Il ne manquait à sa gloire qu'un envieux, il le trouva à Rabastens, dans la personne d'Augié Gaillard, le « roudier » dont les œuvres sont pleines d'imprécations ou de méchancetés à son adresse. Tout le choque en Desportes. Le culte qu'il a de la femme, la déification de l'objet aimé auquel il prodigue les termes d'adoration qui ne sont dûs qu'à Dieu, révolte le chrétien et le dévot. Desportos, un sounet ey vist dins vostre oubratge. Qu'abets fah de Diano, amai de sa beutat : N'es pas vous malhurous de tene tal lengatge. Que de milo las cent non sou que vouluptat, Et pudon la plus part coumo carrognhos mortos. Comment, à n'en juger que sur ce dernier vers, le talent délicat de Desportes n'eût-il pas échappé à Gaillard? Il est de l'école de Gascogne, son maître est du Barlas (3). Chez celui-là on trouve quelque chose de « bragard », les autres, les faiseurs de ritournelles d'amour, les Ronsard et les Desportes, sont des conteurs de fadaises (4); s'ils ont quelque gentillesse, ils la doivent à la fréquentation des belles dames et d'une société raffinée (5). Encore sont-ils contraints de prendre sans cesse à Pétrarque qui est venu s'en plaindre à Rabastens : Darrieiromen Petrarque uno fort longuo pauzo El debisec ammi, amai el me disio (1) Le texte donne tiguor. (2) Aug. Gail. Lou banquet. p. 261. (3) Lou banq., p. 131. (4) Ib., p. 132. (5) Ib., p. 52 Quel Desportos en el un grant tort li fasio Disio quelli pavec cent vers o dabantatge Que lous a touts de renc fiquats en son hubratge..... Car el n'a fah re plus que cambia lou lengatge (1). Qu'on cesse donc de récompenser si haut de pareils mérites. Un peu plus, voilà que Desportes recevait encore l'évêché de Senlis. Il lui était donné déjà, quand est arrivé un courrier apportant la nouvelle contrariante que le titulaire était encore en vie (2). Les poètes ne sont pas tous comme les cornemuses, qui chantent: d'autant plus clair qu'elles sont plus pleines, Desportes, chargé d'abbayes après avoir été chargé d'écus, sera comme «< ces moulins qui ont trop d'eau et qui deviennent incapables, non seulement de faire de belle farine, mais d'en moudre une bouchée » (3). Et d'un bout à l'autre de ses œuvres, le rude manieur de «< pégasse frappe ainsi sur le « pauvre » Desportes, comme il l'appelle ironiquement. Celui-ci en dut bien rire avec Henri III et la reine de Navarre. Il fallait d'autres attaques pour le déconsidérer près d'eux. Les lointaines protestations de Gaillard se perdent alors en effet dans un concert de cris d'admiration. Pas de poète qui n'envoie à Desportes son tribut d'éloges. On connait ceux dont Vauquelin sème ses œuvres : Desportes, d'Apolon ayant l'ame remplie, Alors que nostre langue estoit plus accomplie, Tu auras pour loyer toute immortalité Car Dieu donne tousjours, par la posterité Un loyer immortel pour une œuvre immortelle (5). (1) Ib. p. 38. Comparez encore page 53 où il lui propose un arrangement ironique. (2) Ib. p. 37. L'anecdote est-elle authentique? Personne autre en tous cas n'en a parlé. (3) Lou bang. p. 38. (4) Art. poet. éd. Genty, 30. Comp. p. 82, p. 136, p. 147. (5) Desp. éd. Mich. p. 525, Des Yveteaux voit dans son style le dernier terme de l'évolution poétique, en lui le maître suprême qui : Ny trop près de la fin ni du commencement et seul a trouvé : Ces paroles d'amour qu'Amour a révélées, Du Perron est plus lyrique encore : Soleil des beaux esprits, lumiere claire et sainte Sainte-Marthe compare son ami à Virgile : Des-Portes, quand le temps, qui toute chose enmeine Qui sçait bien la douceur joindre à la gravité, Il parait bien qu'alors que ce Poëte escrivoit, Puis-qu'il fit de son temps renaistre des Virgiles. (3) (1) Desp. éd. Mich. p. 8 et 9. (2) Ib. 178. (3) Ste Marthe. Bocage de son., p. 121 Bertaut s'avoue vaincu par ces vers divins, car: Le dieu mesme Apollon, se plaignant à sa lyre, Pour une autre Daphné le reblessoit encor (1). Ce sont là sans doute compliments d'amis, mais compliments sincères pourtant, car ils ne diffèrent pas sensiblement de ceux des étrangers dont nous allons rapporter quelques-uns pour qu'on puisse faire la comparaison. Voici de Trellon, l'auteur de la Muse guerrière, qui adresse à Desportes un sonnet. Il est tout humble et suppliant: Grand appuy d'Apollon, source de beau langage, Voz œuvres ont si fort estonné mon esprit Que je maudits ma main quand jamais elle prit La plume pour graver mon amoureuse rage... Miroirs de beaux esprits, pour Dieu consolez-moy! (2). J. Grisel lui porte son « bouquet poétique », comme au chef, en lui demandant assistance et protection: Cher amy d'Apolon, et soleil de nostre àge. A qui les saintes sœurs leurs secrets ont ouvert, Et de son premier fruict bien qu'encore tout vert, D'homager celui-là qui chef s'y fait connoistre. (1) El. dans Desp. éd. Mich. 226. (2) Hermitage à la suite de la Muse guerrière. (1589), p. 141, b. 3) J. Grisel (Rouennois). Prem. œur. (1599.) p. 96. Rosset ne sait lequel il faut le plus féliciter, de la belle qui inspire Desportes ou du poète qui la chante : Voicy les derniers traictz de la riche peinture La Roque, un des premiers qui vont prendre la méthode de Malherbe l'appelle encore « esprit divin par qui l'amour respire », qui « embellit nostre langue et luy sert d'ornement » (2). Il renonce à compter ses vertus comme à nombrer les flambeaux des Cieux : .....Te donner des vers, c'est proprement porter Des fleches à l'Amour, des feux à Jupiter, Des flots à l'Océan, des palmes à la Gloire. Desportes, seulement j'escris ton nom icy Afin qu'à la faveur de ta belle memoire Le mien avec mes vers s'éternisent aussy (3). Et ainsi de suite. Il faudrait citer et citer encore si l'on voulait faire entrer dans cette courte revue les simples allusions éparses dans les œuvres du temps, dans J. de Romieu (4), Godard (5), du Peyrat (6), de Rossant (7), partout enfin jusque dans les vers philosophiques de cet excentrique de du Monin (8). (1) Paranymphes. Suite des XII beautés de Phyllis (1604) p. 57 ro. (2) Mélanges p. 362. (3) Měl. p. 341. (4) Mélanges. (1584). fo 67 ro, 71 ro. (5) Primices de la Flore. (1587) p. 61. (6) Essais poetiques. éd. citée p. 152 v. (7) Tombeau de Joyeuse, (1587). (8) Diss. de la poes. phil. dans les Nouv. œuvres. (1582), p. 66. |