ajoutent Chovayne (1), Biard; Balzac nous dit que son père était aussi de ceux qui voyaient l'abbé (2). Le dépouillement des œuvres du temps en indique bien d'autres encore du Peyrat (3), du Monin, Fiefmelin, Nervèze, la Roque (4), Timothée de Chillac (5), Lasphrise (6), etc., tous hommes de lettres sur lesquels nous allons avoir à revenir. On pensera peut-être qu'il n'était pas sans importance de déterminer rapidement quelle pouvait être en 1605 la situation de Desportes dans la société du temps, attendu que l'autorité d'un écrivain n'est pas indépendante de ses relations mondaines, qu'elle ne l'était surtout pas à cette époque, que ce serait donc une grossière erreur de ne pas tenir compte de ces relations en parlant d'un homme comme celui-ci dont le caractère avait au moins autant d'attrait que son talent pouvait avoir de renom. Il est nécessaire cependant pour savoir quelle force de résistance il pouvait opposer à une attaque d'examiner maintenant de plus (1) Ce Chovayne, dont M. Michiels ne retrouve pas de trace est évidemment le même auquel fait allusion la lettre de du Perron que nous donnons plus haut. C'est lui aussi dont on retrouve un sonnet en tête des œuvres d'Amadis Jamyn (Paris, Rob. le Mangnier, 1575), qui avait écrit avec Biard sur l'album de Mme de Villeroy au sujet de la barbiche dont Desportes a fait l'épitaphe Feuil. de Conches, Caus. d'un cur., II, 393). Il devait être parent de Fl. Chovayne, Chartrain, auteur des Divertissements. (Chartres, 1645). (2) Diss. chrét, I° hist. II, 400. (3) On trouve dans les Essais poétiques de du Peyrat ces quatre vers de Desportes : Si nostre amitié grande et nostre conférence De ton rare scavoir m'avoient autant fait part (4) La Roque chante la maison de Vanves. Mélanges, p. 362. (5) On trouve dans les œuvres de Chillac, p. 13, v°, ces vers de Desportes, Parisien (sic). Amour mourroit sans toy, et tu mourrois sans luy, Sa valleur sans tes vers, auroit vescu sans vie, (6) V. Div. poésies de Lasphrise, II, 537, sonn. CXX. près comment il était considéré par les écrivains contemporains, C'est ce dernier point qui est le plus délicat. Qui pourrait dire Mais j'imagine qu'au xvi° siècle la renommée même d'un Ronsard ne s'étendait guère au delà d'un groupe de quelques milliers de personnes à Paris et d'autant dans les provinces. Ce qui allait plus loin c'étaient quelques chansons comme le O nuit, jalouse nuit! (1) ou bien la villanelle Rozette, pour un peu d'absence (2) auxquelles Les amours de Cléonice et de Diane ne devaient pas franchir un cercle assez restreint de grands seigneurs et de grandes dames, de familles de magistrats et de bourgeois lettrés. Ces réserves faites, il est certain que le succès de Desportes avait été considérable. Les femmes surtout semblent avoir aimé ces poésies voluptueuses. Elles sentaient bien dans la vie et les vers du galant abbé, quelque maniérés qu'ils fussent, l'admirateur sincère- ment attendri de leurs charmes et de leur puissance, l'homme qui vivait pour elles et par elles. Elles allaient donc à lui d'instinct comme elles vont à quiconque fait d'elles la préoccupation exclusive de son cœur et de son esprit, qu'il les exalte ou qu'il les maudisse. Plus d'une se cachait pour le lire, et négligeait son ménage et ses heures pour rêver aux amours de Diane et d'Hippolyte (3). Plus d'une aussi enviait aux maitresses du poète l'honneur de se désho- (1) Cette chanson resta célèbre en plein XVIIe siècle. Un vers de Régnier nous montre que le début était passé en proverbe. (X, 98). Croyez qu'il n'estoit pas : O nuict, jalouse nuict. On l'a souvent imitée (V. Nic. Bonfons, Rec. de ch. amour, IV, 2). (2) C'est en chantant Rosette que le duc de Guise fut assassiné. (Sainte- Les recueils de chansons du temps en contiennent beaucoup de Desportes. Voir celui de Nic. Bonfons (1585-1586) que nous citons plus haut. (3) Odet Turnébe: Les Contents, III, 7. norer pour lui et se disait avec S Marthe: «< Heureuse Hippolyte et sa rivale, heureuse cette Diane que l'aile d'un poète emporte jusqu'au ciel! » (1). Longtemps les «< douillettes » de la Cour, comme dit mademoiselle de Gournay, lui