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Si on plaçait la querelle après février 1606, qu'est-ce que Desportes aurait eu à se mettre sous la dent? La chanson faite en collaboration avec Madame de Bellegarde? Encore n'est-il pas sûr qu'elle fût connue avant sa mort, car si elle courait avec la parodie de Berthelot en décembre 1606, il ne faut pas oublier que Berthelot

travaillait vite.

Au contraire, en s'en tenant à la date de novembre ou décembre 1605, le récit de Tallemant s'explique et se justifie. Ceux que Malherbe avait froissés ont eu où s'en prendre, puisqu'ils ont pu éplucher la Prière pour le Roi et les vers aux Dames.

Enfin, je trouve dans une ode de Claude Garnier à Desportes « sur la reddition de Sedan », une allusion très significative:

Quand chômerons-nous la victoire.

De Henry, le plus grand des rois ?
Dont le pris, l'honneur et la gloire
Ne sont dignes que de ta voir ? (1).

Pour qui connaît l'aversion de Garnier pour Malherbe, et l'ardeur avec laquelle il défendit les anciens contre lui, le dernier vers signifie très clairement qu'on sait que Malherbe travaille à une pièce sur le voyage de Sedan, et qu'il faut entrer en lice avec lui, le devancer et le surpasser.

Pourquoi cette invitation si Garnier, familier de la maison, ne connaissait le différend survenu? Or, la reddition de Sedan est du 2 avril 1606. Encore une preuve donc que les faits dont nous parlons étaient antérieurs.

En admettant l'hypothèse que nous avons proposée, les adversaires restèrent un peu moins d'un an en présence.

Pour des pamphlétaires ardents et prompts à la riposte, le temps eût suffi à engager une de ces luttes dont l'histoire littéraire est pleine. Mais des deux principaux intéressés l'un était mou, l'autre lent, de sorte que les hostilités, bientôt arrêtées par la mort de l'un d'eux, furent en somme assez peu sérieuses.

(1) Pet. Rec. de poés, à la suite de l'Amour victorieux, f° 232, recto

Je veux bien croire avec Tallemant que Desportes critiqua le productions de Malherbe, entre amis, après le diner, à Vanves. Mais il n'avait garde de rentrer dans l'arène, comme Garnier le lui conseillait imprudemment. Il sentait peut-être qu'il pouvait perdre la bataille.

Et puis il avait toujours professé et pensé, comme il le disait à Henri III, que « la félicité humaine consiste en ung repos et tranquilité libre et deschargée de toute solicitude, si bien que quand quelqu'un s'est retiré aux champs loing d'affaires et de soucys, nous l'appelons bienheureux, la vie douce et reposée devant estre fin de toutes nos actions. >>

Après avoir « travaillé pour reposer », avoir «< fait la guerre non en intention d'y demeurer éternellement, mais pour vivre en paix, il n'allait pas reprendre les armes.

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Platon avait donné l'exemple. « Il était allé, en jeunesse, en Sicile pour aider Dion et pour rendre meilleur Dionisius et ses subgects, s'il eust pu, puis vint achever ses jours au doux repos de l'Académie. »

Comme lui, ayant passé « l'àge moyen, » l'abbé entendait n'avoir plus pour les vertus « actives et factives » qu'un amour bien platonique (1).

Garnier s'abuse encore quand il nous conte qu'il fût venu disputer d'orthographe s'il eût vécu, et recommencer la lutte épique d'un Maigret ou d'un Ramus.

Il estimait les gens de combat « bien louables » il préférait être parmi les « bien heureux. » (2).

En vain lui annonça-t-on que Malherbe « marquait » un exemplaire de ses œuvres, et qu'il promettait de faire de ses fautes un livre plus gros que son livre même.

Il s'en fia à son neveu du soin de censurer les censeurs et on sait avec quelle verve celui-ci le fit. Les prétentions de Malherbe, ses dédains vaniteux, les défauts de ses vers, les petitesses de son esprit et de ses théories, tout fut d'un seul coup aperçu, dénoncé, raillé. (3).

1 V. le Discours des vertus intellectuelles dans l'Acad. des Valois de Fremy, p. 236-238.

2 lb.

3 Voir la Sat. IX. à Rapin.

C'était assez pour la rancune d'un homme peu vindicatif, «< sans querelle et sans venin. (1) » Les menaces de son adversaire ne se réalisaient d'ailleurs pas. Il travaillait bien à son commentaire (2), mais occupé en même temps à composer les vers dont sa situation encore précaire de poète courtisan mal rétribué l'obligeait à entretenir le Roi, (3) interrompu ensuite par la mort de son père et la nécessité d'aller liquider sa succession (4), il n'avait rien publié et rien fini.

La saison cette année-là était belle « et semblait de constitution vernale et non automnale, ressentant son printemps et son mois de may» (5) l'abbé, retourné à Bonport, regardait tomber les premières feuilles de ses arbres, calmé sans doute, ayant retrouvé cette

tranquillité d'esprit,

Dont on a tant parlé, dont on a tant escrit,

Que chacun cherche tant, que personne ne treuve, (6)

lorsque la mort le prit le 5 octobre, pleinement heureux, dit un de ses amis (7), vraisemblablement consolé en tous cas.

