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Mais ce qui me fait pencher pour cette hypothèse, c'est une circonstance matérielle, tout analogue à celle que nous avons remarquée plus haut dans l'original.

Les additions importantes de la copie B, celles qui forment de véritables groupes et qui se trouvent dans l'édition Lalanne, p. 386398; 428-431; et respectivement dans B, f° 210 v° 221 v°; 265 v267 vo, toutes ces additions, dis-je, c'est-à-dire le grand nombre, sont d'une autre encre, plus noire (1).

Il est visible qu'elles n'ont été ajoutées qu'après coup. Comment l'expliquer sinon parce qu'elles n'ont été vues qu'après coup, les feuilles qui les contenaient étant sans doute pliées à la fin du volume?

Ceci s'accorde tout à fait avec ce que nous voyons dans l'original. Les marges en sont tellement bondées qu'il n'était plus possible d'y rien introduire. Malherbe a remis ce qu'une seconde, peut-être même une première lecture lui inspirait, en appendice.

Et pour avoir plus aisé de faire ses renvois il a numéroté (irrégulièrement du reste) les vers de ces pièces qui sont longues.

La constatation n'avait jamais été faite et elle a une grande importance. Sans entamer la discussion qui va suivre, nous pouvons dire en effet, que si Malherbe avait copié son commentaire sur un autre exemplaire de Desportes, la vue seule de ces numéros lui eût rappelé qu'il existait un commentaire détaché et supplémentaire; il s'y fût reporté et aurait inséré ce commentaire dans sa seconde édition, et B qui l'aurait reproduite l'aurait écrit au fur et à mesure et non en deux fois.

Enfin une de ces observations montre qu'elles ne pouvaient être qu'en appendice au volume dans lequel elles ont été prises.

Au sonnet 26 des Amours d'Hippolyte, Malherbe se demande ce que veut dire ce vers:

Ores qu'en l'air elle s'ose hausser.

« Je ne sais, dit-il, où elle pouvoit aller, car de se mettre en un bateau, ce n'est pas se hausser en l'air, aussi n'est monter en

carrosse. »>

(1) Voir le fac simile ci-contre.

La copie B ajoute en haut de la page, d'une autre encre : « Ce sonnet a été fait pour une scarpoulette sur qui sa maîtresse se plaisoit d'aller. » C'est l'explication de la difficulté, la réponse même à la question de Malherbe.

Il est ici hors de doute que Malherbe a écrit cette deuxième remarque après la première, et qu'il l'a écrite à part. Si sur un autre exemplaire il eût fait la remarque au folio où est le sonnet, d'abord le copiste de B l'y eût trouvée au lieu de ne la rencontrer qu'après, puis il est vraisemblable qu'il eût effacé ce qui était à la marge et que le reste démentait.

Je sais bien qu'il existe contre ce système quelques objections. 1 Comment Malherbe n'a-t-il pas souligné au moins les vers qu'il annotait?

2 Comment aurait-il reporté à la fin des fragments insignifiants de remarques, qui répètent quelquefois la remarque faite en marge de la page?

Ces deux objections seraient très fortes si nous n'avions dans le volume original une page très précieuse à ce point de vue qui présente avec celles que nous supposons perdues une analogie frappante.

Qu'on se reporte à la dernière page de l'original, ou à la page 472 de l'édition Lalanne, on y verra dix observations, absolument insignifiantes comme importance, qui répètent ou complètent elles aussi d'autres observations déjà faites et qui souvent ne correspondent même pas à un trait dans le volume de la Nationale.

Reste une dernière question, la plus embarrassante peut-être. Si les additions ajoutées postérieurement d'une autre encre s'expliquent, d'où viennent celles qui sont de la première main et de la première plume? Celles-là n'étaient donc pas rejetées en arrière?

On peut répondre: A supposer qu'aucune ne vienne du copiste. (et il est permis au moins de lui attribuer quelques remarques insignifiantes qui ne sont que le commentaire de soulignures) n'est-on pas autorisé à admettre que la ou les feuilles qui contenaient ces annotations se trouvaient en tête du volume, comme les autres à la fin?

Cette simple hypothèse explique tout. Remarquées dès le début, elles auront été insérées en leur lieu et place.

C'est la seule concession que dans notre système il faille faire à l'incertain.

Supposons, au contraire que B ait été copié sur un deuxième exemplaire annoté par Malherbe et que nous appellerons B', on se heurte à une série d'invraisemblances.

D'abord plusieurs objections présentées plus haut lorsque nous avons examiné si B était un autographe de Malherbe reprennent ici leur valeur.

