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la Musique. Le domaine des arts fut, comme nous l'avons dit, le trivium du moyen-âge, celui des sciences, le quadrivium.

L'enseignement reçut des écoles, (scholae,) où il était donné l'épithète de scholastique. De là le terme de philosophie scholastique, qui désigne encore aujourd'hui l'ensemble des travaux philosophiques du moyen-âge. Quel fut le caractère général de ces travaux? C'est ce que nous allons essayer de préciser.

II. Caractères de la philosophie scholastique. D'un côté, les vestiges de la philosophie ancienne furent le point de départ de la scholastique, de l'autre, presque tous, sinon tous les philosophes du moyen-âge, furent en même temps, théologiens. De là le caractère spécial de la philosophie de cette époque Soumise à une double autorité, l'Eglise dans l'ordre de la foi, Aristote dans l'ordre de la science, le but constant de ses efforts fut d'appliquer aux vérités religieuses la forme philosophique léguée par l'antiquité.

La philosophie et la théologie se rencontrent assurément sur un terrain commun: l'existence de Dieu, les devoirs de l'homme, sa destinée, et bien d'autres questions appartiennent, à la fois, aux deux sciences. Mais la théologie, qui s'appuie sur un dogme indiscutable, décide ces questions par voie d'autorité; la philosophie, au contraire, se fonde par la discussion et n'admet que ce qui est évident aux yeux de la raison. Indépendamment de cette différence de procédés, chacune des deux sciences renferme des parties que l'autre n'aborde pas, ou du moins ne devrait pas aborder. La théologie laisse à la philosophie, comme son patrimoine propre, l'étude de l'esprit humain et de ses facultés, et, de son côté, elle pose au-delà des vérités accessibles à la raison, des mystères que la raison n'a ni le droit d'expliquer, ni la puissance de comprendre. Cette distinction, qui ressort de la nature des choses, fut

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consacrée, même au moyen-âge, par l'adage célèbre : L'ordre de foi, n'est pas l'ordre de raison. Mais cet adage, proclamé en théorie, fut-il respecté dans la pratique? Loin de là: les docteurs scholastiques, précisément parce qu'ils étaient à la fois philosophes et théologiens, furent entraînés à appliquer à l'une des deux sciences le procédé de l'autre, et à ne pas respecter la limite qui doit toujours les séparer. Les recherches, loin de se borner aux vérités fondamentales de la raison, s'étendirent plus loin le libre examen s'éleva jusqu'aux mystères, avec la prétention de les rendre compréhensibles. Aussi, si la philosophie scholastique se distingue par l'imitation passionnée de la forme antique, elle ne se caractérise pas moins par la continuelle tentative d'appliquer cette forme aux vérités religieuses, admises, au nom de la foi, comme révélées par Dieu mème. Atteindre par la pensée aidée de la dialectique à la conscience rationnelle du dogme, et par là élever la foi jusqu'à la science, telle fut la tendance constante, le signe distinctif de cette philosophie. Ce problème, dont la solution, cherchée autrefois par saint Augustin, fut déjà reprise par Scot Erigène, pouvait se diviser en trois points principaux. Il fallait 1. Se rendre compte des contradictions que semblent renfermer les dogmes révélés. 2. Résoudre ces contradictions, ou du moins contraindre l'esprit à les reconnaître, à les concevoir comme nécessaires. 3. Enfin former des dogmes révélés, le tout harmonique et imposant de la vérité chrétienne, et consommer ainsi l'union de la vraie religion et de la vraie philosophie. Considérée sous ce point de vue, la scholastique apparait dans l'histoire comme le développement d'un principe unique et le résultat d'un mème effort.

Aristote, avons-nous dit, fut la grande autorité scientifique au moyen-âge. En effet, les docteurs qui partent de principes

nous,

platoniciens, ceux-là même dont le système repose essentiellement sur les idées de Platon, comme saint Anselme et saint Thomas par exemple, se soumettent à la forme aristotélique. Cette forme il faut le reconnaître, s'adaptait à merveille à la nature de la scholastique, et la logique d'Aristote, sans vouloir affaiblir en rien la séduction que dut exercer sur les esprits cette puissante et admirable théorie du raisonnement, cette logique, disonsdut à un autre motif encore la vogue prodigieuse qu'elle obtint. Elle ne comprend que des formules idéales, vraies d'une éternelle vérité, quel que soit le fond auquel on les applique, et susceptibles de s'accommoder avec une égale facilité de tous les points de départ, et de toutes les données. Aussi croyons-nous que si l'autorité d'Aristote fut si grande au moyenàge, cela tint surtout à ce que l'Organon fut d'abord seul connu. Plus tard, lorsque les autres ouvrages du Stagyrite furent communiqués par les Arabes à l'occident chrétien, cette autorité devint fatale, en ce sens que les opinions d'Aristote en physique, en métaphysique, en morale, lui durent un crédit usurpé auquel il faut attribuer bien des erreurs de la scholastique. Une seule remarque suffira pour faire juger l'engouement qui saisit les esprits à partir du XIIIe siècle. Non-seulement l'Ethique servit de texte aux leçons, mais le culte, (nous ne saurions trouver d'expression plus juste,) le culte pour son auteur alla si loin qu'on osa dire que si l'Evangile venait à se perdre, l'Ethique suffirait à l'Eglise pour le remplacer, et qu'il fut même question de la canonisation d'Aristote.