restèrent fidèles et il garda chez elles le titre et le rang de poète du cabinet et du chevet. Chez les courtisans son succès avait peut-être été moins grand, mais considérable encore. Sans prendre à la lettre les vers de Rapin et les témoignages trop amicaux de Sainte-Marthe (2), il est certain. qu'il fit sous Henri III les délices de cette génération éprise des grâces italiennes. Ce ne fut pas l'engouement qu'on avait eu pour Ronsard, un siècle n'a pas deux enthousiasmes comme celui-là, mais une vogue assez grande pour laisser croire qu'il lui succédait. Ronsard lui même le pensa, rien ne le fait mieux voir que les quatrains jaloux qu'il cacha et qu'on a retrouvés (3); mais l'élégie même qu'il adressa à Desportes contient déjà des vers bien équivoques : Des-Portes, qu'Aristote amuse tout le jour... Je te donne ces vers à fin de prendre garde Un renom journalier qui doit bientost mourir (4). (1) Lyric, II, p. 110. (2) Non gallicæ modo Nobilitati et illustribus aulæ feminis verum et eruditis hominibus ita placuit ut cum in Portao Tibullianum characterem verissime expressum agnoscerent, principem ei locum inter Gallicos poetas, qui de amore scripserant, non iniquo judicio detulerint (Sainte-Marth., El., V, p. 147). La cour ne chantoit rien que tes vers et l'Amour La gloire croissoit et de ton vivant tu vis Les Princes en ton lut ravis (Rap., p. 51). (3) Rons. Euv., VIII, 130: Desportes, corrige tes vers Et les tourne mieux sur la presse, Ou l'on dira que la tristesse T'a tourné le sens à l'envers. (4) Ib. IV, 220. Le conseil est renouvelé d'Horace sans doute, et inspiré par l'amitié; néanmoins la sagesse qui s'en dégage n'a-t-elle pas quelque relent d'amertume? Dès 1580 en effet la situation de Desportes est pour ainsi dire reconnue de tous, et les œuvres qui paraissent renferment un ou plusieurs sonnets sur les mérites de l'abbé (1); Blanchon le compare au saint harpeur de Thrace ». Tu as reçeu du Ciel, des Portes, mesme grace, Et comme un autre Orphée, entre tous je te voys, De Birague n'admet point qu'on ne sente pas le charme des « Amours >> : Quiconque lit ces vers et ne sent en son cœur La rage, la fureur, la poison et la flamme, (1) En tête on pourrait citer Lefèvre de la Boderie Gall. cercle V. p. 125 ro. Desportes soit plantė sur l'un de vos portaux Et son nom engravé au plus cher des metaux. (2) Joach. Blanchon. Prem. auv. poèt. 280. Le même Blanchon répond page 245 aux stances sur le mariage comme Nicole Estienne, Vauquelin, La Roque, etc. De la Jessée avait salué presque en mêmes termes que lui le départ du poète pour la Pologne : Tu velut Argive classis comes Orpheus alter, Toy comme compaignon de la flotte des Grez, Tel qu'un Orphé nouveau, pour charmer leurs regrez, Tu suis à ton départ ce second Aesonide : Dont le cruel Amour nos poitrines entame, Quand Ronsard mourut en 1585, la question de succession ne se posa pas, ce fut autour de Desportes qu'on se groupa; ce fut lai qui organisa l'apothéose funèbre du maître (2); il eût présidé la cérémonie, si la chose se fût passée comme de nos jours L'orateur, du moins, s'adressa à lui et lui dédia son œuvre « comme à celuy auquel Ronsard sembloit avoir résigné la gloire de sa profession, et qu'il avoit laissé comme son unique successeur »> (3). Pour la même raison, Robert Garnier mit son nom en tête de l'élégie : Desportes, que la Muse honore et favorise Entre tous ceux qui ont Suivi le Saint Phébus et sa science apprise Désormais, la consécration était complète, de « poète des princes», Desportes devenait le « prince des poètes >> › (4). (1) Les prem .œuv. poèt. 137 v. Comp. un sonnet de Guil. du Buys, Quercinois, dans ses Œuvres (Paris 1583. p. 195). (2) A quoy (à faire une oraison funèbre) les porta plus particulièrement qu'aucun autre M. de Tyron. (Vie de l'illustrissime cardinal du Perron p. 7). Voir la lettre qui précède l'oraison funèbre dans du Perron, 650. Ce fut à un banquet chez Desportes le 18 mars qu'on régla tout. (3) Or. fun. de Rons. par du Perron. (Ib.) (4) Blanchon lui donne le titre officiel de poete du Roy (Ouv. cité p. 280). Sur le second mot v. Baillet IV. 149. |