A la suite et peut-être aussi en raison de cet évènement, Malherbe interrompit son travail et le livre qu'il avait fait craindre ne parut jamais. Il existe cependant, il a été imprimé, et la cause qui n'a pas été plaidée devant les contemporains s'est trouvée portée devant la postérité.

(1) Rapin, Poės. fr. p. 51.

(2) Le volume dont nous parlerons porte la date de 1606. Malherbe venait sans doute de l'acheter pour son dessein.

(3) Voir plus haut.

(4) Juillet 1696. V. Malh. Euv. I, XXIII.

(5) L'Estoile Journ. oct. 1606.

(6) Montereul. Tomb. de Desp.

(7) St Marthe. El. V. Port. « recenti gloriæ proventu plane felix. » Le témoignage est un peu suspect. Peut-être avait-il pu voir encore la mordante parodie que Berthelot avait faite de la dernière chanson de Malherbe :

Estre six ans à faire une ode,
Et faire des loix à sa mode,

Cela se peut facilement.

Mais de nous charmer les oreilles
Par sa merveille des merveilles.

Cela ne se peut nullement. etc.

CHAPITRE V

LE TEXTE DU COMMENTAIRE

On connaît trois exemplaires manuscrits du « Commentaire de Malherbe sur Desportes ». L'un se trouve à la Bibliothèque Nationale, les deux autres à la Bibliothèque de l'Arsenal, à Paris.

Le premier est l'original, de la main même de Malherbe. Nous le désignons par la lettre O. Les deux autres sont des copies que M. Lalanne appelle A et B (4).

I. La copie A.

Le volume ainsi désigné est conservé à la Bibliothèque de l'Arsenal, sous la cote 6583, B. L. (anciennement B. L. 1973, A). C'est un exemplaire de Desportes de l'édition de Mamert Patisson, Paris, 1600, imprimé sur beau papier encadré.

Sauf une lacune qui va du fo 169 v° au fo 201 ro, vers 3, c'est la reproduction intégrale de l'original.

(1) M. Græbedinkel, au début de son étude sur la versification de Desportes et de Malherbe, a déjà comparé les textes que nous possédons du Commentaire. Ce travail ne manque pas de remarques justes, mais l'auteur n'ayant pas vu les manuscrits, a été induit en erreur par l'édition Lalanne. Il a cru, en particulier, que l'original était écrit sur une édition de Desportes de 1609 et s'est donné un mal infini pour expliquer cette étrangeté. Son raisonnement, cela va sans dire, s'en est trouvé entièrement vicié. (Franz. Stud. I, 43).

On ignore par qui cette copie a été exécutée. Sainte-Beuve, qui la connaissait pour l'avoir eue de Charles Nodier, dont elle était la propriété, suppose que c'est Saint-Marc, l'éditeur de Malherbe, qui y transcrivit les notes du Commentaire (1). Je ne sais sur quoi Sainte-Beuve fonde cette hypothèse. Saint-Marc, loin de dire qu'il a fait une copie, nous conte qu'il emprunta l'original à M. le président de Bourbonne, gendre et héritier du président Bouhier, qui consentit, grâce à l'intervention de M. de Bombarde « à se désaisir pour quelque temps du précieux dépôt qu'il avoit entre ses mains ». (2) La phrase semble donc indiquer plutôt que Saint-Marc travailla sur l'original.

Quoi qu'il en soit de cette question secondaire, et d'où que provienne A, cette copie n'aurait d'importance que si l'original était perdu. C'est une transcription postérieure, généralement correcte de cet original (3), mais rien que cela. On n'a pas à en tenir compte pour l'établissement du texte.

II. L'original

L'exemplaire de Desportes qui a appartenu à Malherbe est conservé aujourd'hui à la Bibliothèque Nationale sous la cote Y, 4817, (Réserve).

(1) Le XVI• siècle en France, p. 106.

(2) Ed. de Malh. p. 339.

(3) A présente cependant quelques hévues de copiste, ainsi, au lieu de cette phrase: Ce « sonnet est d'un Italien et du Séraphin à mon avis » le copiste a écrit: à mon ami (Div. Am. son. XXII, Cf. éd. Lal. IV, 435). Ailleurs il lit chaises percées pour chausses perses. (D. II, son. 43. éd. Lal. IV, 288). Une fois il s'est trompé de ligne et a pris la note d'un vers pour celle d'un autre. (El. 1, 8, IV, 362, note), Comp. encore D. II, comp. 1, IV, 281, Im. Ar. IV, 414. Ces fautes suffiraient à montrer que A n'est pas de la main du scrupuleux Saint-Marc.

Inversement A corrige quelques inadvertances. (V. Am. d'H. 72, éd. Lal., IV, 319; D. Am. Compl. 4, IV, 444). Comp. une correction erronée D. I, compl 4, IV, 268.

Il y a quelques rajeunissements d'orthographe et de syntaxe. Ainsi A fait presque toujours épithète féminin, contrairement à l'usage de Malherbe. (D. II, pl. I, IV, 274, etc.).

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