Lui qui se corrigeait avec tant de soin se serait inutilement et patiemment copié, mot par mot, ligne par ligne, sans presque aucun changement? Il eût reproduit fidèlement jusqu'à ses fautes et ses négligences?

Et dans quel but? Pour se faire éditer? et fournir une copie plus propre? Mais que font alors dans cette copie ces barres et ces traits qu'aucune observation n'accompagne et qui ne pouvaient pas, j'imagine, être imprimées?

Puis à quel moment eùt-il exécuté cette copie? Evidemment O est un premier travail, car c'est un brouillon, et puis il porte une date: 1606, qui est, nous l'avons vu, celle de l'année où Malherbe a eu à lutter contre Desportes.

B'aurait donc forcément été fait après? Et alors comment eût-il été moins complet que O? Pourquoi les omissions? Malherbe, reprenant plus tard son travail et disposant de deux exemplaires, aurait écrit sur le premier, sur le brouillon et non sur la mise au net pour se complèter!

Enfin, pendant que Malherbe ajoutait certaines observations sur 0, il ajoutait les autres en appendice à B' et il marquait les numéros de renvois non pas dans B' mais dans ()!

C'est tout à fait absurde.

Non, il n'a jamais existé de copie B' de la main de Malherbe; il y a eu des feuilles ajoutées à O, et B est la copie de 0 avec adjonetion du contenu de ces feuilles, moins les additions que Malherbe a faites après coup sur 0.

Malherbe aura de son vivant prêté son Desportes annoté à quelque disciple qui en a pris copie. De là provient B avec ses quelques variantes qui trahissent par endroits un homme pensant par lui-même, soucieux de bien transcrire, mais capable en même temps de changer une formule ou d'ajouter un trait. par ci par là. Est-ce à dire que B soit cette copie même, prise du temps de Malherbe?

Ici nous n'osons plus nous prononcer avec autant d'assurance. L'écriture seule pourrait nous dire de quelle époque est B et on sait combien il est difficile de dater exactement les manuscrits du XVIIe siècle (1).

Quoiqu'il en soit, du reste, de ce dernier point, sur lequel il n'est pas absolument nécessaire de décider, nous conclurons cette longue discussion en disant :

B n'a pas la valeur d'un original, c'est une copie de l'exemplaire de la Nationale, mais une copie d'un haut intérêt. Elle donne un premier état d'un texte, dont une partie est perdue.

Il en résulte que 4° les omissions qu'elle présente ne doivent pas faire considérer les remarques supplémentaires de l'original comme des interpolations. Elles sont authentiques et leur absence dans la copie s'explique.

2 Les additions contenues dans cette copie peuvent et doivent être utilisées pour les études à faire du commentaire. Elles suppléent aux lacunes de l'original.

(1) Nous avions pensé que B pouvait être de la main de Vaugelas. Mais l'écriture du célèbre grammairien présente avec celle de B des différences notables.

Le copiste de B ne serait-il pas l'auteur de la Grammaire anonyme de 1657 qui s'est servi du Commentaire, ainsi que nous le verrons?

CHAPITRE VI

LE COMMENTAIRE CONSIDÉRÉ COMME ŒUVRE

DE CRITIQUE

Il ne saurait y avoir aucun doute sur l'intention que Malherbe a eue en composant le Commentaire qui nous

été conservé.

C'est bien là le livre de combat qu'il promettait à ses adversaires, le recueil de leurs fautes qui devait être plus gros que leurs œuvres

mêmes.

On ne saurait supposer en effet que Malherbe a annoté Desportes pour lui seul, dans un accès de rage solitaire. Souvent, il est vrai, l'impatience comme l'admiration nous met au cours de nos lectures la plume à la main, et l'ouvrage que nous lisons ne quitte notre table que haché de traits, illustré d'exclamations ou de réflexions. Quelques-uns éprouvent même le besoin d'interpeller l'auteur, comme s'il était présent et qu'il dût répondre. C'est une sorte de vengeance, parfois une manière d'exercice, car la doctrine. s'affirme et se précise dans ces critiques, on commence par colère et on poursuit avec intérêt.

Mais il n'est pas vraisemblable que par pur dépit ou en vue d'un résultat aussi indirect un homme économe de son temps et de sa peine comme l'était Malherbe eût annoté, quelquefois longuement, des milliers de vers qui forment un volume de plus de six cents pages. Du reste, s'il n'eût travaillé que pour lui-même, pourquoi se fût-il adressé de temps en temps, comme il le fait, à un tiers qu'il

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