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Nous nous efforcerons de mettre dans l'appréciation des doctrines, toute l'impartialité dont nous sommes capable, et nous terminerons notre examen, par un résumé dans lequel nous ferons ressortir la situation faite à la philosophie, au moment de l'apparition de Kant.

Il importe de faire une dernière remarque avant d'aborder notre tâche. Nous n'avons pas voulu faire une histoire de la philosophie depuis Charlemagne. Le mouvement philosophique de l'Allemagne réclamait seul, dans notre plan, des développements que nous avons dû refuser aux périodes qui l'ont précédé. Cependant nous avons voulu mettre le lecteur à même, soit de contrôler nos assertions, soit de se procurer les détails que nous avons forcément omis. Aussi avons-nous indiqué, en toute occasion, les ouvrages propres à fournir ces détails. Ces renseignements, joints aux sources générales désignées ci-dessus, suffiront, nous l'espérons, à tout esprit curieux d'approfondir le mouvement philosophique moderne dans son ensemble.

CHAPITRE PREMIER.

La Philosophie Scholastique.

V. COUSIN. Cours de 1829. Leçon IX. Le même. Introduction aux œuvres inédites d'Abélard. BARTH. HAURÉAU. De la Philosophie Scolastique, mémoire couronné par l'Académie des sciences morales et politiques. 2 vol. in-8. 1850. L'ABBÉ GERBET. Coup-d'œil sur la Controverse Chrétienne. C. DE RÉMUSAT. Abélard. — X. ROUSSELOT. Études sur la Philosophie au moyen-âge. — Jourdain. Recherches critiques sur l'âge et l'origine des traductions latines d'Aristote. JAVARY. De la Certitude, mémoire couronné par l'Institut.

I. Origines de l'enseignement scholastique. Lorsque le monde romain s'abîma sous le flot sans cesse renaissant des barbares, la science, sous toutes ses formes, parut s'abimer avec lui. Qu'importaient à ces nouveaux venus les richesses de la pensée? Leur mission était une œuvre de destruction brutale. Armés de la torche et du fer, ils venaient porter le dernier coup à une société minée par la plus épouvantable corruption qui ait jamais. gangréné l'humanité, et préparer, sans le savoir, l'avénement d'une société nouvelle. Quand l'empire se fut écroulé sous la formidable invasion, les vainqueurs se partagèrent les dépouilles

et se fixèrent sur le sol conquis, fécondé à leur profit, par les anciens maitres devenus esclaves. Mais, à ce moment même où le règne de la force semblait pour jamais consolidé, une autre puissance, n'ayant pour armes que sa faiblesse et de saintes paroles, qui, jusquelà, n'avaient pas frappé l'oreille des hommes, osa s'attaquer à ces hordes sauvages et triomphantes. Cette puissance était le christianisme. Les vérités de l'Evangile pénétrèrent, avec une merveilleuse facilité, dans les âmes barbares. Dès le Ve siècle, la doctrine du Christ avait fait d'immenses progrès parmi les nouveaux maîtres du monde, et leurs chefs eux-mêmes, donnaient l'exemple en courbant leur front hautain sous la consécration du baptême.

Cependant, si la religion touchait les cœurs, les mœurs conservaient leur rudesse native. Dans cette société, encore mal assise, la force créait le droit, le glaive était la raison suprême, et les notions éternelles de la justice avaient, pour ainsi dire, disparu. D'autre part, le monde antique avait emporté dans sa tombe les trésors de science amassés au prix de si longs et si pénibles labeurs. L'intelligence obscurcie jetait à peine, par intervalles, une pâle lueur au milieu des ténèbres de la barbarie, et les clercs eux-mêmes ne connaissaient guère que cet Evangile, aux augustes préceptes duquel ils devaient leur pouvoir. Cette triste éclipse de l'esprit humain dura pendant plusieurs siècles.

Il était réservé à Charlemagne, si grand à tant de titres dans l'histoire de la civilisation, de donner la première impulsion à la régénération intellectuelle du monde moderne. Il rassembla autour de lui les rares savants de son temps, fonda cette célèbre Ecole du palais sur les bancs de laquelle lui-même ne dédaigna pas de s'asseoir, et créa en même temps, de nombreuses écoles destinées à propager la science dans son empire. Mais le nombre de

ceux qui pouvaient fréquenter ces écoles était très restreint. Les membres de la famille de l'empereur, les grands officiers de sa maison et les principaux dignitaires du clergé paraissent avoir été seuls admis aux leçons de l'Ecole du palais. Quant aux autres établissements d'instruction, ils étaient, sinon exclusivement réservés aux clercs, du moins exclusivement fréquentés par eux, qui, seuls alors, sentaient le besoin de science ou étaient en état de l'apprécier.

L'Ecole du palais paraît avoir été d'abord attachée à la suite des empereurs et n'avoir pas eu de siège permanent. Mais dès la fin du IXe siècle, sous Charles-le-Chauve, nous la trouvons fixée à Paris. Jean Scot Erigène y enseignait la philosophie. Vers cette époque, saint Remi d'Auxerre fonda, dans la même ville, une chaire rivale de celle de Scot, et se nontra non moins habile dans la dialectique que dans la musique, c'est-à-dire, comme nous le verrons tout à l'heure, dans les arts que dans les sciences. Les écoles de Paris s'accrurent rapidement; de nouvelles chaires s'élevèrent sur les deux rives de la Seine et convièrent, au prix d'une légère rétribution, clercs et laïques à leurs leçons. Telle fut l'origine de l'université de Paris, grande école de l'Europe au moyen-âge, centre des lumières et de la science, et mère des docteurs les plus illustres.

Dès le IXe siècle, l'enseignement se partageait en deux branches : le trivium et le quadrivium, ou les arts et les sciences. Cette classification célèbre, qui paraît être l'œuvre de Martianus Capella, fut transmise aux scholastiques par Cassiodore et Isidore de Séville. Les arts avaient pour objet le problématique, le contestable; les sciences portaient sur le certain, le réel. Selon Martianus Capella, les arts étaient la Grammaire, la Dialectique et la Rhétorique; les sciences, la Géométrie, l'Arithmétique, l'Astrologie et

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