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Il n'est pas une de ces critiques, pas une de ces appellations qui n'aillent à Malherbe et aux siens, jusqu'aux compliments qu'elle leur accorde et qu'elle ferait de meilleur cœur, si ces prétentieux incorrigibles n'avaient la vanité de « déterrer du monument leurs supérieurs et leurs maistres », (1) et de le reconstruire en leur honneur.

Ni la justesse de ses observations souvent clairvoyantes, ni la chaleur de ses convictions, ni la protection posthume de Montaigne, alors un peu démodé, ne sauvèrent la pauvre sybille des quolibets. Seules les anecdotes contées par Tallemant en font foi.

Plus tard, elle fait le personnage ridicule de tous les pamphlets littéraires, de la Requête des Dictionnaires comme de la Comédie des Académistes. Il n'en est pas un où elle n'apparaisse, en représentante éternelle d'idées surannées, adversaire de Vaugelas après l'avoir été de Malherbe, triplement comique dans son rôle de vieille fille, de pédante et de revenante de l'autre siècle.

Mais, avant d'arriver à la vieillesse, elle s'était sentie abandonnée. Dupleix et Lamothe le Vayer, quoique de ses amis, élaient déjà loin de raisonner comme elle, le dernier surtout. Elle en avait à la doctrine même et eux ne combattaient plus que l'exagération de la doctrine. De sorte que, abandonnée, elle finit par consentir à corriger Montaigne, bien légèrement il est vrai. Néanmoins c'était abdiquer.

Il n'y avait plus, à cette époque, autre chose à faire, en présence des exigences du goût nouveau.

Dès 1610-1615, on sent à toutes sortes de symptômes que les vieux maîtres de l'ancienne langue, les poètes surtout, vieillissent, et que l'opinion cesse définitivement de se regler sur ces modèles.

Colletet nous rapporte que vers ce même temps, la mémoire du célèbre sonnet de Laugier de Porchères: Ce ne sont pas des yeux, se

(1) « Il se void beaucoup de pieces chez aucuns de ces Poetes nouveaux, qui peuvent faire honneur à leurs Autheurs, pourveu qu'ils recognussent leur mesure ». (Omb. 412).

perdit, (1) et l'auteur était encore vivant, il écrivait, fréquentait les salons, se défendait en un mot de la mort qui allait le prendre! Combien la gloire de ceux qui n'étaient plus devait décliner plus vite!

Les Amours de Desportes, réimprimés encore en 1607 et en 1611, ne le sont plus après cette date. Les Psaumes reparaissent, il est vrai, en 1624, mais dans une édition avec musique, ce qui n'indique pas que l'édition ordinaire fût épuisée, bien que vieille déjà

de treize ans !

En même temps, les galanteries de l'abbé disparaissent des recueils. On en retrouve bien quelques fragments dans les Marguerites poétiques. Mais elles paraissent en 1613, et comme l'ouvrage suppose un long travail, il est vraisemblable qu'il était commencé quelques années auparavant, peut-être peu après la mort du poète. (2)

Quant aux compilations satyriques, elles recueillent leurs gaillardises un peu partout; rien de surprenant si on y trouve du Desportes. (3)

On peut en dire autant des anthologies religieuses. L'OEuvre chrétienne citera pêle-mêle du Bellay, Marot, Jamyn, Belleau, Ronsard, Pibrac, sans se préoccuper d'autre chose que de l'édification des lecteurs. (4)

Les choix faits pour ces clientèles spéciales renseigneraient fort mal sur le goût du temps.

Non, où il faut chercher les noms des poètes alors en vogue, c'est dans ces sortes d'almanachs littéraires que d'Espinelle et ses émules livraient régulièrement à la curiosité du monde : Recueils des plus beaux vers, Bouquets printaniers, Cabinets des Muses, etc.

(1) Disc. du sonnet dans l'Art poétique, p. 53.

(2) Le privilège est d'avril 1612. On y trouve cités: Ronsard environ 100 fois, du Bartas 70, Bertaut 32, Desportes 30, Malherbe 10. Il y a aussi des vers de Desportes dans les Plaisirs de la maison rustique, d'après Viollet le Duc (Bib. poét. 31), mais l'ouvrage est sans date.

(3) Voir le Cabinet satyrique éd. 1666. I, 84, 85, 262, 263.

(4) L'Euvre chrétienne est de 1612. Desportes y tient la première place (p. 1-42).

Il y en a un presque chaque année après 1610, mais Desportes n'y figure plus. Dans ses Délices de la Poésie françoise Rosset conserve encore quelques survivants du siècle précédent : du Perron, Bertaud, des Yveteaux, mais ceux qui tiennent la plus large place, c'est Malherbe et ses suivants d'Urfé, de Coulomby, d'Avity, de Lingendes, Maynard, Touvant, du Moustier. Dix ans plus tard ils seront seuls dans le Recueil de du Bray, renforcés encore de Racan, Boisrobert, l'Estoille, Tristan, de Méziriac, Monfuron.

Voilà ceux qui plaisent, « les beaux esprits appréciés des beaux esprits >>:

Mala... premit herba sepultos.

Nous n'entendons pas dire par là que Ronsard et ses successeurs sont entièrement effacés de la mémoire. Ce serait absolument faux, surtout pour Ronsard. On parlera de lui longtemps encore non seulement sous le chaume mais dans les salons de Paris, et jusqu'à l'arrivée de Boileau, il recevra une foule d'hommages. Boisrobert l'a encore lu et en parle à son correspondant M. de Villennes :

Soit que je considère ou ta grande fonteine

Que Ronsard et Bayf n'abandonnoient qu'à peine... (1)

Celui-ci lui répond :

Les vœux que fit Ronsard pour mon Ayeul illustre
Sur ce mesme jardin, luy conservent du lustre.

