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ici ou vieillottes ou ternes, quelquefois même d'un goût douteux (1); l'expression dépasse la pensée ou la trahit; il arrive aussi qu'elle se dérobe (2). Le vers s'embarrasse de constructions pesantes. Il est lourd (3), souvent même équivoque (4) ou obscur (5).

En résumé, dans tout ce que Malherbe apportait en portefeuille, un certain nombre de passages trahissaient. une science déjà mûre du style et du rythme, de l'ampleur dans la période, de la majesté dans la strophe, rien n'était achevé ni même supérieur.

Malgré le dire de du Perron, on pouvait encore se mêler de faire des vers. Un Monchrestien, par exemple, ne les faisait pas très différemment. Les chœurs de ses tragédies, développements éloquents de grands lieux communs, ressemblent à s'y méprendre aux strophes de Malherbe. Qu'on relise, par exemple, ceux de l'Escossoise (1599).

Heureux le siecle d'or où sans avoir envie

De monter à l'honneur,

L'home sentoit couler tous les jours de sa vie
En un égal bon-heur,

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Il n'estoit affligé de crainte et d'espérance

Ni meu d'ambition:

Son corps plain de vigueur estoit franc de souffrance
Son cœur sans passion...

Ailleurs, ne croirait-on pas entendre Malherbe déclamer sur la fragilité des grandeurs et la misère des princes?

Leur Estat n'a rien seur que son incertitude,
En moins d'un tourne-main

On void leur liberté tomber en servitude,
Et leur gloire en dédain.

Encore que chacun les prise et les honore,
Ils n'en sont plus contens,

Car le ver du souci sourdement les dévore

Parmi leurs passetemps (1).

C'est non seulement comme chez Malherbe de l'éloquence, mais presque la même éloquence, un peu plus imagée peut-être, rehaussée chez l'un comme chez l'autre de pointes et d'antithèses :

L'homme, avant qu'il soit mort, heureux ne se doit croire,
Car la félicité n'habite en ces bas lieux;

Elle vit loin du monde et nul ne voit sa gloire.

Si, se laissant soy-mesme, il ne retourne aux cieux...
Celuy qu'elle reçoit a l'honneur de sa table,

Au banc des immortels elle le fait asseoir,

Pour mener dans le Ciel une vie agréable

Et commencer un jour qui n'aura point de soir...
Possesseurs éternels des graces éternelles
Vivez paisiblement en la maison de paix.
Le temps rendra tousjours vos liesses nouvelles,
La fleur de vos plaisirs ne flétrira jamais...
Rien ne peut, desormais, du repos vous distraire,
Vos cœurs sont maintenant saoulez de tous plaisirs,
Ce qui plus nous déplaist ne vous sçauroit déplaire
Et vos contentemens surmontent vos desirs (2).

(1) Trag., 90, 91.

(2) Trag., p. 121 et sv.

On pourrait pousser très loin la comparaison, on verrait que Malherbe n'apportait pas une formule personnelle du lyrisme. On avait entendu sur le théâtre des strophes qui annonçaient les siennes; un peu plus d'exactitude grammaticale ne lui suffisait pas pour lui permettre de prendre un privilège. Rosset avait beau le traiter d'incomparable, d'autres soutenaient la comparaison (1).

Quoiqu'il en soit, qu'on ait fait à Malherbe le crédit qu'on accorde à Paris à tout nouvel arrivant, considéré toujours un peu comme un débutant, quel que soit son age, ou qu'il ait dû le bon accueil qu'il y reçut à de puissantes recommandations, ses débuts paraissent avoir été faciles (2).

Il était venu, sans aucun doute, avec du Vair et Peiresc. Ses deux amis, nous le savons avec précision, étaient partis au commencement du mois d'août (3). A cette même époque, Malherbe quittait la Provence, appelé en Normandie par ses affaires particulières (4). On ne manqua certainement pas l'occasion de s'entendre pour faire une si longue route en compagnie. En tout cas, en août, les trois provençaux étaient ensemble à Paris.

Malherbe y était déjà venu. Mais du Vair s'y trouvait presque chez lui, il y avait même des parents comme Ribier, il profita de ses relations pour présenter ses compagnons à Paris; nous le voyons dans le récit de Gassendi faire faire à Peiresc la connaissance de

(1) Voir les vers au livre V. M. Wey, dans les Révolutions du langage en France, p. 82 et suiv., avait déjà eu l'idée de comparer certains poèmes de Malherbe à des pièces de Desportes et de montrer que le plus moderne n'est pas celui qu'on pense. Mais il a bien vu lui-même que la comparaison ainsi faite et poussée plus loin, ressemblerait fort à un paradoxe, Malherbe reniant les Larmes de Saint-Pierre.

