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D'un point de l'horizon, comme des masses brunes,
Ils viennent, soulevant la poussière, et l'on voit,
Pour ne pas dévier du chemin le plus droit,

Sous leur pied large et sûr crouler au loin les dunes.

Celui qui tient la tête est un vi

hef. Son corps

Est gercé comme un tronc c
Sa tête est comme un roc,
Se voûte puissamment à ses moindres efforts.

le temps ronge et mine; l'arc de son échine

Sans ralentir jamais et sans hâter sa marche,
Il guide au but certain ses compagnons poudreux;
Et, creusant par derrière un sillon sablonneux,
Les pèlerins massifs suivent leur patriarche.

L'oreille en éventail, la trompe entre les dents,
Ils cheminent, l'œil clos. Leur ventre bat et fume,
Et leur sueur dans l'air embrasé monte en brume;
Et bourdonnent autour mille insectes ardents.

Mais qu'importent la soif et la mouche vorace,
Et le soleil cuisant leur dos noir et plissé ?
Ils rêvent en marchant du pays délaissé,
Des forêts de figuiers où s'abrita leur race.

Ils reverront le fleuve échappé des grands monts,
Où nage en mugissant l'hippopotame énorme,
Où, blanchis par la lune et projetant leur forme,
Ils descendaient pour boire en écrasant les joncs.

Aussi, pleins de courage et de lenteur, ils passent
Comme une ligne noire, au sable illimité;
Et le désert reprend son immobilité

Quand les lourds voyageurs à l'horizon s'effacent.

LA CHUTE DES ÉTOILES

TOMBEZ, perles dénouées,
Pâles étois dans la mer.
Un brouillard ce roses nuées
Émerge de l'horizo, clair;
A l'Orient plein d'étincelles
Le vent joyeux bat de ses ailes
L'onde qui brode un vif éclair.
Tombez, ô perles immortelles,
Pâles étoiles, dans la mer.

Plongez sous les écumes fraîches
De l'Océan mystérieux.

La lumière crible de flèches
Le faîte des monts radieux;
Mille et mille cris, par fusées,
Sortent des bois lourds de rosées;
Une musique vole aux cieux.
Plongez, de larmes arrosées,
Dans l'Océan mystérieux.

Fuyez, astres mélancoliques,
O Paradis lointains encor!
L'aurore aux lèvres métalliques
Rit dans le ciel et prend l'essor;
Elle se vêt de molles flammes,
Et sur l'émeraude des lames
Fait pétiller des gouttes d'or.
Fuyez, mondes où vont les âmes,
O Paradis lointains encor!

L'

Allez, étoiles, aux nuits douces,
Aux cieux muets de l'Occident.
Sur les feuillages et les mousses
Le soleil darde un œil ardent;
Les cerfs, par bonds, dans les vallées,
Se baignent aux sources troublées ;
Le bruit des hommes va grondant.
Allez, ô blanches exilées,

Aux cieux muets de l'Occident.

Heureux qui vous suit, clartés mornes,
O lampes qui versez l'oubli !

Comme vous, dans l'ombre sans bornes,
Heureux qui roule enseveli!
Celui-là vers la paix s'élance :
Haine, amour, larmes, violence,
Ce qui fut l'homme est aboli.
Donnez-nous l'éternel silence,
O lampes qui versez l'oubli !

MILLE ANS APRÈS

'APRE rugissement de la mer pleine d'ombres,

Cette nuit-là, grondait au fond des gorges noires, Et tout échevelés, comme des spectres sombres,

De grands brouillards couraient le long des promontoires
Le vent hurleur rompait en convulsives masses
Et sur les pics aigus éventrait les ténèbres,
Ivre, emportant par bonds dans les lames voraces
Les bandes de taureaux aux beuglements funèbres.
Semblable à quelque monstre énorme, épileptique,
Dont le poil se hérisse et dont la bave fume,
La montagne, debout dans le ciel frénétique,
Geignait affreusement, le ventre blanc d'écume.

Et j'écoutais, ravi, ces voix désespérées.
Vos divines chansons vibraient dans l'air sonore,
O jeunesse, ô désirs, ô visions sacrées,

Comme un choeur de clairons éclatant à l'aurore !

Hors du gouffre infernal, sans y rien laisser d'elle,
Parmi ces cris et ces angoisses et ces fièvres,
Mon âme en palpitant s'envolait d'un coup d'aile
Vers ton sourire, ô gloire! et votre arome, ô lèvres !

La nuit terrible, avec sa formidable bouche,
Disait La vie est douce; ouvre ses portes closes!
Et le vent me disait de son râle farouche:

-Adore! Absorbe-toi dans la beauté des choses!—

Voici qu'après mille ans, seul, à travers les âges,
Je retourne, ô terreur! à ces heures joyeuses,
Et je n'entends plus rien que les sanglots sauvages
Et l'écroulement sourd des ombres furieuses.

LE SOIR D'UNE BATAILLE

TELS que la haute mer contre les durs rivages,
A la grande tuerie ils se sont tous rués,
Ivres et haletants, par les boulets troués,
En d'épais tourbillons pleins de clameurs sauvages.

Sous un large soleil d'été, de l'aube au soir,

Sans relâche, fauchant les blés, brisant les vignes,

Longs murs d'hommes, ils ont poussé leurs sombres lignes,

Et là, par blocs entiers, ils se sont laissés choir.

Puis, ils se sont liés en étreintes féroces,

Le souffle au souffle uni, l'œil de haine chargé.
Le fer d'un sang fiévreux à l'aise s'est gorgé;
La cervelle a jailli sous la lourdeur des crosses.

Victorieux, vaincus, fantassins, cavaliers,

Les voici maintenant, blêmes, muets, farouches,
Les poings fermés, serrant les dents, et les yeux louches,
Dans la mort furieuse étendus par milliers.

La pluie, avec lenteur lavant leurs pâles faces,
Aux pentes du terrain fait murmurer ses eaux;
Et par la morne plaine où tourne un vol d'oiseaux
Le ciel d'un soir sinistre estompe au loin leurs masses.

Tous les cris se sont tus, les râles sont poussés.
Sur le sol bossué de tant de chair humaine,
Aux dernières lueurs du jour on voit à peine
Se tordre vaguement des corps entrelacés;

Et là-bas, du milieu de ce massacre immense,
Dressant son cou roidi, percé de coups de feu,
Un cheval jette au vent un rauque et triste adieu
Que la nuit fait courir à travers le silence.

O boucherie! ô soif du meurtre! acharnement
Horrible! odeur des morts qui suffoques et navres !
Soyez maudits devant ces cent mille cadavres
Et la stupide horreur de cet égorgement.

Mais, sous l'ardent soleil ou sur la plaine noire,
Si, heurtant de leur cœur la gueule du canon,
Ils sont morts, Liberté, ces braves, en ton nom,
Béni soit le sang pur qui fume vers ta gloire !

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