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Pour le connaître en sa rigueur
Tu n'as pas besoin d'un gros livre ;
Ce droit est écrit dans ton cœur...
Ton cœur! c'est la loi qu'il faut suivre.

Afin de le comprendre mieux,
Tu vas y lire avec ton père,
Devant ces portraits des aïeux
Qui nous aideront, je l'espère.

Ainsi que mon père l'a fait,
Un brave aîné de notre race
Se montre fier et satisfait
En prenant la plus dure place.

A lui le travail, le danger,
La lutte avec le sort contraire;
A lui l'orgueil de protéger
La grande sœur, le petit frère.

Son épargne est le fonds commun
Où puiseront tous ceux qu'il aime;
Il accroît la part de chacun
De tout ce qu'il s'ôte à lui-même.

Il voit, au prix de ses efforts,
Suivant les traces paternelles,
Tous les frères savants et forts,
Toutes les sœurs sages et belles.

C'est lui qui, dans chaque saison,
Pourvoyeur de toutes les fêtes,
Fait abonder dans la maison
Les fleurs, les livres des poètes.

ETÉ

Il travaille, enfin, nuit et jour :
Qu'importe les autres jouissent.
N'est-il pas le père à son tour?
S'il vieillit, les enfants grandissent!

Du poste où le bon Dieu l'a mis
Il ne s'écarte pas une heure;
Il y fait tête aux ennemis,

Il y mourra, s'il faut qu'il meure!

Quand le berger manque au troupeau,
Absent, hélas! où mort peut-être,
Tel, pour la brebis et l'agneau,

Le bon chien meurt après son maître.

Ainsi, quand Dieu me reprendra,
Tu sais, dans notre humble héritage,
Tu sais le lot qui t'écherra

Et qui te revient sans partage.

Nos chers petits seront heureux,
Mais il faut qu'en toi je renaisse.
Veiller, lutter, souffrir pour eux...
Voilà, mon fils, ton droit d'aînesse!

MME. L. ACKERMANN

L'HOMME

par le hasard sur un vieux globe infime, A l'abandon, perdu comme en un océan, Je surnage un moment et flotte à fleur d'abîme, Épave du néant.

Et pourtant, c'est à moi, quand sur des mers sans rives
Un naufrage éternel semblait me menacer,
Qu'une voix a crié du fond de l'Être: “ Arrive!
Je t'attends pour penser."

L'Inconscience encor sur la nature entière
Étendait tristement son voile épais et lourd.
J'apparus; aussitôt à travers la matière
L'Esprit se faisait jour.

Secouant ma torpeur et tout étonné d'être,
J'ai surmonté mon trouble et mon premier émoi,
Plongé dans le grand Tout, j'ai su m'y reconnaître ;
Je m'affirme et dis: “Moi!”

Bien que la chair impure encor m’assujettisse,
Des aveugles instincts j'ai rompu le réseau ;
J'ai créé la Pudeur, j'ai conçu la Justice;
Mon cœur fut leur berceau.

Seul je m'enquiers des fins et je remonte aux causes. A mes yeux l'univers n'est qu'un spectacle vain. Dussé-je m'abuser, au mirage des choses

Je prête un sens divin.

Je défie à mon gré la mort et la souffrance.
Nature impitoyable, en vain tu me démens,
Je n'en crois que mes vœux, et fais de l'espérance
Même avec mes tourments.

Pour combler le néant, ce gouffre vide et mcrne,
S'il suffit d'aspirer un instant, me voilà!
Fi de cet ici-bas! Tout m'y cerne et m'y borne;
Il me faut l'au-delà !

Je veux de l'éternel, moi qui suis l'éphémère.
Quand le réel me presse, impérieux, brutal,
Pour refuge au besoin n'ai-je pas la chimère
Qui s'appelle Idéal?

Je puis avec orgueil, au sein des nuits profondes,
De l'éther étoilé contempler la splendeur.
Gardez votre infini, cieux lointains, vastes mondes,
J'ai le mien dans mon cœur!

LECONTE DE LISLE

LES MONTREURS

TEL qu'un morne animal, meurtri, plein de poussière,

La chaîne au cou, hurlant au chaud soleil d'été, Promène qui voudra son cœur ensanglanté

Sur ton pavé cynique, ô plèbe carnassière !

Pour mettre un feu stérile en ton œil hébété,
Pour mendier ton rire ou ta pitié grossière,
Déchire qui voudra la robe de lumière
De la pudeur divine et de la volupté.

Dans mon orgueil muet, dans ma tombe sans gloire,

Dussé-je m'engloutir pour l'éternité noire,

Je ne te vendrai pas mon ivresse ou mon mal,

Je ne livrerai pas ma vie à tes huées,

Je ne danserai pas sur ton tréteau banal
Avec tes histrions et tes prostituées.

MIDI

MIDI, roi des étés, épandu sur la plaine,

Tombe en nappes d'argent des hauteurs du ciel bleu.

Tout se tait. L'air flamboie et brûle sans haleine;
La terre est assoupie en sa robe de feu.

L'étendue est immense, et les champs n'ont pas d'ombre

Et la source est tarie où buvaient les troupeaux;

La lointaine forêt, dont la lisière est sombre,

Dort là-bas, immobile, en un pesant repos.

Seuls, les grands blés mûris, tels qu'une mer dorée,
Se déroulent au loin, dédaigneux du sommeil ;

Pacifiques enfants de la terre sacrée,

Ils épuisent sans peur la coupe du soleil.

Parfois, comme un soupire de leur âme brûlante,
Du sein des épis lourds qui murmurent entre eux,
Une ondulation majestueuse et lente

S'éveille, et va mourir à l'horizon poudreux.

Non loin, quelques bœufs blancs, couchés parmi les herbes,

Bavent avec lenteur sur leurs fanons épais,

Et suivent de leurs yeux languissants et superbes

Le songe intérieur qu'ils n'achèvent jamais.

Homme, si, le cœur plein de joie ou d'amertume,
Tu passais vers midi dans les champs radieux,
Fuis! la nature est vide et le soleil consume:
Rien n'est vivant ici, rien n'est triste ou joyeux.

Mais si, désabusé des larmes et du rire,
Altéré de l'oubli de ce monde agité,

Tu veux, ne sachant plus pardonner ou maudire,
Goûter une suprême et morne volupté,

Viens! Le soleil te parle en paroles sublimes;
Dans sa flamme implacable absorbe-toi sans fin ;
Et retourne à pas lents vers les cités infimes,
Le cœur trempé sept fois dans le néant divin,

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