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et du Bellay la recommande formellement : « Use des noms pour les adverbes, comme ils combattent obstinez pour obstinéement, il vole leger pour legerement. (1)

A l'époque de Malherbe, elle est fréquente encore dans les textes. non seulement de langue archaïque (2), mais chez les vrais comtemporains, comme Régnier et Bertaut. (3)

C'était aller trop loin. L'adverbe et l'adjectif, quoique très voisins, doivent être distingués. L'un qualifie l'état, la manière d'être d'une personne ou d'une chose, l'autre qualifie l'action marquée par le verbe. Il est monté pacifique sur un trône ébranlé ne signifie pas du tout la même chose que il est monté pacifiquement sur un trône ébranlé. La première phrase veut dire qu'il y est monté avec un naturel, des idées pacifiques, la seconde qu'il y est monté par des moyens pacifiques.

Avec l'extension donnée par Ronsard au tour que nous étudions, il eût bientôt fallu chercher d'autres procédés moins simples pour rendre ces nuances.

Mais, en revanche, Malherbe, poussé sans doute par cette affection excessive pour les adverbes qu'il va léguer aux Précieuses, est allé trop loin dans la réaction et la langue moderne ne lui a pas toujours donné raison.

Il y a beaucoup de cas où la qualification peut et même doit porter à la fois sur le nom et sur le verbe. L'adjectif alors convient. parfaitement.

Nous écririons très-bien avec Bossuet « Il règne paisible et glorieux sur le trône de ses ancêtres. >>

Et aussi avec Desportes: Je m'embarquay joyeux sur l'amoureuse mer; (4) puis disparut légère. (5)

(1) Def. et ill. II, 9.

(2) Vauq II, 450.

Comp. 609:

(3)

Philanon... libre menoit son troupeau paistre.

Plus aucun faux berger

Lascif ne nous regardera

Prens en gré mon zèle et reçoy favorable

De ces tristes présens l'offerte pitoyable. (Bert. Euvres, 145).

(4) Cleon. 23, fo 124 vo.

(5) El. II, av. 1°, IV, 390, copie B. Comp. ib. av. 2°, IV, 393, ib.

Une des belles pièces d'Hugo ne commence-t-elle pas tout pareil

lement:

Oh! combien de marins, combien de capitaines,

Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines !

En effet, les marins sont-ils joyeux de partir, et parce qu'ils partent, ou bien sont-ils joyeux de nature, ont-ils la gaîté que donne une jeunesse robuste et confiante, le poète n'a pas d'intérêt à distinguer; au contraire, en ne précisant pas, il semble condenser en eux toutes ces joies, l'adjectif convient donc mieux, il ajoute à la force de l'antithèse et par suite du tableau.

Ajoutons que souvent l'adverbe est lourd, ou que même il manque. Qu'on essaie ici de remplacer les adjectifs :

Elle ira son chemin, distraite, et sans entendre
Ce murmure d'amour élevé sur ses pas. (1)

Sans repos, sans sommeil, coudes percés, sans vivres,
Ils allaient, fiers, joyeux, et soufflant dans des cuivres
Ainsi que des démons. (2)

On pourrait citer d'autres exemples (3) et donner d'autres raisons. Cette construction, sans se multiplier par analogie comme les gens du XVI° siècle l'eussent voulu, s'est donc conservée où la logique la permettait, et où la demandait l'élégance et la commodité du style.

Adverbes et adjectifs.

Nous avons vu avec quel soin Malherbe distingue les adjectifs des adverbes. Inversement il ne veut pas qu'on substitue un adverbe à un adjectif :

Les a liez ensemble, et les joint tellement

Qu'ils demeurent tousjours inseparablement.

(1) Arvers, Heures perdues, p. 53.

(2) V. Hugo, Chât., II, 7.

(3) Ils seraient particulièrement nombreux avec des verbes qui marquent l'état. Ex.:

Mais c'est un trop grand mal de languir miserable

Malgré Malherbe, ce vers est très correct et très bon. (D., I, comp. 1)

« est mal parlé; il devoit dire: ils demeurent inséparables, ou: ils sont joints inséparablement, ou bien ils demeurent ensemble inséparablement. » (1)

-

Forme de quelques adjectifs.

1. Grand. Malherbe, comme tous les grammairiens de son temps, a ignoré pourquoi certains adjectifs avaient le féminin semblable au masculin. Avec eux, et sans s'apercevoir qu'on disait encore mère grand aussi bien que grand'mère, il expliquait cette dernière expression, ainsi que les analogues, par une élision de l'e féminin, (2) si bien qu'il ne l'accepte pas là où grande est suivi d'un h aspiré. (3) On sait que l'erreur est encore aujourd'hui consacrée par l'autorité de l'Académie.

