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pas autorisé, sans sortir du sujet de ce travail, à le deviner par induction.

Or tout le Commentaire est fait sur ce modèle. Il est essentiellement négatif. On peut donc en déduire des préceptes très nets sur les vices à éviter et par conséquent sur les vertus contraires à la pratique desquelles il faut s'exercer, mais rien de plus. Au reste c'était là sans doute la meilleure part de l'enseignement du maître.

Section 2

DU VOCABULAIRE POÉTIQUE.

CHAPITRE PREMIER

LA LANGUE FRANÇAISE. SES SOURCES

Ce n'est pas Malherbe qui a revendiqué le premier pour notre langue le droit à l'existence. Le procès avait été engagé plus de quatre-vingts ans avant qu'il vint à Paris et l'on peut dire même qu'il était gagné.

Une foule d'hommes, d'esprit et de professions très diverses, avaient successivement contribué à montrer que « notre vulgaire »> était capable de tout exprimer, les uns par leurs doctrines, les autres par leur exemple.

A tout prendre même l'ensemble de l'immense travail grammatical du XVI° siècle se résume là.

C'est pour mettre le français au rang des langues littéraires que les théoriciens appelés par G. Tory se travaillent à le régler bien ou mal, que Ronsard essaie de le développer et de le fixer par de grandes œuvres, que Henri Estienne le compare aux langues voisines, que Fauchet et Pasquier en font l'histoire (1).

(1) V. Geof. Tory. Champfl. fol° 24 r°, 4 v°, 12 r° etc... Du Bel. Def. et Iil. 1, 4, 10, 11; Préf. de l'Ol. 2 éd.; Rons. Préf. de la Franc. III, 31, 35. (Le passage contre les latineurs s'adresse à ceux qui écrivent en latin, et non, comme l'a cru M. Darmesteter (XVI s. en F. p. 122) aux emprunteurs de mots latins) Comp. II, 13, Pelletier du Mans. Art poet. p. 34.

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Qu'ils le servent ou qu'ils le faussent, qu'ils l'honorent ou le compromettent, tous n'ont en vue, suivant l'expression même de du Bellay, que de le défendre et de l'illustrer.

Cet effort, venant après l'ordonnance qui faisait du français la langue de l'Etat, et en même temps que le schisme qui en faisait la langue d'une Eglise, ne pouvait pas échouer.

Quand le XVII siècle s'ouvrit, toutes les sciences, tous les arts, la théologie elle-même, avaient parlé français. (1)

Toutefois, si la position était conquise, l'ennemi ne l'avait pas évacuée; on s'était fait une place à côté de lui, mais sans le chasser. Ecrire bien en latin était encore un honneur comme c'était un jeu pour les hommes du temps, et le prestige de la langue savante ne tomba pas tout d'un coup.

Quoiqu'il en soit, Malherbe reprit sur ce point l'œuvre où ses prédécesseurs l'avaient laissée. Copiant presque les anathèmes de du Bellay, il déclara pour se moquer des « latineurs », que Virgile et Horace, « s'ils revenoient au monde, bailleroient le fouet à Bourbon (2) et à Sirmond » attendu qu'ils n'entendaient pas et ne pouvaient pas entendre la finesse de langues « qu'ils avoient apprises par art. » (3)

Dialogue (1555, p. 75). J. Tahureau. Dialog. 166 et suiv. Pasquier. Let. à Turnèbe, liv. I, let. 2. II, p. 3. H. Estienne. Précellence, Dialogues du fr. passim. Vauquelin, Art poét. éd. Genty, p. 77.

Les principaux arguments fournis sont 1° que les langues sont égales en valeur si on veut les cultiver. Du Bel. (Def. p. 50, 51); 2° que la nôtre a des formes variées comme les anciennes (ib. p. 75); 3° qu'elle est aussi sonore (ib. 77); 4' qu'elle a été estimée des anciens (Pasq. t. II, 5, cf. ib. p. 39 et Rech. de la Fr. liv. VIII); 5° qu'elle est étudiée par tous les étrangers. (Pasq. Let. 2, II, p. 5 c.)

(1) Du Perron rapporte même un mot curieux. « Je luy dis, écrit-il, que M. de Sponde l'écrivoit (il s'agit d'une histoire ecclésiastique) en latin; il me respondit: il fait mal, personne ne verra son œuvre, il y en a tant d'autres, il la devroit faire en françois. (Perronna p. 225). Comp. p. 157.

(2) Bourbon de son côté, qui aimait fort le vin, disait que lire des vers français, pour lui c'était boire de l'eau.

