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genres inférieurs, particulièrement dans la satire et la comédie. (1) La grosse différence porte seulement sur le style de la conversation que Vaugelas veut chàtié aussi, enchérissant naturellement sur son prédécesseur, encore tout libre, tout grossier, comme on l'était de son temps, même à la Cour. (2)

Ensuite il faut bien reconnaître que l'autorité donnée au bon usage par Malherbe est moins grande que celle qu'il aura plus tard; il la fait moins générale, moins impérative, l'usage n'ayant sur bien des points pas assez de consistance encore, et n'étant représenté que par des autorités trop incertaines pour s'imposer avec tant de force.

Mais ce sont là dissidences de détail. Les principes chez l'un et chez l'autre sont pareils, ils visent à un même résultat, qui est de soustraire la langue littéraire aux fantaisies individuelles, de la rendre collective en ne laissant à chacun que la propriété de son style.

(1) Malh. IV, 326. Vaugelas Pref. 26. Ce dernier ajoute le burlesque qui n'existait pas encore au temps de Malherbe.

(2) Comp. Vaug. Rem. 11, 290.

CHAPITRE II

LA LANGUE POÉTIQUE

La réforme qui précède n'aboutissait pas nécessairement à la suppression de la langue poétique et à l'identification absolue, soit de la grammaire, soit du lexique des prosateurs et des poètes.

On pouvait laisser à ces derniers, sinon le droit toujours dangereux des initiatives individuelles, du moins une certaine liberté collective, la possibilité de se servir d'un certain nombre de tours et de mots qui leur fussent propres, (1) leur déterminer en un mot un usage spécial.

Quelqu'un qui eût eu des idées en abondance, qui se fût rendu compte des besoins particuliers de ce genre d'écrire eût peut-être eu la sagesse de s'arrêter ainsi à mi-chemin dans l'unification de l'idiome littéraire. Mais Malherbe, nous l'avons vu, avait une façon trop étroite de comprendre la poésie pour se rendre compte de ces nécessités.

Il voulut bien lui faire une langue à elle, mais non pas plus large, tout au contraire plus restreinte encore que celle de la prose, c'est-à-dire qu'après avoir obligé celle-ci à choisir ce qui était digne d'elle, il n'imagina rien de mieux que de contraindre la

(1) Vaugelas en accorde une demi-douzaine: avoisiner (Rem. 1, 410); change (II, 417) discord (II, 234) fors (I, 398) quantesfois (II, 214) ruer, (II, 386) futur (II, 192). Parmi ceux-là il y en a que Malherbe avait condamnés.

poésie à choisir encore dans ce choix, la vraie distinction consistant non dans la richesse, mais dans l'élégance. (1)

Vaugelas dira dans le même sens : « Nostre poësie françoise tire une de ses plus grandes douceurs de ce qu'elle ne se sert jamais que de mots usitez en prose..., au lieu que la langue grecque et la langue italienne ont une infinité de termes particuliérement affectés à la Poësie, qui semblent sauvages d'abord à ceux-mesmes de la Nation, et comme tout le monde sçait, les Italiens naturels n'entendent pas leurs Poëtes s'ils ne les estudient. >> (2)

C'était renverser d'un seul coup les théories admises depuis cinquante ans, et anéantir le principal effort de la Pléiade.

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On sait, en effet, sans qu'il soit besoin de le redire ici, quel soin, quelle ardeur l'école de Ronsard avait mis à «< amplifier le langage. C'était là pour elle une condition nécessaire si notre langue voulait être admise aux honneurs des grands genres littéraires, et entrer en lutte avec celles des Anciens. La langue poétique principalement devait se peupler de mots relevés (3) et sonores qui « font batterie aux vers, » (4) éloignés du parler vulgaire. Et sur la permission d'Horace on s'était mis à l'œuvre, empruntant partout, aux anciens, aux prédécesseurs, dans les idiomes voisins et dans les dialectes, greffant, provignant, plantant, sans que personne eût contesté l'utilité du travail ni le profit qu'on espérait tirer de la moisson. (5) A peine Sebilet, dernier représentant de l'école antérieure, avait-il fait quelques réserves, les mêmes que faisait aussi Ronsard, il avait lui aussi acquiescé. (6) Et si depuis le mouvement s'était

(1) Notons qu'on ne trouve qu'une seule fois dans le Commentaire cette note langage de prose », c'est à propos de ce vers:

Roger voyant l'erreur où il peut encourir

(2) N. Rem. II, 411.

(3) Rons. Pref. Fr. Euv. III, 30

(4) Id. ib. III, 31.

(Im. de l'Ar. Rod. IV, 407).

(5) V. Ronsard, Art. poèt. et Préf. Fr.; du Bellay, Def. et il. passim; Vauquelin, Art. poét. éd. Genty, p. 21, 22; Pellet. du Mans, Art.poėt. 37

et sv.

