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relative et variable selon les nominalistes, devenait, du moment que leur thèse était acceptée, inconciliable avec l'immutabilité du dogme chrétien et se séparait nécessairement de celui-ci. Mais cette instabilité proclamée de la science, l'obscurité des questions controversées, la nature abstraite des discussions, les affirmations également absolues des deux dogmatismes rivaux, avaient jeté dans les esprits une indécision qui ne tarda à se traduire au scepticisme. Seulement ce scepticisme, fidèle au caractère de l'époque, se porta sur la forme en respectant le fond, et se manifesta sous les apparences d'un mysticisme exalté. Déjà, pendant le cours du moyen-âge, Saint Bernard, Hugues et Richard de Saint Victor, Saint Bonaventure surtout, s'étaient réfugiés dans le mysticisme; mais ce fut surtout après la défaite du réalisme, qu'il apparut comme une théorie propre et sous une forme toute systématique. Ses principaux représentants, à cette époque, furent le dominicain Jean Tauler, Wessel, Thomas à Kempis, enfin et surtout l'illustre Gerson, qui, avec la conscience claire de son rôle, combattit la raison pour montrer la nécessité de l'extase, et ne se borna pas à établir cette nécessité, mais encore décrivit l'intuition extatique dans toutes ses phases, avec la profonde conviction qu'elle est le suprême refuge de l'intelligence et la scule voie par laquelle elle puisse atteindre à la vérité.

CHAPITRE II.

Philosophie de la Renaissance.

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Voyez COUSIN. Cours de 1829. Leçon X. Le même. Fragments de philosophie Cartésienne (Vanini ou la philosophie avant Descartes). — CHRIST. Bartholmèss. Jordano Bruno. - FRANC. BOUILLIER. Histoire et critique de la révolution Cartésienne (Introduction), ouvrage couronné par l'Institut. CARRIÈRE. La philosophie à l'époque de la réforme (all.). DUGALD STEWART. Histoire abrégée des sciences métaphysiques, morales et politiques. Tome I. - Dictionn. des scienc. philos., aux mots, FICIN, PIC DE LA MIRANDOLE, CAMPANELLA, BRUNO, POMPONACE, etc., etc.

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I. Régénération de l'esprit scientifique. Une alliance de longue durée, entre la théologie et la philosophie, était impossible sur les bases où la rêvait le moyen-âge. Mais l'insuccès de l'entreprise amena la proclamation d'un antagonisme entre les deux sciences, aussi faux en soi qu'absurde dans les proportions qu'on lui donnait. Si la vérité peut différer quant à la forme sous laquelle elle se présente, elle est essentiellement une par sa nature et son origine, et en ce sens il est impossible qu'une philosophie bien faite soit en contradiction avec la vraie religion sur les questions qui leur sont communes. Toutefois, songeons aux circonstances au milieu desquelles se trouvaient les philosophes du XV et du XVIe siècle. Poussés par le nominalisme dans une voie fausse et dangereuse, acceptant sans examen les principes de la philosophie antique, principes trop souvent inconciliables avec l'esprit chrétien, égarés par une imagination souvent pleine de

force et de grandeur mais audacieuse et déréglée; en un mot, dépourvus à la fois de critique et de méthode, ils aboutissaient à tout instant à des conclusions hostiles au dogme religieux. Or, en dégageant la raison des liens d'une autorité séculaire, il y avait un danger réel à proclamer sans précaution des résultats, de nature à porter atteinte à cette autorité dans son domaine propre. C'est à ce danger qu'attestent entre autres exemples le cachot de Campanella, les bûchers de Bruno et de Vanini, qu'il faut sans doute attribuer l'exagération apportée à l'issue de la scholastique dans la distinction entre les vérités religieuses et les vérités rationnelles. Cette distinction, éminemment fausse sous la forme absolue qui lui était donnée, règna pendant toute la période que nous allons parcourir. Elle devint le correctif obligé des audacieux systèmes qu'enfanta l'esprit humain dans les premiers temps de son émancipation; elle fut l'égide sous laquelle s'abritèrent toujours, mais souvent en vain, ces premiers penseurs libres, qui frayaient la voie à la philosophie moderne et préparaient le jour où il serait permis à Descartes, ce sage et prudent génie, de dédier à la Sorbonne même le manifeste de la raison émancipée et de justifier à tout jamais dans cette dédicace, la séparation de la philosophie et de la foi, en ramenant cette séparation à ses véritables termes (1).

