Puis sur mon sein en flamme, Qui ne peut s'apaiser, Reviens, avec son âme, Reviens te reposer.
PREMIER SOURIRE DU PRINTEMPS
TANDIS qu'à leurs œuvres perverses
Les hommes courent haletants,
Mars qui rit, malgré les averses, Prépare en secret le printemps.
Pour les petites pâquerettes, Sournoisement lorsque tout dort, Il repasse des collerettes Et cisèle des boutons d'or.
Dans le verger et dans la vigne, Il s'en va, furtif perruquier, Avec une houppe de cygne, Poudrer à frimas l'amandier.
La nature au lit se repose; Lui, descend au jardin désert Et lace les boutons de rose Dans leur corset de velours vert.
Tout en composant des solfèges, Qu'aux merles il siffle à mi-voix, Il sème aux prés les perce-neiges Et les violettes aux bois.
Sur le cresson de la fontaine
Où le cerf boit, l'oreille au guet, De sa main cachée il égrène Les grelots d'argent du muguet.
Sous l'herbe, pour que tu la cueilles, Il met la fraise au teint vermeil, Et te tresse un chapeau de feuilles Pour te garantir du soleil.
Puis, lorsque sa besogne est faite Et que son règne va finir,
Au seuil d'avril tournant la tête, Il dit: "Printemps, tu peux venir!"
UN aveugle au coin d'une borne,
Hagard comme au jour un hibou, Sur son flageolet, d'un air morne, Tâtonne en se trompant de trou, Et joue un ancien vaudeville Qu'il fausse imperturbablement; Son chien le conduit par la ville, Spectre diurne à l'œil dormant.
Les jours sur lui passent sans luire; Sombre, il entend le monde obscur Et la vie invisible bruire
Comme un torrent derrière un mur!
Dieu sait quelles chimères noires Hantent cet opaque cerveau ! Et quels illisibles grimoires L'idée écrit en ce caveau !
Ainsi dans les puits de Venise, Un prisonnier à demi fou, Pendant sa nuit qui s'éternise, Grave des mots avec un clou.
Mais peut-être aux heures funèbres, Quand la mort souffle le flambeau, L'âme habituée aux ténèbres
Y verra clair dans le tombeau !
TOUT près du lac filtre une source, Entre deux pierres, dans un coin; Allégrement l'eau prend sa course Comme pour s'en aller bien loin.
Elle murmure: Oh! quelle joie ! Sous la terre il faisait si noir! Maintenant ma rive verdoie, Le ciel se mire à mon miroir. Les myosotis aux fleurs bleues Me disent: Ne m'oubliez pas ! Les libellules de leurs queues M'égratignent dans leurs ébats : A ma coupe l'oiseau s'abreuve; Qui sait? Après quelques détours Peut-être deviendrai-je un fleuve Baignant vallons, rochers et tours. Je broderai de mon écume Ponts de pierre, quais de granit, Emportant le steamer qui fume A l'Océan où tout finit,
Ainsi la jeune source jase, Formant cent projets d'avenir;
Comme l'eau qui bout dans un vase, Son flot ne peut se contenir;
Mais le berceau touche à la tombe; Le géant futur meurt petit; Née à peine, la source tombe Dans le grand lac qui l'engloutit !
oiseau siffle dans les branches Et sautille gai, plein d'espoir, Sur les herbes, de givre blanches, En bottes jaunes, en frac noir.
C'est un merle, chanteur crédule, Ignorant du calendrier,
Qui rêve soleil, et module
L'hymne d'avril en février.
Pourtant il vente, il pleut à verse;
L'Arve jaunit le Rhône bleu, Et le salon, tendu de perse,
Tient tous ses hôtes près du feu.
Les monts sur l'épaule ont l'hermine, Comme des magistrats siégeant;
Leur blanc tribunal examine Un cas d'hiver se prolongeant.
Lustrant son aile qu'il essuie, L'oiseau persiste en sa chanson, Malgré neige, brouillard et pluie, Il croit à la jeune saison.
Il gronde l'aube paresseuse De rester au lit si longtemps Et, gourmandant la fleur frileuse, Met en demeure le printemps.
Il voit le jour derrière l'ombre; Tel un croyant, dans le saint lieu, L'autel désert, sous la nef sombre, Avec sa foi voit toujours Dieu.
A la nature il se confie,
Car son instinct pressent la loi. Qui rit de ta philosophie,
Beau merle, est moins sage que toi!
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