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de terme de fleuriste, et Furetière ne veut plus qu'on dise comme autrefois saison printanière, âge printanier, mais seulement fleur printanière. Malgré ces restrictions on sait que le mot, grâce aux écrivains, a fait, son chemin et a forcé l'entrée du Dictionnaire de l'Académie (1).

Des diminutifs.

Malherbe n'a pas, à vrai dire, condamné les diminutifs, et sa sévérité pour quelques-uns d'entre eux s'explique par des causes particulières.

Il trouve l'expression faire le doucet, la doucette « basse ». (2) Pourprette d'autre part lui paraît sot, (3) « parce qu'il ne sait comment Desportes « entend de faire d'un substantif pourpre, un adjectif diminutif pourprette. J'ai bien lu, dit-il, rougette, pour un peu rouge, mais il vient d'un adjectif. » (4)

Enfin il ne voudrait plus « user de sagette qu'en bouffonnerie >> parce que le mot est hors d'usage. (5)

Mais nulle part je ne vois que Malherbe pose

dans son premier texte la question générale de la formation des diminutifs.

Au contraire la copie B de l'Arsenal ajoute à propos de pourprettes « Ces diminutifs n'ont guère bonne grâce en français, et jette ainsi une des idées qui ont été alors les plus discutées.

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(1) Les contemporains couronnier, testier, ont été moins heureux. (2) Berg. et Masc. Imit. d'Horace, IV, 456. Ce mot est fréquent dans Régnier (Sat. VIII, IX); Nicot et Oudin le citent sans commentaires. Molière l'emploie (Tart. I, 1) et Corneille aussi, mais dans une comédie (Suite Ment. IV, 290); Richelet donne doucet comme burlesque. Ni Furetière ni l'Académie ne se prononcent. M" de Gournay défend doucet (505). (3) El. I, 4, IV, 356.

(4) El. II, av. 1°, IV, 387. Sans examiner la question en soi, remarquons que pourpret est dans Ronsard, et que les dictionnaires d'Estienne et de Monet le citent.

(5) El. de Bert. IV, 352.

On sait en effet quel usage les poètes du XVIe siècle avaient fait des diminutifs :

Ma maistresse est toute angelette,

Toute ma rose nouvelette,

Toute mon gracieux orgueil,

Toute ma petite brunette,

Toute ma douce mignonnetle,

Toute mon cœur, toute mon œil. (Rons. I, 163)

Certains d'entre eux se sont par là ridiculisés pour toujours. Le sévère Vauquelin lui-même n'a pas échappé à cette contagion:

Le rusé Cupidon,

Voyant Philis seulete,
Luy jetta son brandon,

Et tira sa sagete :
Mais cet enfantelet,

Ne pouvant de sa fleche,

Dans le cœur tendrelet,

Luy faire aucune breche, etc. (1)

De leur côté les théoriciens de la langue avaient enseigné à former ces dérivés. Dubois avait commencé, puis Pillot, (2) et enfin H. Estienne, qui avait vu là un des avantages des Français « par dessus Messieurs les Italiens. » (3)

Je ne sache pas que dans les premières années du XVIIe siècle la réaction contre ces idées se fût déjà fortement marquée.Deimier avait bien condamné cœuret et astrellet, (4) parmi trois cents mots qu'un forgeur de nouveautés lui avait cités comme étant de son invention,

(1) II, 498, On n'a, « dit son nouvel éditeur, dans ce pays là que des cœurs mignardelets, que de tendrelets enfançons. L'onde, plus que clairette, devient argentelette, par la vertu de la rime, et il ferait beau voir que l'émeraude ne fût pas verdelette, ni la rose vermeillette. Quant à Lycoris, comment lui résister? Elle a pour nous affriander une bouchelette sucrine, et pour nous attendrir des larmelettes. » (III, XXI)

(2) V. Loiseau Et. s. Pillot, 93.

(3) Voir cette longue discussion dans la « Précellence » p. 97. (4) Acad. 471,

mais nulle part il ne se prononce sur le procédé même. Maupas consacre de son côté tout un chapitre à la forme diminutive. (1)

On pressent donc peut-être qu'on va mettre plus de discrétion. dans l'emploi de ces formes, rien n'indique qu'on va les proscrire. Malherbe, lui-même, ne peut-être considéré avec certitude comme l'ennemi des diminutifs, mais son école en tous cas leur fut très hostile. Nous le savons par Vaugelas, (2) et surtout par la belle campagne que Me de Gournay a faite en leur faveur, « protestant contre la capricieuse humeur qui les deffend, ceste seule pauvrette (3) estant quelquefois exceptée. » (4)

(1) P. 51. v°.

(2) II, 412.

(3) Le mot est dans Malherbe I, 160, où Ménage du reste le critique (ŒŒuv. Malh. III, 296). Est-ce pour cela que l'école l'épargnait?

