En effet, malgré l'Académie, il y a plus d'une bonne strophe, même dans celles qu'elle a examinées, et la privilégiée à qui elle faisait grâce n'est pas, à beaucoup près, la plus belle. L'allusion à Henri III est trop cruelle; si ses vices l'avaient méritée, Malherbe n'avait pas le droit de la lancer, on n'outrage pas ceux sous la protection desquels on a mis ses débuts; la reconnaissance doit les sauver même de la justice. Il faut reconnaître, toutefois, que l'apostrophe a de la vigueur. Mais il y a autre chose dans ce morceau. D'un bout à l'autre on y trouve de ces vers comme il en avait été jusqu'alors peu frappé, précis, nombreux, d'une grande et superbe allure: La terreur de son nom rendra nos villes fortes, Le fer mieux employé cultivera la terre, Et le peuple, qui tremble aux frayeurs de la guerre, Si ce n'est pour danser n'orra plus de tambours. Les images se rencontrent à point, habilement dispersées, fortes et naturelles. Quand la rebellion plus qu'une hydre féconde Parfois une grâce charmante et douce, repose de la grandeur continue des vers voisins: Les vertus reviendront de palmes couronnées. ou encore: La moisson de nos champs lassera les faucilles Et il y a ainsi plusieurs de ces visions fraiches qui passent sur un fonds d'épopée, dénotant chez l'auteur une science déjà avancée des oppositions et des contrastes. Le sentiment du roi se traduisit sous une forme concrète. M. de Bellegarde reçut l'ordre d'entretenir le poète d'un homme et d'un cheval et de lui servir mille livres. (1). Ce n'était pas la fortune ni la gloire, c'était déjà l'aisance et la réputation (2). Jusque là en effet la situation de Malherbe avait été bien minime. Près du Grand Prieur il ne fut jamais que secrétaire du prince (3) et depuis 1586 il n'était plus rien. Sa femme de son côté n'était pas la veuve aux écus. (4). Aussi, bien qu'il exagère un peu sans doute, avait-il eu à se défendre contre toutes les difficultés de la vie, ne recevant pas «< un liard » de la maison (5) que « peut être un tonneau de cidre », obéré par des rentes à payer (6), discutant avec àpreté les avances faites à son frère (7), l'hospitalité même dont il avait été entretenu, empruntant pour voyager et pour vivre (8) pendant sept ans en Normandie, puis se débattant pour se faire compter quelques pauvres revenus par un avoué qui les a gardés et une communauté qui veut le payer en marchandises. (9). Désormais, ces misères étaient finies. Mais Malherbe ne prétendait pas se contenter des premiers avantages obtenus. (1) C'est peu après, sans doute, qu'il obtint la charge de gentilhomme ordinaire de la chambre du Roi qui ajouta encore trois mille livres à ses revenus. En outre en 1606 il hérita de son père de trois à quatre cents écus de rente. (V. Malh. I, XXIII). (2) Malherbe était obligé d'envoyer de l'argent à sa femme et à son fils. (3) V. Roux Alph., qui cite des pièces authentiques (Rech, biog,, 338). (4) Elle lui avait apporté un nom honorable, c'est vrai, mais seulement trois mille écus mis sur la communauté de Brignole et huits cents écus constitués en rente sur la ville de Tarascon au denier douze. V. M., Instruct. I. 336, et Let. du 14 oct. 1626 à M. de Mantin, (IV, 402). (5) Inst. 335. (6) La rente de 300 écus au sieur Fauconnier son beau-frère, une rente de 20 écus à Harcourt (Ib. p. 334). (7) Ib., page 334, 335. ́8) Ib. p. 312: « Etant en Normandie, ma femme emprunta six cents écus à M. du Villars, lors gouverneur du Havre. » p. 343 : « Emprunté 300 écus du capitaine Benoît Degan puis cent autres » Lui-même en emprunte trois cents au capitaine Boissony, six à Aymar de Pertuys. Ib.) (9) Ib. 337, 338. Une place entre des Yveteaux et Bertaut (1) ne lui suffisait point, il entendait apprendre à cette cour, où l'on ne savait guère encore distinguer et classer les poètes, qu'il était, lui, d'une qualité supérieure, qu'il y avait des rangs et qu'il devait avoir le premier. Projet ambitieux en apparence, où il devait réussir cependant, les circonstances semblant faites pour lui et lui pour les circon stances. (1) C'est celle que lui donne Rosset, son plus enthousiaste admirateur à cette époque (1604) V. au dernier livre, chapitre premier. CHAPITRE III MALHERBE EN PROVENCE IL S'Y PREPARE A SON ROLE SON CARACTÈRE C'est pendant ses derniers séjours en Provence (1595, 1598, 1599-1605), que Malherbe semble avoir définitivement pris conscience de lui-même, de son talent et de sa destinée. Auparavant, rien de bien tranché encore dans sa manière. Ses larmes de Saint-Pierre, sa pièce pour M. de Montpensier d'une part, de l'autre les œuvres de tous ceux qui l'entourent lors de ses premiers séjours à Aix nous fournissent la preuve que ni son cercle ni lui même n'ont encore répudié les anciens maîtres. Ainsi Bellaud de la Bellaudière, un des restaurateurs de la poésie provençale, son parent et son ami, avec qui il est en rapport de vers (1) est un fervent de Ronsard. Prenez, dit-il au grand Prieur, Es-ty dich, d'endurar aquesto picquadisso Afé, si plus long tens duravo tau soullas: Car de ciero de blat empliren lous toupins Et zest, lous gitaren sus mettre pelletery. (Lous passatens, 12). Prenez donc (s'il vous plais) lou son de ma Museto, Coumo si d'un Ronsard ero la canssonnetto Bessay qu'embè lou tens, pourrié ben s'adubar. (L. passat., 118). C'est encore pour lui le maître par excellence, celui après lequel on ne peut rien tenter : il ne veut pas essayer de compter ses amis dans un sonnet quand les virtuoses de la Pléïade « tout farcis de science» ne l'auraient su faire : Ni compaire Ronsard, ni lou cousin Jodelle, Cent trentaniers d'amis qu'ay sens la parentelle (Ib. p. 54). César de Nostradamus est un habitué du cercle, et voici d'après lui l'histoire littéraire du siècle : Marot d'un vers orné de saule, Apres m'aver souflat cauque pichot escut Un partus affamat non s'y pouot contentar. (1b., 96, son CXXIII. Nous citons en entier ces sonnets inconnus, on comprendra, facilement pourquoi nous ne les traduisons pas. (1) Od. au cap. Paul, Barbonil de P. Paul, p. 5, col. 1. |