.
Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans, De vers, de billets doux, de procès, de romances, Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances, Cache moins de secrets que mon triste cerveau. C'est une pyramide, un immense caveau, Qui contient plus de morts que la fosse commune.
– Je suis un cimetière abhorré de la lune,
Où, comme des remords, se traînent de longs vers Qui s'acharnent toujours sur mes morts les plus chers. Je suis un vieux boudoir plein de roses fanées, Où gît tout un fouillis de modes surannées, Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher, Seuls, respirent l'odeur d'un flacon débouché.
Rien n'égale en longueur les boiteuses journées, Quand sous les lourds flocons des neigeuses années L'Ennui, fruit de la morne incuriosité, Prend les proportions de l'immortalité.
Désormais tu n'es plus, ô matière vivante! Qu'un granit entouré d'une vague épouvante, Assoupi dans le fond d'un Saharah brumeux! Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux, Oublié sur la carte, et dont l'humeur farouche Ne chante qu'aux rayons du soleil qui se couche !
MORNE esprit, autrefois amoureux de la lutte,
L'Espoir, dont l'éperon attisait ton ardeur, Ne veut plus t'enfourcher! Couche-toi sans pudeur Vieux cheval dont le pied à chaque obstacle butte. Résigne-toi, mon cœur ; dors ton sommeil de brute. Esprit vaincu, fourbu! Pour toi, vieux maraudeur, L'amour n'a plus de goût, non plus que la dispute; Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de la flûte! Plaisirs, ne tentez plus un cœur sombre et boudeur ! Le Printemps adorable a perdu son odeur!
Et le Temps m'engloutit minute par minute, Comme la neige immense un corps pris de roideur; Je contemple d'en haut le globe en sa rondeur, Et je n'y cherche plus l'abri d'une cahute! Avalanche, veux-tu m'emporter dans ta chute?
L'HOMME a, pour payer sa rançon,
Deux champs au tuf profond et riche,
Qu'il faut qu'il remue et défriche Avec le fer de la raison;
Pour obtenir la moindre rose, Pour extorquer quelques épis, Des pleurs salés de son front gris Sans cesse il faut qu'il les arrose. L'un est l'Art, et l'autre l'Amour. - Pour rendre le juge propice, Lorsque de la stricte justice. Paraîtra le terrible jour,
Il faudra lui montrer des granges Pleines de moissons, et des fleurs Dont les formes et les couleurs
Gagnent le suffrage des Anges.
LE COUCHER DU SOLEIL ROMANTIQUE UE le soleil est beau quand tout frais il se lève, Comme une explosion nous lançant son bonjour! Bienheureux celui-là qui peut avec amour Saluer son coucher plus glorieux qu'un rêve!
Je me souviens!... J'ai vu tout, fleur, source, sillon Se pâmer sous son œil comme un cœur qui palpite... Courons vers l'horizon, il est tard, courons vite, Pour attraper au moins un oblique rayon!
Mais je poursuis en vain le Dieu qui se retire; L'irrésistible Nuit établit son empire, Noire, humide, funeste et pleine de frissons;
Une odeur de tombeau dans les ténèbres nage, Et mon pied peureux froisse, au bord du marécage, Des crapauds imprévus et de froids limaçons.
LA très-chère, à la très-belle
Qui remplit mon cœur de clarté,
A l'ange, à l'idole immortelle, Salut en immortalité!
Elle se répand dans ma vie Comme un air imprégné de sel, Et dans mon âme inassouvie Verse le goût de l'éternel.
Sachet toujours frais qui parfume L'atmosphère d'un cher réduit, Encensoir oublié qui fume En secret à travers la nuit,
Comment, amour incorruptible, T'exprimer avec vérité ?
Grain de musc qui gis, invisible, Au fond de mon éternité!
A la très-bonne, à la très-belle Qui fait ma joie et ma santé, A l'ange, à l'idole immortelle, Salut en immortalité!
'EST la Mort qui console, hélas ! et qui fait vivre; C'est le but de la vie, et c'est le seul espoir Qui, comme un élixir, nous monte et nous enivre, Et nous donne le cœur de marcher jusqu'au soir;
A travers la tempête, et la neige, et le givre, C'est la clarté vibrante à notre horizon noir; C'est l'auberge fameuse inscrite sur le livre, Où l'on pourra manger, et dormir, et s'asseoir;
C'est un Ange qui tient dans ses doigts magnétiques Le sommeil et le don des rêves extatiques,
Et qui refait le lit des gens pauvres et nus;
C'est la gloire des Dieux, c'est le grenier mystique, C'est la bourse du pauvre et sa patrie antique, C'est le portique ouvert sur les cieux inconnus!
L'HOMME ET LA MER
HOMME libre, toujours tu chériras la mer.
La mer est ton miroir; tu contemples ton âme Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.
Tu te plais à plonger au sein de ton image; Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton cœur Se distrait quelques fois de sa propre rumeur Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.
Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets: Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes, O mer, nul ne connaît tes richesses intimes, Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets! Et cependant voilà des siècles innombrables Que vous vous combattez sans pitié ni remord, Tellement vous aimez le carnage et la mort, O lutteurs éternels, ô frères implacables!
UAND les chênes, à chaque branche,
Poussent leurs feuilles par milliers,
La véronique bleue et blanche Sème les tapis à leurs pieds; Sans haleine, à peine irisée, Ce n'est qu'un reflet de couleur, Pleur d'azur, goutte de rosée, Que l'aurore a changée en fleur.
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