(4) Omb. 975. Notons en passant que la bonne demoiselle n'a jamais été mieux inspirée que dans ce chapitre. Elle ne raisonne pas toujours juste, par exemple quand elle défend des diminutifs devenus équivalents de sens à des simples comme pâquerette ou saucisson, mais les pages qu'elle consacre à ce sujet ont parfois de la grâce et de l'esprit :

« Qui plus est, les enfans de Paris ne voudroient pas estre privez, s'ils ont froid aux doigts, de chercher un chauldet au sein de leur mere, ny de tirer d'une tarte une tartelette, ny d'une tourte un tourteau... et mangent le pain biset, si le blanc leur manque... : sans oublier les chiquenaudes qu'ils donnent par fois après ces bonnes chères au nez de maistre Pierre du Coignet: ni leurs jeux de cligne-musette et de la fossette. D'ailleurs. on cognoist par tout un colet à la gourmette, un enfant en brasseroles... et les Capettes de Montaygu ainsi nommez à cause de leurs petites capes. » (Omb. p. 503, comparez tout le chapitre.)

CHAPITRE VI

DE LA CRÉATION DE MOTS COMPOSÉS

Les recommandations de du Bellay (1) et de Ronsard sur la création de mots composés avaient été si bien suivies par quelques disciples de l'école de Gascogne, que notre langue se trouvait

envahie d'une foule de termes et particulièrement d'innombrables adjectifs de toute forme.

Il s'en faut de beaucoup que Desportes ait donné dans les exagérations ridicules de du Bartas. Non seulement on ne trouve pas chez lui les mots à redoublement ba-battant, flo-flotter, mais même les vrais composés français n'y sont pas nombreux. Comme H. Estienne, et par raison de goût, le poète a voulu «<les semer avec la main, non les répandre à plein sac. » (2) Avait-il entendu le savant philologue développer devant Henri III les idées si sages qu'il allait mettre dans son livre; en avait-on parlé ensemble, et en présence de Ronsard, dans l'Académie du Louvre? En tous cas la pratique de Desportes ressemble singulièrement à la théorie d'Estienne, elle est, comme elle, à égale distance de l'audace brouillonne et de la réserve timorée.

(1) Du Bel. Def. II, 6.

(2) τῇ χειρὶ δεῖ σπείρειν, ἀλλὰ μὴ ὅλῳ τῷ θυλάκῳ. On trouvera la théorie de H. Estienne dans la Précellence » p. 157 et suiv. La p. 168 contient un avertissement direct aux poètes (l'honneur desquels j'ay d'autant plus en recommandation que je les voy s'efforcer à honorer nostre langage).

BRUNOT

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Malherbe se montre ici, comme toujours, absolu.

1° Il trouve blond-doré « ridicule » et cela dans ces vers charmants:

Durant ceste saison le laboureur s'appreste

De cueillir le doux fruict des travaux endurez,

Moissonnant tout joyeux les espis blons-dorez. (1)

C'était condamner d'un seul coup tous les noms de couleur qui expriment si joliment les reflets et les transitions des nuances: vert pâle, jaune rouge, etc. (2)

La langue les a conservés et le vocabulaire des teinturiers en fourmille; mais les grammairiens ne pouvant les supprimer se sont exercés à en compliquer la syntaxe et à inventer des cas où l'accord ne se fait pas, ou se fait avec un seul adjectif, de sorte qu'on dit: une perdrix rouge blanche, des habits gris-clair et des cheveux clairbruns! (3)

2. On rencontre aussi dans les écrivains du XVIe siècle d'autres adjectifs formés, tout comme les précédents, de deux adjectifs juxtaposés, qui, généralement, qualifient des sentiments, des pensées, des caractères, et qui présentent cette particularité que les sens des adjectifs composants sont opposés. Ex.: humble-fier, doux-cruel: D'un œil doux amer,

Tout le monde s'y voit et ne s'y sent nommer. (4)

Desportes avait employé doux poignant :

Priant tous palladins qui passeront ici,

S'ils ont jamais senti le doux poignant souci
Du grand vainqueur des Dieux (5).........

Malherbe a rayé ce mot dans son exemplaire.

(1) Am. d'H. le Cours de l'an, IV, 307. Dans son exemplaire il a en outre souligné le mot deux fois (Div. Am. 37, et D. I, 11)

(2) Les deux que nous citons sont dans Baïf, retournés seulement. Ses contemporains en contiennent beaucoup d'autres: verd gay, noir obscur (Remy Belleau), rouge aiglantin (Vauquelin).

(3) Ayer, Gram. 1° éd. 343,

(4) Rég. Sat. XII. Voir ma thèse latine. (5) Rol. fur. f 226 v°.

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