(3) Rac. dans Malh. Euv. LXXX. Comp. du Bellay. Def. I, 11 : « Que pensent doncq' faire ces Reblanchisseurs de murailles qui jour et nuyt se rompent la Teste... à transcrire un Virgile et un Ciceron, batissant leurs poëmes des Hemystyches de l'un, et jurant en leurs Proses aux motz et Sentences de l'autre ? »

La Pléiade obtenait au moins ceci, que son ennemi le plus acharné allait continuer contre les héritiers de Turnèbe la croisade commencée par elle cinquante ans auparavant (1).

De la sorte l'union entre la langue nationale et les écrivains devenait à jamais indissoluble. Peu importait, dès lors, que cette langue fùt aimée par Malherbe autrement que par Ronsard, c'était même pour elle une heureuse chance. A deux périodes très voisines de sa vie, elle avait ainsi le bonheur de rencontrer l'homme qu'il lui fallait : d'abord un grand seigneur de lettres, fastueux, prodigue, qui la charge de riches habits, de bijoux et de broderies, seulement qui reste insoumis, prétend régler ses largesses plutôt sur ses caprices à lui que sur ses besoins à elle, qui l'aime sans doute, mais pas exclusivement encore, car il la veut faire ressembler à d'autres qu'il a connues, admirées et qui n'ont pas pu lui appartenir.

Plus tard, quand ce premier l'a quittée, il se trouve juste ce qui fallait à son âge mûr: un bourgeois n'ayant guère connu qu'elle, qui n'apporte ni dot ni présents autres qu'une soumission absolue, mais lui enlève ses goûts de luxe, lui fait dépouiller ses ornements superflus, lui compose une parure très simple de grande dame et plus d'aventurière, cultive ses instincts naturels d'élégance et lui arrange enfin une vie aisée, sérieuse et honorable où elle commandera sans conteste.

Nous avons déjà dit plus haut comment Malherbe entendait soumettre rigoureusement l'écrivain aux règles de la langue, la première question qui se pose est de savoir où il prenait ces règles.

(1) L'éloge de la langue française est alors dans toutes les bouches. Le Sieur de Bellepesche la juge « ni si perplexe que la grecque,ni si variable que la latine, ni si aspirée que la toscane, ni si pesante que la castigliane >>> (Ac. du Roy). Duval, dans son avant-propos, dit : « Si ce n'eust été pour complaire à quelques-uns, je n'en eusse pas mis un mot (de latin), tant je trouve que nostre langue peut aller au pair avec celuy-là et tout autre. >>

A cette époque la grammaire de la langue moderne était à peu près faite, elle n'était pas rédigée. Il n'avait guère paru depuis vingt ans que la compilation de Serreius (1), et l'Eschole françoise de du Val (2), ouvrage très incomplet, presque vide de toute doctrine pratique.

Il fallait donc remonter aux travaux du milieu du XVI siècle et on sait quels étaient leurs défauts. Une méthode mauvaise, la prédominance de questions purement extérieures à la langue comme celle de l'orthographe, la nécessité aussi de défendre le français contre la réputation des langues anciennes ou l'influence des langues voisines, avait détourné du vrai travail des hommes dont quelques-uns étaient supérieurs comme H. Estienne et Meigret. A côté d'eux Pillot et Garnier n'ont écrit que pour des étrangers; (3) Ramus est tout à fait incomplet; (4) Dubois n'a pas de syntaxe; (5) Mathieu (6) est un amateur; Robert Estienne est gêné par des préoccupations érudites. (7) Aucun des ouvrages qu'ils ont laissés n'était assez sûr ni assez complet pour servir de fondement à une doctrine.

D'autre part, eussent-ils été parfaits pour leur temps que trente ans plus tard ils se fussent trouvés complètement arriérés. Aut XVIe siècle, la langue changeait beaucoup plus profondément que de nos jours, dans un même espace de temps; tout le monde nous en avertit, Vauquelin qui s'en réjouit comme Montaigne qui s'en plaint, et la comparaison des textes nous montre qu'entre 1570 et 1600 le mouvement, moins sensible que dans la période précédente, avait cependant été considérable encore.

Aucune grammaire n'en donnait le résultat. Sur quoi donc Malherbe allait-il se fonder?

(1) Grammatica Gallica, Argentorati, 1598 in 8'. (2) 1604, in 8°.

(3) Gall. ling. institutio, 1550. Inst. 1. gall. 1558. (4) Gramere 1562.

(5) Sylvii... in linguam gallicam. Isagogè (1531). (6) Devis de la l. fr. 1559.

(7) Traité de la Gr. franç. 1557.

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