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La chose ne prouve rien, il est vrai, mais il y a tout lieu de croire cependant que c'est la présence de l'adjectif faux qui lui fait trouver mauvais les vers de Desportes. Ils sont en effet ici d'un réalisme vraiment rude.

Cette vive couleur, qui ravit et qui blesse,...

Ce n'est que blanc d'Espagne, et ces cheveux frisez
Ne sont pas ses cheveux, c'est une fausse tresse.

Pour achever cette courte revue, il faudrait ajouter encore que Malherbe condamne des tours comme vous en faisiez coutume, (1) s'ai-je peur (2) (c'est la peur que j'ai) et quelques images qui lui paraissent vulgaires: baillonner ses maux, (3), des tonneaux d'amertume, (4) et aussi avoir l'amour en bouche, tirailler le cœur, soulignés dans l'exemplaire original (5).

La liste, malgré tout, n'est pas très longue, mais d'autres allaient se charger de la grossir.

Les raffinés du XVIe siècle, qui trouvaient que certains mots sentaient «< sa boulie, sa rave, ou sa place Maubert » avaient eu tort devant l'opinion. (6) Cette fois leur heure était venue.

Malherbe, sans aller aussi loin qu'eux, les avaient autorisés de son exemple. Il en påtit lui-même. Les gueux délicats qui ne trouvaient rien d'assez noble lui reprochèrent ses familiarités: regorger de biens, (7) n'y rien connaître, (8) faire la sourde oreille, (9) etc.

(1) D. I, 60, IV, 260.

(2) Ib. II, jalousie, IV, 283.

(3) D. I, 45, IV, 257.

(4) Div. Am. 6, IV, 423.

(5) El. II, 1. D. II, de la Jalousie. A joindre encore le verbe trėmousser noté (Berg. et M. Chanson, IV, 450).

(6) H. Est. Conform. p. 32. Voir le récit très curieux d'une discussion au sujet de pièça (p. 56).

(7) I, 195. Voyez éd. Ch. M. 1, 247, 379 et III, 202.

(8) I, 204, éd. Ch. M. III, 229.

(9) I, 240, éd. Ch. M. I, 248. Je relève en outre dans le Tite Live: montrer le nez hors des murailles (I, 415) donner sur les doigts (Ib, 415) aller à la picorée (Ib, 423) mettre le nez en ses affaires (Ib. 448) tenir en cervelle (Ib. 452) c'étoit à lui que le paquet s'adressoit (lb. 457). Vaugelas avait déjà fait un semblable catalogue (Rem. II, 426).

C'était le cas de répéter le patere legem.

En tous cas Me de Gournay n'avait pas tout à fait tort, on le voit, de s'écrier: « Où est donc ce vierge serment, ce serment que les nouveaux Poetes tympanisent si haut, de parler la langue toute pure? Est-elle pure, quand non seulement on luy tronque la robbe à demy, comme à quelque drollesse, mais encore le nez et les oreilles? ou comment protestent ceux-cy, d'user purement d'un langage si fort impur, qu'il faut biffer la moitié de ses plus ordinaires, civils et necessaires mots et manieres de parler, qui ne veut diffamer ses ouvrages?» (1)

(1) Omb. p. 983.

CHAPITRE IV

DE L'ARCHAISME

<< Mes enfants, disait Ronsard, deffendez vostre mere de ceux qui veulent faire servante une Damoyselle de bonne maison. Il y a des vocables qui sont françois naturels, qui sentent le vieux, mais le libre et le françois, comme dougé, tenuë, empour, bauger... et autres de telle sorte. Je vous recommande par testament que vous ne laissiez point perdre ces vieux termes. » (1)

Avant de léguer ce précepte à ses successeurs, la Pléiade avait essayé de l'imposer à ses contemporains : «< « Tu ne desdaigneras les vieux mots, (2) qui s'enchassent ainsi qu'une pierre précieuse et rare (3) » mais au contraire « tu les choisiras avecques meure et prudente election » (4) et les remettras en honneur. (5) Et le conseil revient à chaque instant dans les manifestes de l'école. (6)

Pelletier du Mans (7) et Pasquier (8) le reprennent à leur compte.

Aussi a-t-on pu relever dans les œuvres de la Pléiade une foule d'archaïsmes beér, méhaigne, anchoison, caut, gorrier, lé, souef, mesnie, rescorre, rober, tollu, etc.

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(6) On sait que Ronsard conseillait surtout d'en provigner quelques-uns. mais nous n'avons pas à nous occuper de cette question.

(7) Art. poet. p. 39 (Lyon, 1555).

(8) Pasquier Let. 12, tome II, p. 47, a.

Mais il parait, au dire de Henri Estienne que « les louanges du vieil langage étaient subjectes à preuve » et que plusieurs persistaient à le « mespriser » (1). En effet, ceux qui réfléchissaient, comme lui, sentaient bien, et plus sincèrement que Ronsard, qu'il y avait là une question de tact et de goût; qu'il serait impossible de << desrouiller » quelques-uns de ces mots et qu'il fallait ne le tenter que pour un petit nombre qui étaient « les plus conformes au langage du temps. » (2)

Desportes avait à peu près tenu compte, en pratique, des mêmes réserves qu'Estienne recommandait. Mais la réaction devait aller plus loin.

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Du Perron, avec l'air d'abonder encore dans le sens de Ronsard, ne donne plus à ces reprises qu'une importance très secondaire. Suivant lui «< les anciens mots prêtent quelques fois de la dignité et de la majesté au style grandiorem reddunt orationem, comme a dit Cicéron, mais voilà tout. (3) — C'était les admettre dans la proportion où Virgile s'en sert (l'exemple est de Pelletier du Mans), c'est-à-dire, suivant l'expression de Me de Gournay, la «< veille du jubilé (5).

Deimier est plus net, il rompt ouvertement: « Si l'opinion de Ronsard estoit receuë, dit-il, il faudroit remettre en pratique toute la vieille legende des mots dont les anciens François s'exprimoient. Ce qui seroit justement aller de mieux en pis; au lieu que despuis cent ans on a veu que d'un lustre à l'autre la langue Françoise s'est perfectionnee de mieux en mieux, en s'espurant des mauvaises phrases des anciens, aussi bien que de plusieurs de leurs mots qui n'estoient pas si propres de beaucoup comme ceux qui ont esté introduicts en leur place. » (5) C'est bien là l'opinion de Malherbe, non pas qu'il l'ait exprimée, mais les arrêts spéciaux qu'il a rendus et que nous trouverons plus loin la disent assez haut.

(1) Préc. 191.

(2) Conform. p. 22.

(3) Perron. p. 308.

(4) Ménage s'exprime à peu près de même, Ed. de Malh. III, 101. (5) Acad. p. 368. Comp. p. 372, 373, 105.

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