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En ce qui concerne l'alternance de l'un et de l'autre, il ajoute même ces mots significatifs : « On trouvera souvent dedans les bons auteurs qu'une chose qui aura esté dicte par le preterit sera repetee par l'aoriste, ou au contraire. »

D'aucuns cependant n'ont pas imité la réserve du savant philologue, et ont prétendu « en parler plus avant, » mais, malgré de longues disputes, il ne me paraît pas qu'ils y aient jeté grande lumiere. (1) Je ne parviens pas à comprendre la différence marquée par les deux temps ici :

Ce beau fils, qui n'a bougé de Grèce,

Et qui ne feit jamais preuve de sa prouesse. (2)

Et ici : « Hier au soir un mien amy escollier arriva en ceste ville, lequel m'a prié aller demeurer avec luy. » P. de Larivey. Les Escol. I, 2) (3) Pourquoi arriva et m'a prié? La seconde action est-elle postérieure ?

En gros les règles données par Pillot, Garnier, Sebilet, et plus nettement encore par Maupas, (4) sont les suivantes : Les définis infèrent toujours un temps passé depuis quelque temps, et si bien accompli qu'il n'en reste aucune partie à passer. Ils s'emploient lorsqu'un adverbe marque ainsi l'éloignement du temps de l'action: Ex.: « L'an 1590, le roy obtint victoire de ses ennemis. »

Au contraire, les indéfinis signifient bien aussi un acte passé, « mais le temps non si esloingné qu'il n'en reste encor quelque quelque portion à passer. » Si, par exemple, on parle du siècle, de l'an, du mois, où l'on se trouve, on emploiera l'indéfini: «A matin j'ay esté à l'Eglise.»

En outre, si l'on nndique aucun temps, l'indéfini sera mieux : « Le Roy a obtenu victoire de ses ennemis, puis leur a pardonné. » Ce serait clair, si la règle s'arrêtait là.

Mais 1° voici une première contradiction: Avec les adverbes autrefois, piéça, il semble que le défini soit mieux: Autrefois j'ay escrit...

(1) Schlütter, Beitr. zur Gesch. des syntakt. Gebrauchs des Passé défi ni.. Halle, 1834. Cf. Korning, Imperf. u h. Perf. im Altfrans. Breslau, 1883. (2) Garn. d'après Haase, Synt. R. Garn., p. 42.

(3) Vogels, der Synt. Gebr. P. de L., p. 471.

(4) V. f 137 r et sv. (1° éd. p. 294). Sebilet, Art. poět. éd. 1573, p. 79.

2. Dans beaucoup de cas l'usage est indifférent : « Estant dernièrement à Paris, je vi le roy ou j'ay veu le Roy.

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Il ne semble pas que Malherbe ait vu bien clair dans tout cela. Il se borne à prescrire de continuer avec le même prétérit qu'on a employé au début. Ex.:

Ayant l'œil et le cœur gros d'ennuis et de larmes,

Je le fey convenir au siege de Raison.

Là je me presentay.....

Puis confus et tremblant.....

Je me suis plaint ainsi.

« Je me suis plaint, suivant lui, ne s'accorde pas avec je le fis convenir, ni avec là je me présentai. » (1)

Comparez l'observation suivante :

« J'ai dit à mon Desir, Pense à te bien guider,...
Il ne m'escouta point, mais jeune et volontaire,
Par un nouveau sentier se voulut hazarder.

Je vey le ciel sur luy mille orages darder...
Je le vey traversé...

Puisqu'il dit: il ne m'écouta point; et encore: je vis le ciel, etc. il devoit dire je dis, en aoriste, et non j'ai dit en prétérit. »> (2) On voit combien cette règle est étroite. Dans les deux cas, le mélange des formes n'a rien de choquant, et la langue moderne l'accepterait fort bien.

Mélange du prétérit et du présent historique.

Malherbe se sert

plusieurs fois lui-même de ce procédé de style, mais le reproche à Desportes. Ex.:

Trois fois les Xanthiens au feu de leur patrie

Se sont ensevelis avec la liberté:

Et le vaillant Caton, d'un esprit indonté,

Afin de mourir libre est cruel à sa vie.

(1) D. I, Proc. cont. Am., IV, 266.

(2) Cleon. 2, IV, 328. Comp. El. II, Avent 1°, IV, 389, où Malherbe a rétabli cessa dans ce vers :

Tant que la nuict dura de pleurer n'a cessé.

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Temps présent el passé confondu. » (1)

Ce tour, si fréquent en latin et dans nos vieux auteurs, (2) n'a heureusement pas disparu, et continue à donner du mouvement aux récits historiques, à condition qu'on en use avec discrétion.

Mélange du présent et du futur. Voici encore une observation très sévère :

Raison, arriere donc ta remonstrance est vaine,
Si je meurs en chemin, je seray hors de paine,
Et par mon haut desir j'honore mon trespas.

« J'honorerai, dit Malherbe, comme je serai. » (3) En vérité il semble que certains bonheurs d'expression échappent à ce grammairien qui est pourtant un poète. Le présent ne donne-t-il pas au désespoir de Desportes plus de vivacité et de résolution?

Quant au principe même, qui crée entre ces deux temps des affinités, il résulte de leur nature.

