Page images
PDF
EPUB

bien au lieu d'en ce qu'il entreprend, il devoit dire à ce qu'il entreprend. (1)

Désireux ne peut s'employer absolument. (2) En restreignant son sens, Malherbe a failli faire périr le mot, qui auprès des puristes de la seconde moitié du siècle passait pour vieux (3); heureusement il a repris une nouvelle vigueur.

Prochain à un tel qu'on trouve dans les premières poésies de Malherbe, (4) ne lui paraît chez Desportes « guère à son goût. » (5)

Admirable de « ne se peut excuser; on dit admirable à quelqu'un, à tout le monde. >> (6)

Impossible se construit avec à et non de. « On dit bien : c'est chose qu'il est impossible d'avoir, mais on dit : c'est chose impossible à avoir, à faire, à prendre, etc. » (7)

Adjectifs attributs.

Desportes use souvent d'une construction heureuse et courte qui consiste à donner comme attribut à un verbe un adjectif qui exprime le résultat de l'action marquée par ce verbe. Ex.:

Si ma flamme doit croistre esgale à sa beauté

Ce vers déplaît à Malherbe qui le souligne (8). Tout au plus pourrait-on reprocher au poète d'avoir été parfois trop audacieux comme ici:

Tu rechanges nos cœurs de cent sortes diverses,
Bouillans et refroidis, craintifs et genereux.

(1) Div. Am. st. du mar., IV, 446.

(2) Div. Am. comp. 3, IV, 440; dans le ms. de la B. N. Malherbe a souligné le même mot au son. 13 du liv. II de Diane.

(3) Bouhours d'après Lit. prétendait que ceux qui écrivaient poliment ne

s'en servaient point.

(4) Euv. I, 9, vers 136.

(5) Div. Am. comp. 4, IV, 441.

(6) Cleon. 69, IV, 346.

(7) Ib. 39, IV, 333.

(8) Ms. de la B. Nat. Cleon. 35, f 128 v°. Comp. D. I, comp. 1; Ib. 42 et encore Div. Am. st. 1° 286 v°: que de tant de beautez, libre, il se peust distraire.

Le mot rechange n'est pas assez net pour permettre d'y accoler des adjectifs exprimant l'effet de ces changements. (1)

Mais, en général, le tour est agréable et permet d'éviter les lourds auxiliaires rendre, faire, etc., la répétition des verbes, et surtout les conjonctions si dures qui traduisent en français le ut des Latins. Il ne mérite donc pas les plaisanteries pesantes dont il est l'objet. (2) Au reste on le retrouve dans les propres disciples de Malherbe : Et puisse le destin

Faire durer vos jours aussi longs que les miens. (3)

Desportes avait essayé aussi d'employer l'adjectif au sens où on trouve souvent le participe dans les langues anciennes, comme équivalant seul à une proposition précédée de si ou de quoique. Ex.:

Et toi, guerrière main,

Qui peut, näe, acquérir la victoire de Mars. (4)

C'est-à-dire à condition d'être nue.

Pourveu que le sort ne rompe mes liesses,

Gardez pour vous le Ciel, sainte troupe des Dieux,
Beuvez vostre Nectar, caressez vos Deesses
Mortel, je ne seray sur vostre aise envieux. (5)

C'est-à-dire quoique mortel.

Malherbe ne trouvait pas sans doute le tour assez clair et il le souligne. Il n'a pas, malgré lui, cessé de servir aux poètes.

(1) D. I, cont. am., IV, 270; comp. Reg. sat. 12.

Et qu'aux despens d'autruy sage je m'enseignasse.

(2) El. II, la pyrom. IV, 381.

(3) Racan, I, 25.

(4) D. II, 61; comp.: Am. d'H. 10, IV, 298.

(5) Cleon. 68, f° 140 v°.