(6) Art. poet. p. 24, éd. 1573.

ralenti, comme il le devait nécessairement, il continuait néanmoins; les doctrines au nom desquelles il avait été entrepris, restaient acquises.

Je trouve bien dans Henri Estienne l'affirmation que notre langue est assez riche, et « qu'encores qu'elle perde de ses mots, elle ne s'en apperçoit point et ne laisse de demeurer bien garnie, d'autant qu'elle en ha en si grand nombre qu'elle n'en peult sçavoir le compte et qu'il luy en reste non seulement assez, mais plus qu'il ne lui en fault. » (1) Toutefois il ne faut pas oublier que l'auteur plaide ici une thèse, qu'il s'est proposé un but spécial qui est d'empêcher l'invasion des mots étrangers. S'il contredit Ronsard, c'est pour les besoins de sa cause; encore ne va-t-il pas bien loin dans cette voie puisqu'il accorde qu'on peut emprunter les mots dont notre langage se trouvera « avoir faulte; » (2) et que sur les moyens mêmes il est en parfaite conformité d'idées avec ses contemporains, conseillant de fouiller les dialectes, les langues techniques, de faire des composés nouveaux. Lui aussi est donc encore bien loin de Malherbe.

Et nous avons beau descendre, nous ne trouvons personne qui annonce celui-ci. De dire que les fantaisies d'un du Bartas ou d'un du Monin n'avaient pas amené quelque réaction et préparé les esprits à une législation plus sévère, ce serait aller contre l'évidence et contre ce que nous dirons nous-même de la part que ces exagérations ont eue dans la préparation du succès de Malherbe. Toutefois, même au temps de celui-ci, n'entend-on pas encore du Perron (nous ne voulons pas parler de Vauquelin qui retarde toujours) (3) reconnaître que « les poëtes sont comme les enfansperdus des auteurs prosaïques, en ce qui est de l'invention, hardiesse et innovation des mots? »> (4)

(1) H. Est. Conform. Préf. p. 21. Comp. Préc. 105 et sv. L'exemple choisi est celui de avare, dont Estienne signale les synonymes suivants : eschars, taquin, tenant, trop-tenant, chiche, vilain, chiche-vilain, pinsemaille, serre-denier, racledenare, serremiette, pleurepain.

(2) Confor. p. 21.

(3) Il est inutile de dire que Vauquelin exprime sans en rien retrancher les doctrines de Ronsard. (V. Art. poét, éd. Genty, 19-21.)

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Aussi peut-on juger comme la doctrine fut reçue par les fidèles de Ronsard. M de Gournay la comprit parfaitement et en aperçut d'un seul coup les principes et les conséquences: «L'excellence et perfection du langage, dit-elle très justement, consiste selon leur opinion, à fuïr quelques mots... que les personnes vulgaires ne scavent pas dire: mots dérivez ou empruntez du Latin, grand reproche à leur goust, ou vieillissans ou tirez d'autres termes, ou particuliers à quelque Province de la France... Ils constituent la pureté à retrancher (à la langue) à l'exemple de quelque language mort, le droict d'emprunt et de propagation. » (1) Et en face de cette législation stérilisante, elle relève vaillamment le drapeau des vieilles libertés nécessaires.

Suivant elle une langue n'est jamais assez riche. Les courtisans peuvent se contenter de peu, l'auteur qui est, lui, obligé de varier, a besoin de ressources. (2) « Pour moi, dit-elle, je suis si loin de me reduire aux retranchemens des affettez de Cour, que s'il couroit trois fois autant de mots chez tous nos Poetes, ou par les rües de Paris, je n'en repudierois pas un reservé demy douzaine que la seule lourde peuplace employe. Ces autres Poetes et docteurs du temps ont beau me remonstrer, qu'ils me fourniront douze mots pour dire cecy ou cela, sans celuy qu'ils pretendent desconfire pour me l'arracher: j'en veux quinze; et si je ne veux rien perdre. Je l'envie sur le traict d'une petite garcette, qui se lamentant à hauts cris pour la perte de sa poupée et sa mere estant accourue en haste au secours avec une autre aussi joviale, elle la receut bien à deux mains, mais elle recommença de plus en plus à crier, alleguant que sans la perte de la premiere, elle en eust eu deux alors. » (3)

(1) Omb. 185.

(2) Non seulement le poete, mais l'Orateur élégant dira tousjours mesme chose en divers lieux, s'il peut, par trente divers mots et diverses manieres de parler tant il reconnoit la tautologie importune : et tant il sçait que l'uberté et la varieté .. sont lenitifs propres à endormir et charmer l'ennuy de ses auditeurs. (Ib. 585) Comp. 586.

(3) lb. 587.

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