Mais un dernier exemple montrera mieux que tout autre l'étroitesse des vues de Malherbe.

Ton œil, qui les Dieux esmouvoit,
Contraignant tout ce qui vivoit,
Sous l'amoureuse obeissance:
Et l'esclat brillant de ton teint
M'avoyent si vivement atteint,

Que je tremble encor quand j'y panse.

« A quel propos, reprend Malherbe, vivoit, en temps imparfait; l devoit dire tout ce qu'il voyoit. » (4) L'exigence passe les bornes, Dans une phrase relative, comme dans une phrase complétive, de

(1) Cleon. 10, IV, 330. Il a barré une phrase analogue, f 228 ro (V Ms. de la B. N.) Comp. encore D. I, 16, IV, 252.

(2) Régn. Sat. VIII.

Dieu scait combien alors il me dist de sottises...
Et s'y met si avant que je creu que mes jours.....

Comp. Il me tendit la main, que je baisay cent fois,

Poussant mille sanglots qui m'estoufoyent la voix,

Si qu'estreinte de mal je ne luy peux rien dire. Garn. VII, 407.

(3) Am. d'H. 9, IV, 298.

(4) Div. Am. Ode, IV, 433.

la nature de celle-ci, on peut considérer l'action comme relative au verbe principal, aussi bien que comme indépendante de lui. Ce qui vivoit se justifie aussi bien que ce qui vit, mieux même, car il veut faire sentir à sa maîtresse infidèle que tout cela ne l'émeut plus, que son charme est passé, « comme l'onde et comme le vent »; le passé convient donc mieux.

VII. DES MODES

De l'indicatif et du subjonctif.

Il est à peine besoin de remarquer que Malherbe ne veut pas qu'on mêle et qu'on confonde les deux modes, lui qui entend qu'on ne confonde rien. Desportes est vivement repris pour avoir dit:

Mari, frere, vallets ne sçauroyent l'empescher

Que jusqu'à vostre lict ne se vienne approcher,

Vous voit, vous entretient, vous estime admirable...

<<< Comme il a dit vienne, il falloit nécessairement dire: vous voie, vous entretienne, et à cela il n'y a excuse quelconque. » (1)

Indicatif et subjonctif se distinguent, non seulement par l'usage, mais par leur valeur logique. Il semble en effet que Malherbe a eu une idée très nette et très suivie de leur rôle respectif.

Pour lui le subjonctit exprime le doute, tandis que l'indicatif est le mode de l'affirmation. (2)

(1) Am. d'H. 81, IV, 321. Il ne veut même pas laisser le choix quand deux constructions sont possibles. Ex.:

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Quelque herbe ou quelque fleur qui les cœurs peut contraindre. peut et puisse conviennent également. Malherbe impose le second. (Berg. et Masc. 4, IV, 451).

(2) Comp. Maupas : « Si nous parlons de chose certaine et qui est realement et de fait, apres la conjonction que ou les relatifs qui, que,... viendront verbes indicatifs, suivant la nature indicative de montrer ce qui est actuellement.

Au contraire, si nous parlons de chose non reellement existente... après ladite conjonction et relatifs viendront temps optatifs.» (146 v°, 1° éd. p.. 311) Le chapitre de Maupas est fort remarquable.

Ainsi la conjonction bien que se rencontrait au XVI° siècle, tantôt avec l'indicatif, tantôt avec le subjonctif :

Bien que je scay que ce qu'on estime... (Marg. Let. 24, L.). Bien que à la vérité la pluspart de nos actions ne soient que masque et que fard. (Mont. I, 269, ib.)

Malherbe veut garder ces deux constructions, mais en les distinguant :

Bien que vous fussiez, s'entend d'une chose douteuse, bien que vous fûtes d'une chose certaine. >> » (1)

L'observation a plus qu'une portée particulière, elle révèle, il me semble, la véritable idée de Malherbe, qui s'affirmera dans l'ensemble des autres remarques.

On met l'indicatif chaque fois qu'il s'agit d'un fait réel :

1° Après faire que.

Il faut dire qui faites que je vis. «Si faites étoit impératif, il eut bien dit... En indicatif : vous faites que tout le monde vous chérit; en impératif faites que tout le monde vous chérisse. » (2)

2° Après d'où vient que? Ex.:

D'où vient que cela vous déplait.

Le doute ne porte, en effet, que sur la première proposition, la seconde énonce un fait. (3)

3 Après se faut-il étonner si? Ex. :

Se faut-il estonner, si m'estant veu domter,

Je me sois efforcé

Mal pour je me suis. (4)

4° Après ne savoir comme, dont le doute ne porte pas sur l'action qui suit. Ex.:

Et ne sçauroit penser

Comme il puisse des yeux tant de larmes verser. (5)

Il faut il peut.

(1) Am. d'H. 69, IV, 319.

(2) El. I, 12, IV, 368; comp. D. 1. comp. 1, IV, 262.

(3) D. I, 41, IV, 256; comp. Maupas: En termes negatifs, conditionnels et interrogatifs, on y peut aussi apporter l'indicatif. Mais la vérité est que l'optatif y est plus vif et de meilleure grace (fo 148 ro). »

(4) Div. Am. st. 2, IV, 438.

(5) Im. de l'Ar. Rol. fur., IV, 402.

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