CHAPITRE III

DES NOMS DE NOMBRE

Malherbe ne voulait pas, nous dit Racan, « que l'on nombràt en vers de ces nombres vagues, comme mille ou cent tourments, et disoit assez plaisamment, quand il voyait quelqu'un nombrer de cette sorte: « Peut-être n'y en avoit-il que quatre-vingt-dix-neuf. » Mais il estimoit qu'il y avoit de la grâce à nombrer nécessairement. (1)

Et pour commencer par lui-même l'application de sa doctrine, il corrigea un de ses vers.

Race de mille rois, adorable princesse

devint Race de tant de rois, adorable princesse.» (2) Exception n'était faite que pour des vers comme celui-ci : De l'un de ses pensers cent autres renouvellent.

Ici le « cent est bien parce qu'il est opposé à un. » (3)

En conséquence Malherbe poursuit impitoyablement les cent, mille et cent mille, qui fourmillent dans les vers de Desportes, déclarant sa doctrine d'abord (4) puis, cela fait, rayant et barrant (5) sans plus.

(1) Rac. d. Malh. I, LXXXV.

(2) D'après Ménage, Ed. de Malh. III, 208. (L'édition Lalanne ne parle pas de cette variante.)

(3) El. II. av. 1°, IV, 388.

(4) D I. 13, IV, 252.

(5) Ms. B. N. D. I, dial. 1 ; son. 43; 32; 37; comp. 3; d› la jalousie ; son 62; El. 1, 6, etc

Il est certain que Desportes <«< nombre » un peu librement. Ex.:

(II) avoit victorieux en cent lieux combatu,

Soustenu mille assauts d'un cœur non abbatu.

<< Il avoit combattu en cent lieux et soutenu mille assauts, il y avait donc dix assauts en chaque lieu », observera le lecteur avec Malherbe.» (1)

Ailleurs l'inadvertance est plus grave. On n'écrit pas sans se rendre un peu ridicule

Contre les beautez de mille Damoizelles

Immuable et constant j'ay tousjours resisté! (2)

Toutefois, en thèse générale, Malherbe avait tort. Il eut tort dès son temps. Deimier continua à observer que ces nombres indéterminés étaient usuels, (3) et Vaugelas se prononça contre cette exigence. (4)

Il serait oiseux de démontrer que leur désobéissance était légitime. Les expressions ainsi indéterminées sont d'une extrême commodité. D'abord elles fournissent à la conversation des formules comme «j'ai vu cela cent fois », qui dispensent de rechercher des souvenirs épars et lointains; « je vous fais mille amitiés ou vous envoie mille compliments» sont au nombre des ressources indispensables au style épistolaire.

Il faut ajouter aussi qu'avec des mille et des cent, on produit de fort beaux effets en vers et même en prose. La précision est sans doute une qualité essentielle de l'art, et souvent des nombres vagues pourraient être remplacés par d'autres précis, sans que l'impression en fût diminuée. Quand Laodice dit à Nicomède:

Montrez cent mille bras tout prets à me venger.

Parlez la force en main,

Elle pourrait tout aussi bien dire dix mille ou douze cents. Le vers resterait énergique pourvu que les proportions, entre les forces

(1) El. II, av. pr., IV, 387. Comp. El. I, 19, IV, 377.

(2) El. I, 13, IV, 369.

(3) Acad. p. 299.

(4) Rem II, 458.

de Nicomède et celles de ses ennemis restassent les mêmes, que le nombre de ses soldats fût encore imposant, qu'il donnat quand même l'idée d'une force irrésistible. Mais il n'en est pas partout ainsi.

Qu'on se rappelle les imprécations de Camille :

Que l'Orient contre elle à l'Occident s'allie,
Que cent peuples, unis des bouts de l'univers,
Passe pour la détruire et les monts et les mers.

Quel chiffre pourrait remplacer cent, si ce n'est un autre indéterminé comme vingt? Il n'y a donc pas besoin d'une antithèse pour donner de la «< grâce (1) à ces phrases numérales ». Elles en trouvent souvent dans ce << quelque autre chose » que Malberbe a vu, mais n'a pas pris la peine de déterminer.

(1) D. I, 13, IV, 252.

« PreviousContinue »