Si la scholastique avait échoué dans sa tentative, néanmoins l'épreuve n'avait pas été inutile pour l'intelligence. Celle-ci avait grandi par l'essai de sa puissance sur un fond donné, et le jour où ce fond vint à lui manquer, elle comprit qu'il ne lui suffisait pas de dépouiller la science de vaines et stériles formules et qu'elle se trouvait mise en demeure de créer tout un monde. Mais elle

(1) DESCARTES. Méditations, Épitre dédicatoire.

avait acquis dans sa longue éducation la conscience de ce qu'elle pouvait, et emportée par ce besoin qui lui est inné, de connaître, d'expliquer, d'approfondir, elle s'élança avec une indicible ardeur à la conquête de la vérité par ses propres forces. A cet élan intérieur vint s'ajouter un concours de causes qui devaient exercer sur le développement de l'esprit humain et sur les destinées de la philosophie une puissante influence.

Parmi ces causes, les unes se rattachaient au mouvement progressif de la civilisation et n'eurent sur l'éducation de la raison qu'une action générale et lointaine. Dans cet ordre de faits, nous nous bornerons à signaler les hardies et nombreuses explorations des navigateurs, qui éveillèrent l'esprit d'investigation et le poussèrent dans tous les sens; les progrès de l'industrie qui sollicita des sciences physiques et naturelles, des applications qui ravivèrent l'étude de ces sciences si négligées au moyen-âge; or, il en résulta maintes découvertes de la plus haute importance, nonseulement dans l'ordre purement scientifique, mais aussi au point de vue philosophique; il suffit de citer Galilée, Képler et Copernic. La découverte de ce dernier contribua, plus que toutes les autres, à discréditer la philosophie scholastique, en portant un coup mortel à la physique péripatéticienne qui faisait de la terre le centre immobile du monde. Nous mentionnerons enfin la naissance d'un nouvel ordre politique, l'émancipation de la classe moyenne et la naissance de l'esprit d'association qui se produisit à la fin du moyen-âge et commença à triompher d'une manière lente, mais décisive, sur la force organisée par le régime féodal.

Mais laissons de côté ces faits généraux, pour signaler plus spécialement d'autres événements très importants, en ce sens, qu'ils exercèrent sur la marche de l'esprit humain une influence

immédiate et très énergique. Au premier rang de ces événements il faut en placer deux, dûs au hasard et presque contemporains, l'arrivée en Italie des Grecs fugitifs de Constantinople et l'invention de l'imprimerie. Nous y rattacherons comme faits synchronistiques ou comme résultats, la réforme religieuse, la division des études et la réhabilitation des idiomes vulgaires.

L'étude de la langue grecque n'avait jamais été complètement abandonnée en Italie; Dante, Pétrarque, Boccace, professaient une sorte de culte pour les chefs-d'œuvre de l'antiquité hellénique, et dès le XIV siècle leurs compatriotes partageaient cette admiration. Aussi les savants grecs furent-ils accueillis avec enthousiasme par les villes libres et les maisons souveraines de l'Italie. Ils reprirent le rôle qu'avaient joué à la fin de la république romaine leurs ancêtres, les grammairiens grecs, et firent connaître à l'Occident les monuments les plus précieux de la poésie, de l'histoire et de la sagesse antique. Manuel Chrysoloras, François Philelphe, Jean Argyropyle, Demétrius Chalcondyle, Jean et Constantin Lascaris, tels sont les noms les plus fameux auxquels se rattache l'initiation du monde moderne à la littérature et à la philosophie de la Grèce. Pour nous en tenir à cette dernière, elle se révéla seulement alors sous sa forme originale. Jusque là Aristote n'était connu que par des traductions barbares, inexactes ou altérées par ses interprètes; le moyen-âge n'avait fait qu'entrevoir le divin Platon à travers les nuages du mysticisme alexandrin. Les proscrits apportèrent avec eux le texte précieux des livres du Stagyrite et du fondateur de l'Académie. On comprend combien les larges et puissantes idées de celui-ci dûrent ébranler la dictature si longtemps souveraine du péripatétisme, et combien son style, si plein de jeunesse, de charme et de poésie, dùt inspirer de dégoût pour la forme barbare, aride et grossière de la scho

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