Si ces arbres sont morts, du moins ses Lauriers verts
Ont, comme en son Hyver surmonté cent Hyvers. (2)

Scudéry fait des vers sur son portrait. (3) La Mesnardière se ferait scrupule de manquer de respect aux Mànes de ce grand Poète. (4) Colletet le cite à chaque page dans son histoire des

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Il s'est bien mieux peint lui-mesme (Le Cabinet de M. de Scudéry, p. 229). (4) Les Poésies, Préface.

genres poétiques. Chapelain le discutera avec Balzac et soutiendra l'épithète de grand qu'il lui a donnée. (1) Corneille se défendra de vouloir atteindre à ses gràces. (2)

Godeau lui-même, dans la propre apologic de Malherbe, n'a-t-il pas déclaré que les noms de ces grands hommes, Ronsard et du Bellay, ne doivent jamais être proférés, sans imprimer dans l'esprit de ceux qui les écoutent une secrète révérence, et qu'il faut avouer que jamais personne n'apporta une plus excellente nature, une force de génie si prodigieuse, et une doctrine si rare à la profession des vers? » (3)

Nous embrouillons ici les noms à dessein, pour montrer que ces souvenirs lointains viennent un peu de tous les camps, de la postérité de Malherbe et de celle de Théophile.

Desportes est plus oublié que Ronsard (4), il ne l'est pas cependant tout-à-fait. De temps en temps on fredonne de lui une chanson que l'air a rendue populaire, comme le 0 nuict, jalouse nuict, encore connue du temps de Furetière. Des savants comme Colletet se rendent compte que « dans sa douceur il n'a pas eu de succes(5). Mais en vain prétendrait-on avec Mademoiselle de Gournay qu'il reste pour les dames « le poète du cabinet, » c'est-àdire du chevet (6). « Les douillets et les douillettes » lui connaissent dès 1626 des rivaux plus à leur goût. Si on lui accorde

seur >>

(1) Let. I, 631.

(2) Euvres, I, 136.

(3) Godeau, Euv. de Malh., 1, 377.

(4) Ainsi le Jardin des Muses de 1643 cite de nombreux fragments de Ronsard (p. 56, 59, 65, 97, 98, 128, 144, 145, 146, 235, 254). Desportes n'y est, à ma connaissance, nommé qu'une fois : (p. 175)

Le folastre Marot me fait tout fondre en ris,
Desportes le mignard tient mon ame en attente,
Et le docte Ronsard rend mon ame contente,
Mais le divin Bartas ravit seul mes esprits.

Ce quatrain historique n'est ni signé, ni daté.

(5) En tête des œuvres du S du Pin Pager (1629). On comparera l'Art poétique p. 38, 49, 51, etc.

(6) Omb. 620. Il va sans dire que M de Gournay se compte parmi ses amies: Je desclare que je veux escrire, rymer et raisonner de toute ma puissance à la mode de Ronsard, du Bellay, Desportes (Ib. 942).

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d'avoir été passionné, c'est « pour son temps », et cette seule réserve gate tout l'éloge, elle constate sa déchéance. (1)

Or, il ne faut pas entendre autrement les compliments qu'on fait alors aux anciens. Aucun ne signifie qu'on voudrait les imiter et les suivre, penser ou surtout écrire comme eux. Les provinciaux, eux, le voudraient encore naïvement, mais ni Boisrobert, ni Chapelain, ni Godeau n'y eussent jamais consenti, Ronsard est pour eux un précurseur, non un maître. Il Jui font une place, quelquefois grande, mais dans l'histoire.

En veut-on des preuves? Voici Sarasin raillant un ignorant qui croit passer en son art :

La gloire de Malherbe et celle de Ronsard (2).

Le rapprochement de ces deux noms étonne au premier abord, mais il ne peut pas tromper, quand on connaît la manière de Sarasin, toute moderne, qu'on l'a vu imiter Malherbe (3) et railler au contraire les « singeries des anciens », dont l'auteur de la Franciade croyait embellir son poème (4).

Si l'exemple laisse encore des doutes, en voici un autre pris de Maynard lui-même. Dans une lettre à Conrart il parle des belles choses qu'il lit tous les jours dans Ronsard, Desportes et Malherbe (5). Que veut dire ceci? qu'il le met sur le même rang? Aucunement. Si on était tenté de le croire, il n'y aurait qu'à se souvenir du mépris qu'il professe pour les « sottises » qu'il avait laissé échapper à la cour de Marguerite, dans la manière de Desportes. Il trouvait sans doute de la force à Ronsard, de la grâce à Desportes, et pour cela voulait bien les relire, il eût été indigné si on lui eût parlé de rétrograder jusqu'au style et au langage je ne dis pas du premier, mais même du second, lui qui se défendait avec tant de soin d'un provincialisme!

Or c'est de quoi il est ici question. Nous cherchons, non à faire l'histoire de la Pléïade, mais à déterminer jusqu'à quelle époque elle

(1) M. de Scudéry citée par Sainte-Beuve, XVI s. en France, p. 105. (2) Poésies p. 160.

(3) Ib. p. 9.

(4) Ib. p. 7 et 8.

(5) p. 583.

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