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sciences physiques et chimiques, et préparé de rapides progrès à l'étude de la nature; de l'autre, il a contribué à l'émancipation de la pensée, en détachant l'esprit humain des voies arides de la scholastique pour le ramener à la concentration en lui-même.

V. Transition. Érudition, restauration des systèmes antiques, essais originaux, doute, mysticisme même, tout conspirait à ruiner la scholastique déjà blessée à mort; tout préparait l'avènement de la philosophie moderne que nous allons voir apparaître enfin, dégagée des liens traditionnels de l'autorité théologique et des entraves passagères de l'antiquité classique, fière de marcher au grand soleil par ses propres forces, et, jusque dans ses écarts, attestant la puissance et la grandeur de la raison.

Nous avons passé en revue l'histoire de huit siècles; il nous en reste deux à peine à parcourir. Mais ici nous devons changer de méthode et présenter avec plus de détails les principaux systèmes qui vont s'offrir à nous. Nous nous attacherons tout spécialement à résumer avec fidélité les idées fondamentales de chaque théorie, et à rendre notre analyse, toute restreinte qu'elle doive être, aussi complète que possible. La critique aura nécessairement une part moindre que l'exposition et n'apparaîtra guère que dans les considérations générales. Les principes ont été discutés dans l'Introduction et le seront trop souvent encore dans les livres suivants, pour permettre ici une polémique en dehors de notre but actuel, qui est, avant tout, de mettre sous les yeux du lecteur, sous une forme aussi simple et aussi dégagée que faire se pourra, les voies principales qu'ont suivi les spéculations modernes, depuis le réveil de la pensée indépendante jusqu'à l'avènement de Kant. Tous les systèmes sont liés entr'eux par une mutuelle solidarité; chacun a sa racine dans l'un de ses prédécesseurs, et renferme en lui le germe de ceux qui le suivront. En étudiant cette génération

successive, nous verrons la philosophie moderne se partager en deux camps, au nom des mèmes principes qui déjà avaient divisé l'antiquité et le moyen-âge. Aristote et Platon, Occam et Duns Scot, Bacon et Descartes, Locke et Leibnitz, représentent, tour à tour, une lutte qui, sous des noms différents et avec des chances diverses, est au fond toujours la même, parce qu'elle procède de la même source, l'éternel antagonisme entre l'esprit et la matière, le corps et l'âme, les sens et la raison.

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Voyez COUSIN. Cours de 1829. Leçon XI. Le même, Cours de 1819. Leçons VII, VIII, IX et X. - N. BOUILLET. Introduction et notes de l'édition des œuvres de Bacon.-F. RIAUX. Introduction aux œuvres philosophiques de Bacon, 2 vol. Charpentier. — F. HUET. I. Le chancelier Bacon et le comte Joseph de Maistre. II. Considérations philosophiques sur les méthodes en général et en particulier sur la méthode de Bacon (Nouvelles Archives histor. philos. et littéraires. t. I et II. Gand, 1837-1840). DUGALD STEWART. Histoire des sciences métaph. t. I. philosophie en France au XVIIe siècle. t. I, livre III. et la Dict. des scienc. philos. aux mots Bacon, Hobbes et

DAMIRON. Histoire de la note finale sur Bacon. Gassendi.

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BACON.

François Bacon, baron de Verulam, vicomte de Saint Alban, chancelier d'Angleterre, naquit en 1561, et mourut, disgracié, en 1626. Il faut distinguer en lui l'homme du philosophe. Dévoré par une ambition qui lui fut fatale, il rechercha les honneurs et les dignités, au lieu de se vouer entièrement à la science, pour laquelle lui-même se sentait né. « Ma faute la plus grave, dit-il, est que, me connaissant plus propre à composer des livres qu'à agir, je n'ai pas laissé que de consacrer ma vie aux affaires civiles, pour lesquelles la nature ne m'avait point fait

et auxquelles la préoccupation de mon esprit me rend plus inhabile encore. » Bacon tomba du haut rang auquel il était parvenu sous une flétrissante accusation de vénalité, que confirmèrent ses propres aveux. N'insistons pas sur ce triste côté de sa vie, et ne voyons en lui que le savant (1).

Comme tel, il ferme le cycle des essais incomplets de la renaissance, et, tourné vers l'avenir, semble prophétiser la science future. Pénétré de l'insuffisance du procédé scholastique, il oppose aux arides subtilités de la logique et de la métaphysique du moyenâge, la fécondité de l'expérience, et rappelle l'intelligence à l'étude attentive de la nature. C'est par l'expérience seule, dit-il, que peut s'accomplir la rénovation nécessaire de la philosophie; c'est par elle seule qu'on peut dégager l'esprit humain des puériles et infructueuses abstractions qu'il doit à l'étude d'Aristote. Véritable réformateur, Bacon a la pleine conscience de la tâche qu'il entreprend; le but qu'il se propose est nettement déterminé, et s'aperçoit déjà dans ses premiers ouvrages qu'il publia à l'âge de vingt-cinq ans. Frappé de la stérilité des efforts de la science contemporaine, il veut la transformer et la faire entrer dans la voie des applications utiles, des services réels et pratiques : à la philosophie spéculative et inféconde qu'enseignent les écoles, il veut substituer une philosophie active, comme il le dit. Pour accomplir cette difficile entreprise, il conçoit le plan d'une œuvre immense, à laquelle il donne le titre de Grande restauration des sciences. L'Instauratio magna se divisera en six grandes parties. La première offrira la classification générale des sciences, en faisant non-seulement l'inventaire des richesses acquises, mais en

(1) Nous omettrons partout, comme ici, dans ce premier livre, les détails biographiques qui n'ont pas trait directement à notre sujet.

signalant aussi les lacunes à combler (desiderata). La seconde exposera la méthode qui, selon Bacon, est appelée à régénérer les sciences, et à remplir les vides précédemment indiqués. Ces deux premières parties ont pour titre, l'une : De augmentis etdignitate scientiarum, l'autre Novum organum, par analogie avec le titre des travaux logiques d'Aristote. La troisième fera une première application de la méthode nouvelle, en recueillant le plus grand nombre possible de faits : ce sera une Histoire naturelle et expérimentale des phénomènes de l'univers. La quatrième partie, sous le nom d'Échelle de l'entendement, mettra en œuvre ces faits particuliers et en découvrira les lois générales, pour redescendre ensuite de ces lois à d'autres faits. La cinquième partie, sous le titre de Prodromes ou anticipations de la philosophie, constatera et rassemblera les résultats déjà produits par la méthode vulgaire; enfin la sixième présentera la véritable science sous le nom de Philosophie seconde ou active par opposition à la philosophie préliminaire et jusque-là purement spéculative.

Bacon n'a publié que les deux premières parties de son œuvre; encore la seconde, le Novum organum, est-elle demeurée inachevée. Le temps a manqué à Bacon pour aller plus loin, et cela se conçoit; l'entreprise qu'il abordait était au-dessus des forces d'un homme, et ne pouvait s'accomplir que par le travail des siècles; mais ce qu'il a fait, suffit à sa gloire, car si la science ne lui est redevable directement d'aucune découverte importante, elle a reçu de lui l'instrument qui la fait marcher à pas de géant, depuis deux cents ans dans la voie du progrès.

Trouver la vraie méthode scientifique, telle est la grande préoccupation de Bacon. Pour cela, il faut, d'abord, se faire une juste idée de la science. La science est la connaissance du général; elle néglige les circonstances individuelles, pour s'occuper des lois et

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