(2) Tallemant conte qu'à peine arrivé on le louait fort (1, 366).'

(3) Gassendi, Vita Peiresk, p. 82.

(4) Il date, en effet, d'Aix le 29 juillet, l'Instruction adressée à son fils. (I, 348).

de Thou, Casaubon, Fronton le Duc, Papyrius Masson, Nicolas Lefebvre, Bongars, Scévole de Sainte-Marthe, François Pithou, de Mesme, Emeric de Vic, une foule d'autres impossibles à énumérer, dit le biographe, parmi lesquels peut être Desportes (1). Les bibliothèques, les cabinets s'ouvrent pour lui les cœurs même accueillent le jeune ami du célèbre président (2).

On est en droit de supposer que Malherbe fut reçu avec la même bienveillance partout où il lui plut de suivre Peiresc. Le voilà donc introduit tout d'un coup et sans peine dans la société des érudits et des lettrés (3).

A la Cour, l'entrée ne lui fut pas moins facile. Il y avait des amis haut placés et depuis longtemps. Cinq ans auparavant déjà, son nom et son talent avaient été recommandés au Roi par le tout puissant du Perron, son compatriote et l'ami de sa famille, on sait dans quelles circonstances:

Pendant le voyage de Lyon, où il était allé épouser Marie de Médicis, Henri IV ayant demandé à l'évêque s'il ne faisait plus de vers «< il lui répondit que depuis qu'il lui avoit fait l'honneur de l'employer en ses affaires, il avoit tout-à-fait quitté cet exercice et qu'il ne falloit point que personne s'en mêlat après M. de Malherbe, gentilhomme de Normandie, habitué en Provence, qui avoit porté la poésie françoise à un si haut point que personne n'en pouvoit jamais approcher (4). »

Le fait est exact et le propos a été tenu, sinon dans ces termes au moins dans des termes équivalents, une lettre de remerciement de Malherbe en fait foi (5). Le roi s'en souvenait, « il en parloit à M. des Yveteaux » (6) alors précepteur de M. de Vendôme.

(1) Gass., Vita Peiresk., 82 et suiv.

(2) Apertum cor et viscera sinceritatis miræ profusa. Gass., l. cit. (3) Notons toutefois que Jean Rouxel, l'ancien professeur de Malherbe connaissait Desportes et avait pu lui parler de son élève. (Voir l'Oraison funèbre de Cahaigne, Gasté. La Jeun, de Malh., p. 17).

(4) Rac. d. Malh, I, LXV.

(5) 9 nov. 1601. Malh. IV, p. 3.

(6) Rac., ib.

Le poète, en bon confrère, lui offrait de le faire venir, mais le roi « qui étoit mesnager » craignait d'être chargé d'une nouvelle pen

sion.

L'arrivée de Malherbe à Paris fournit une occasion excellente que des Yveteaux ne laissa pas échapper; Henri IV, averti, « fit quérir le poète, lui commanda de se tenir près de lui et l'assura qu'il lui feroit du bien ». (1).

En même temps il voulut éprouver son talent et lui commanda des vers. Malherbe, contre son habitude, fit diligence et en moins de deux mois il avait terminé la célèbre prière pour le roi Henri le Grand allant en Limousin.

Ce n'est pas encore un chef-d'œuvre irréprochable, il n'y en a guère dans Malherbe. L'Académie du reste le prouva bien, car, suivant Pellisson (2), ces Messieurs employèrent près de trois mois à examiner une partie de ce poème (3) et trouvèrent « qu'à peine y a-t-il une stance, où, sans user d'une critique trop sévère, on ne rencontre quelque chose ou plusieurs qu'on souhaiterait de changer, si cela se pouvoit, en conservant ce beau sens, cette élégance merveilleuse et cet inimitable tour de vers qu'on trouve partout dans ces excellens ouvrages >> (4).

Quoique cette critique ait été perdue lorsque les registres ont disparu, on peut se convaincre, par les extraits qui nous en restent, qu'elle était comme celle du Cid, mêlée de remarques judicieuses et de reproches injustifiés (5); on la sentit, du reste, excessive ; plusieurs protestaient et, comme on opinait sur une stance, Gombaud, qui était directeur et parlait le dernier, répondit pour toute opinion: « Je voudrais l'avoir faite ».

(1) Malh., Let. du 10 sept. 1625, IV, 16.

(2) Hist. de l'Acad. éd. Liv. I, 120.

(3) Du 9 avril au 6 juillet 1638: « elle ne toucha pas aux quatre dernières (stances), parce qu'elle eut d'autres pensées et que les vacations de cette année la survinrent bientôt après. »

(4) Ib.

(5) On censurait, par exemple, le quatrième vers de la première strophe, sans voir que le mot innocence n'était qu'une faute pour insolence.

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