Puis, par une conséquence naturelle, comme il réprouvait l'élision, il entendit restreindre l'emploi de cette forme grand, dont il usait cependant très librement lui-même. (4) C'est ainsi qu'il relève au pluriel grand's masses pierreuses et grand's deïtez. (5) Au singulier il a souligné grand' un certain nombre de fois. (6)

Deimier a des scrupules tout pareils, il commence par annoncer que pour éviter la cacophanie (sic) on dit : c'est une grand' Dame. « Pour ce mesme respect on use de ceste abreviation en plusieurs autres dictions, dont le substantif commence par la lettre d, et mesmes en quelques autres qui ne sont pas commencez ainsi; entre lesquels ces trois suivans sont fort ordinaires, la granl' Bretaigne, la grand mer Occeane, la grand' Salle, comme de mesme on dit souvent ainsi c'est une grand' beauté, c'est homme a de grand's

(1) El. I, 7, IV, 360.

(2) Deim., Acad, p. 177; Maupas, Gram. 20 vo.

(3) Div. Am. ch. 2, IV, 428.

(4) Malh. V. Lex. au mot grand.

(5) D. 1, 13, IV, 252; Epit. Compl. II, IV, 471; comp. D. I, ch. d'amour f26 r B. N.

(6) D. I, Proc. cont. Am. f 31 ro. Am. d'H. 17, f° 77 ro; 34, f 93 ro st. 5, f116 v; El. II, 4, f° 201 v°; Im. d'Ar. Rod. fs 237 r°, 242 r*, ib. v°; Dir. Am comp. f 285 r°, Ad. à la Pologne, f 293 v°. A M" de Bris. f

sur la mort de Diane 6, f 334 r.

296r*• . E .

richesses. Toutefois je ne suis point d'opinion que raisonablement on puisse user de cest abregement en autre terme que celuy de Dame, bien que si l'on y veut mettre cest adjectif grande tout au long, il n'iroit pas de mauvaise façon, » elc. (1)

Sont-ce ces prescriptions ou n'est-ce pas plutôt l'analogie qui a fini par réduire le nombre des locutions où la vieille forme a duré? On sait en tout cas quelles elles sont, le recueil s'en trouve partout. (2)

Ce qui est étonnant, c'est qu'elles aient survécu en présence d'exigences comme celles de Gombaud, qui reprochait à une jeune fille d'avoir épousé un M. de Vieux-Maison « dont le nom ne pouvait se prononcer sans faire un solécisme. » (3)

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II. Nu. «Quand nous oyons prononcer nu tête, ce n'est de pas nud tête; car quelle construction seroit-ce de dire nud tête ? (4) Quoiqu'on le pût dire en latin, il ne se peut dire en françois, mais on dit nue tête, et par une élision nu tête, nues jambes, et par élision, nu jambes et nus pieds non nud pieds. ›

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C'est, à ma connaissance, la première mention de cette règle qui a abouti aux inconséquences orthographiques que l'on sait. On la trouve discutée et amplifiée dans les Remarques de Vaugelas et les observations des commentateurs, qui vont plus loin que Malherbe, et veulent qu'on écrive nu-pieds comme nu-jambes. (5)

Peut-être en effet n'y a-t-il là qu'un fait de prononciation, malgré les théories édifiées sur l'emploi adverbial de l'adjectif.

Remarquons du reste que Desportes était sans doute d'accord avec Malherbe, et que le d ajouté au mot l'avait été par les imprimeurs suivant la mode du temps. L'absence d'une apostrophe ne prouve rien. Malherbe lui-même n'en use souvent pas.

(1) Deim., Acad. p. 176 et suiv.

(2) V. Thurot. Hist. de la prononc. fr. I, 175 qui donne quelques indications sur l'usage du XVI s. La question est discutée par Vaugelas, Patru, Thomas Corneille et l'Académie. V. Vaug. I. 277. Comp. de Gournay, Omb. 965, (3) Tall. III, 364.

(4) A propos de ce vers:

Les pieds et les bras nus, nud teste et sans ceinture (El. II, La pyrom., IV, 384). (5) Vaug. Rem. I, 144.

Accord des adjectifs.

L'accord des adjectifs en genre et nombre avec les substantifs/ est obligatoire. On ne peut pas écrire :

Vos douces beautez et ma foy

Sont du tout exempts de la loy.

«S'il y avoit eu avec beautés quelque mot masculin, il y eût eu à douter; mais ici la faute est sans réplique, car foi et beauté sont tous deux de féminin genre. C'est comme s'il disoit Catherine sont morts. » (1)

Cette règle est très-stricte. Ainsi dans ces vers:

Amour, que dis-je Amour ?.....

Appetit dereglė...

Racine de malheur.....

Nid de deception, peste contagieuse,

Entretenu d'espoir, de crainte et de désir, (2)

Jeanne et

bien que le mot amour domine toute la phrase, on ne peut laisser entretenu au masculin singulier, on ne voit pas assez à qui « il se réfère. »

2° Quand l'adjectif qualifie plusieurs substantifs qui précèdent ou qui suivent, l'accord ne peut se faire avec un seul. Ex.:

Avec un seul Belleau tu peux voir enterré
Phebus, Amour, Mercure, et la plus chere Grace. (3)

«Enterré devoit estre plurier.

Pour rendre mon desir et ma peine eternelle

«Eternelle se rapporte à la peine; que deviendra le desir? » (4)

(1) D. II, ch. 5, IV, 292

(2) D. I, Cont. Am., IV, 270.

(3) Epit. de Remy Belleau, IV, 466.

(4) D. II, 3, IV, 273.

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