La philosophie scholastique dut à l'unité de religion et d'enseignement, un autre caractère remarquable; elle fut cosmopolite. Partout le champ de la science et sa méthode, les problèmes et les arguments, les discussions et les questions sont les mêmes.

La vérité chrétienne comme fond, les procédés et les formules aristotéliques comme moyens, voilà ce qu'on rencontre partout au moyen-àge, aussi bien en Allemagne qu'en France, aussi bien en Italie qu'en Angleterre et en Espagne. Disons qu'une autre circonstance contribua à donner à la scholastique ce caractère d'universalité; ce fut l'emploi général en Europe de la langue latine, comme organe exclusif de la science. Mais si elle établit des relations faciles entre les savants de toutes les nations, cette langue, étrangère aux usages et aux pratiques de la vie civile, condamna d'autre part la philosophie à se renfermer dans le cercle étroit des lettrés, et ne contribua pas peu à la jeter dans les discussions toutes théoriques, puérilement abstraites, sans fruit comme sans application possible à la vie des individus ni à celle des sociétés. Ce n'est qu'après la Réforme, la renaissance des lettres, l'invention de l'imprimerie et l'emploi des langues vulgaires dans les sciences, qu'on voit d'un côté se détacher sur le fond commun de la scholastique les philosophies. nationales, et de l'autre, la philosophie elle-même élargir son domaine, pour y donner, à côté de la métaphysique, une place d'honneur aux sciences morales et politiques.

III. Division de la philosophie scholastique. L'histoire de la philosophie scholastique se prète, selon les aspects sous lesquels on la considère, à différentes divisions.

Si on la prend dans son ensemble, on peut la partager en trois époques.

1o. Du XI° siècle jusqu'au XIII, et jusqu'à l'organisation de l'université de Paris. Cette période se caractérise comme temps d'essor et de fondation de la scholastique. Si la philosophie tend à se rapprocher systématiquement de la théologie, cependant la distinction entre la foi et la science est encore marquée. Tandis

que Saint Anselme, ardent défenseur de l'orthodoxie, place la première au-dessus de la seconde, Abélard, partant d'un point de vue plus hardi, oppose la science à la foi, le libre examen à l'autorité.

2o Cette période s'étend du XIIIe siècle jusqu'au XV°; c'est l'âge viril de la scholastique. Le péripatétisme est mieux connu gràce aux relations avec les Arabes; la théologie s'allie intimement à la philosophie, et l'application de la science au dogme donne naissance aux grands systèmes du moyen-âge. A côté d'Alexandre de Halès et d'Albert le Grand, apparaissent Saint Thomas d'Aquin et Duns Scot, dont les systèmes rivaux, adoptés par les grands ordres religieux auxquels ils appartiennent, (les Dominicains et les Franciscains), deviennent la souche de deux partis qui reçoivent les noms des Thomistes et de Scotistes. Le système de Duns Scot, hérissé de futiles distinctions et de vaines subtilités, recèle dans cette exagération de la méthode aristotélique, le germe de la ruine de la scholastique, germe qui se développe rapidement dans la troisième période.

3° Celle-ci s'étend du XVe siècle jusqu'au milieu du XVI. La dialectique s'y transforme en une véritable manie de disputer sur des formes et des abstractions; les anciens débats entre la philosophie et la théologie renaissent; les deux sciences tendent de plus en plus vers une séparation provoquée par de premiers essais de réforme; enfin la maxime admise qu'une chose peut être à la fois vraie en théologie et fausse en philosophie et réciproquement, consomme cette séparation en sapant le principe même sur lequel reposait la scholastique. Guillaume d'Occam, Durand de St. Pourçain, Raymond Lulle, Gabriel Biel, etc. appartiennent à cette époque et sont les principaux auteurs de cette scission intime et mortelle qui eût sans doute suffi à ruiner en peu de

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