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aux autres, ce fut une poussée bien plus forte que son influence qui les détermina.

Je vois tout le monde du reste collaborer à cette œuvre, sauf quelques entêtés, comme Mile de Gournay, obligée de ne pas renier Montaigne et ceux de ses mots qui «< tiennent un filet du Gascon. » (1)

Mais du Perron veut qu'on « s'étudie à parler le seul langage de la Cour, en laquelle se trouve tout ce qu'il y a de politesse dans le royaume, les dialectes n'étant en usage que «es états populaires et aristocratiques où l'on s'y doit accommoder, mais non aux Estats monarchiques. » (2)

Vauquelin, fidèle cependant d'ordinaire aux théories de la Pléiade, déclare qu'il faut :

...Ne recevoir plus la jeunesse hardie

A faire ainsi des mots nouveaux à l'estourdie,
Amenant de Gascongne ou de Languedouy
D'Albigeois, de Provence, un langage inouy
Et, comme un du Monin, faire une parlerie
Qui, nouvelle, ne sert que d'une moquerie. (3)

Deimier revient quatre ou cinq fois sur cette question. Il accuse Ronsard d'avoir imité en cela la licence des poètes grecs, et d'avoir encouragé les poètes, particulièrement du Bartas, à introduire «< des idiomes macaroniques parmi la richesse et la bonté d'un si beau langage. »> (4)

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Toutefois Malherbe est, comme toujours, bon ouvrier de détail, et s'attaque sans relàche à tout ce qui lui paraît étranger au « vrai français » et peu « courtisan. »

Já est un mot «< qui ne s'use qu'entre les paysans. » (5) — gonflé

(1) Omb. 574. Encore veut-elle que « l'escrivain ne soit pas le Poete Angevin, Auvergnac, Vandosmois, ou Picard, ouy bien le Poete François (489). (2) Perron. p. 93.

(3) Art. poét. I, 69.

(4) Acad. p. 133. Comp. p. 128, 368, 405, 159, 328.

(5) Am. d'H. 26, IV, 305.

est provençal, (1) ainsi que paure iou, (2) maint et maint est gascon. (3) Avoir deuil est normand. (4)

Et ce ne sont pas les mots seuls qu'il poursuit, mais la manière dout on les prononce, la forme, le sens ou la syntaxe qu'on leur donne:

Poursuivir est un infinitif normand. (5) La vraie forme est poursuivre.

Nid se prononce ni et non nit ou nic, sinon en Vendômois (6); de même pour nu, auquel les Gascons seuls ajoutent le t. (7)

Fier, signifiant joyeux, ne s'emploie qu'en Normandie. (8) Déteinte se dit d'un drap ou autre chose qui a perdu sa couleur, seuls les Normands disent; la chandelle est déteinte pour éteinte (9). Serrer n'a pas le sens de fermer en France, mais en Provence ou autres tels lieux, où l'on dit serrer les yeux, serrer la porte... pour clore (10); filet pour fil« est mal. Quelques dialectes en usent, mais non les vrais françois. » (11)

Parmi ces remarques quelques-unes pourraient être contestées. On trouve des exemples anciens de serrer au sens de clore, et plus

(1) Rol. fur. IV, 401. Le mot ne semble pas antérieur au XVIe siècle. Il n'est pas cité par les lexiques. Au contraire on le trouve dans les ouvrages et aussi dans les dictionnaires du XVII° siècle. (V. Richelet, Furetière, l'Académie et Sévigné, VII, 494).

(2) Div. Am. cont. une nuit trop claire, IV, 425. (L'expression est encore barrée dans une Comp. des Div. Am. fo 285 r°) Remarquer qu'elle est aussi bien italienne que provençale.

(3) D. II, 13, IV, 275.

(4) Epit. Regr. sur la m. de Diane, V, IV, 469.

(5) Am. d'H. él. 2, IV, 307. Dans le ms. orig. le mot est souligné à l'él.

I du même recueil, f° 79 r°. Remarquer qu'on le trouve sous cette forme au XVI siècle, particulièrement dans le recueil de des Accords.

(6) Epit. Reg. sur la mort de D. II, IV, 469.

(7) Rod. IV, 416.

(8) D. I, 22, IV, 253.

(9) Epit. du latin de M. de Pimpont, IV, 468.

(10) El. II, 5. IV, 382. Comp. dans le ms. or. Div. Am.1 jour de l'an, f° 257 r• Ib. son. 22.

(11) Berg. et Masc. son. 5, IV, 453, Malherbe blâme ailleurs nuit fermée pour nuit close. V. ms. or. El. II, av. prem. f 213 r. On trouve l'expression jusqu'au XVIIe siècle (V. les lexiques de Corneille et Sévigné).

encore de filet au sens de petit fil. Estienne, Nicot, Monet, Oudin, Mellema enregistrent cette signification. Et plus tard ni Richelet ni Furetière, ni l'Académie ne l'ont contestée. On la retrouve dans Molière (Mal. imag. III, 7) tout comme dans Regnier (sat. X) et dans Théophile (I, 236). Du reste Malherbe a dit lui-même :

Devide aux ans de leur Dauphin,

A longs filets d'or et de soie,

Un bonheur qui n'ait point de fin. (1,83)

Mais c'est la tendance qui importe. Désormais elle ira croissant. On ne disputera plus pour savoir si c'est Orléans, ou Tours ou Vandosmes ou Bourges qui méritent le second lieu et parlent le mieux français après la capitale. (1) Les mots comme les gens devront avoir pris le bel air qui n'est qu'à Paris et Malherbe luimême sera accusé de « normannisme » (2).

(1) H. Est. Précel. p. 176.

(2) I, 214; il emploie conduites pour conduits et Ménage le relève (éd. de M. III, p. 196).

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CHAPITRE IX

DES MOTS TECHNIQUES

« Je te veux advertir, disait du Bellay, de hanter quelquesfois non seulement les Scavans, mais aussi toutes sortes d'Ouvriers et gens Mecaniques, comme Mariniers, Fondeurs, Peintres, Engraveurs et autres, scavoir leurs inventions, les noms des matieres, des outilz et les termes usitez en leurs Ars et mestiers, pour tyrer de la ces belles comparaisons et vives descriptions de toutes choses. » Ronsard tient le même langage. (1) Et Pasquier enchanté d'avoir appris d'un veneur à traduire ab unguibus leonem, d'un maquignon à se défendre d'un prix, donne à l'écrivain les mêmes conseils « de ne contemner nul, quel qu'il, soit en sa profession. Pour parler du faict militaire, qu'il haleine les capitaines et guerriers, pour la chasse les veneurs, pour les finances les thrésoriers, pour la practique les gens du Palais, voire jusques aux plus petits artisans en leurs arts et manufactures. » (2) Henri Estienne disserte longuement sur la manière dont on peut se servir de ces termes par métaphore. (3)

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Pour Malherbe, au contraire, tous les vocabulaires spéciaux doivent rester la propriété des hommes de métier. (4) Les méde

(1) Def. II, 11) Comp. Rons. VII, 321.

(2) Pasq. lett. XII, œuv. II, 47 b.

(3) Préc. 143.

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(4) Aurait-il emprunté ces idées aux Italiens? Castelvetro en tous cas les défend dans sa Poétique : « guardarsi, che non usiamo alcuna parte di ‹ quelle scienze ed arti in alcun luogo del Poëma (Vén, éd. de M. III, 192).

BRUNOT

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