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Bacon, Campanella, Gassendi, Descartes, Hobbes, firent rentrer les mathématiques et la physique dans le sein de la philosophie, et tentèrent de rendre à ce mot la vaste signification de l'antiquité. Mais, en France du moins, il était trop tard; l'habitude était prise, le terme avait changé d'acception. Si les nations étrangères ont, depuis la renaissance, divisé l'ensemble des études en philosophie naturelle, comprenant les sciences physiques, et philosophie morale renfermant les sciences non physiques, cette terminologie n'a pas prévalu dans notre pays, et l'on a continué de comprendre sous le nom de philosophie proprement dite les sciences qui n'ont pas les corps pour objets.

Ces observations étaient nécessaires pour faire com prendre la nature de la présente publication. Les auteurs connus sous le nom de philosophes ne se sont pas uniquement occupés de logique, de métaphysique et de morale. Les uns, comme Gassendi, Descartes, Hobbes, Leibnitz, d'Alembert, ont cultivé le champ des mathématiques; les autres, comme Bacon et encore Descartes, ont essayé un commencement de physique expérimentale. D'autres enfin, comme Malebranche et Arnauld, ont composé des écrits de théologie ecclésiastique. Jusqu'à présent ces matières diverses ont été comprises dans la publication des œuvres de chaque auteur. Mais celui qui s'occupe de philosophie proprement dite, au sens où nous l'entendons en France, n'a pas besoin d'acquérir le recueil des expériences physiques de Bacon, les découvertes mathématiques de Descartes, ou les dissertations canoniques d'Arnauld. La physique et la métaphysique, même pour les nations qui les renferment l'une et l'autre sous le nom commun de philosophie, n'en sont pas moins deux études distinctes, suivies de nos jours par des hommes différens. Il importe donc de dégager ce qu'il y a de purement philosophique, au sens français, dans les œuvres des philosophes, et d'en composer des recueils complets et originaux qui puissent se placer, à moins de frais et à moins de volumes, entre les mains de ceux qui consacrent leurs veilles à la métaphysique, à la logique, et à la morale. Tel est le but que nous nous sommes proposé : il

a.

ne s'agit pas ici d'œuvres choisies, c'est-à dire d'un choix arbitraire entre des ouvrages du même genre, mais d'une séparation entre des ouvrages de genres différens. Nous n'avons rien retranché de ce qui appartient à la philosophie. Quand nous rejetons un traité de physique, de mathématiques, ou toute autre science étrangère à notre objet, nous en extrayons les moindres parcelles philosophiques qui peuvent s'y cacher. De plus, nous donnons la note de tous les ouvrages qui se trouvent exclus par notre plan. Enfin toutes les fois que la physique, les mathématiques, etc., se trouvent encadrées dans des traités de philosophie, soit comme moyen de démonstration, soit comme épreuve de méthode, nous respectons ces développemens, quelque surannées que puissent être les vues qu'ils renferment.

Les OEuvres de Descartes se divisent en ouvrages qui ont été publiés de son vivant et par ses soins et en œuvres posthumes. Du nombre des premiers, qui forment les tomes I et II de notre édition, nous n'avons rejeté que la Dioptrique, les Météores, la Géométrie, traités entièrement étrangers à notre matière, ainsi que la lettre de Descartes au P. Dinet sur le procès du philosophe avec l'université d Utrecht. Les détails de cette lettre intéressent la biographie et non la philosophie de notre auteur. L'Introduction du troisième volume fait connaître celles des œuvres posthumes qui n'ont pas dû faire partie de la présente publication.

NOTICE BIOGRAPHIQUE

SUR

DESCARTES.

UF

Nous suivrons pour cette notice l'histoire de Baillet. Ce biographe, plein d'instruction et d'impartialité, a écrit quarante ans après la mort du philosophe : il n'en est donc pas assez voisin pour ressentir les passions contemporaines, ni assez éloigné pour avoir vu se tarir toutes les sources premières où l'historien doit puiser.

Pour les affaires domestiques de Descartes, il a consulté lui-même les neveux et la nièce de ce grand homme, le fils de Clerselier, le fils de Chanut, le fils du seigneur d'Étioles, qui ont été, comme on le verra, les principaux amis et familiers de notre philosophe. Il a écrit partout où il pouvait recueillir quelques renseignemens.

Il a eu communication des mémoires manuscrits de Clerselier père; il a recouvré des lettres de Leroy à Descartes, de Descartes à Picot, à Clerselier, à Tobie d'André, et quelques-unes de la princesse Élisabeth, ainsi que de M. de Terlon, ambassadeur de France en Suède.

Enfin il a tenu entre les mains les minutes sur lesquelles Clerselier a fait sa publication des lettres, et il a vu de plus que Clerselier les expéditions adressées au père Mersenne, expéditions dont Roberval s'était emparé à la mort de ce père, et dont il avait refusé toute communication. Après la mort de Roberval, ces expéditions passèrent entre les mains de Lahire comme lui professeur de mathématiques au Collège-Royal. Lahire en fit présent à l'Académie des Sciences, et celle-ci en laissa prendre connaissance à l'auteur de la Vie de Descartes. Nous pouvons donc marcher

curieuses et les plus rares. Il ne. fut pas un auditeur purement passif au cours de philosophie, et il donnait souvent de l'exercice à son régent. Voici quelle était sa manière d'argumenter: il s'attachait d'abord à la définition de tous les mots de la question, faisait expliquer le sens des principes reçus dans l'école, proposait ensuite certaines vérités, et, quand on en était demeuré d'accord avec lui, il présentait son argument, dont il était alors très difficile de se débarrasser. Le père Charlet, directeur du collége, et le père Dinet, préfet des études, goûtaient beaucoup cette méthode, nais le régent de philosophie n'en était pas aussi satisfait. Les mathématiques dédommagèrent Descartes des obscurités et des incertitudes qu'il avait trouvées dans la philosophie. Dès le college il perfectionna l'analyse des anciens et l'algèbre des modernes.

Il jouissait de beaucoup de faveur auprès de ses maîtres, qui le dispensaient de la discipline à cause de sa faible santé, et lui permettaient de rester au lit long-temps après le lever de ses camarades. Il conserva toute sa vie l'habitude d'un long sommeil; il ne forçait jamais son réveil; et lorsqu'il se sentait l'esprit entièrement dégagé du besoin de dormir, il restait au lit pour méditer, et se levait à mi-corps de temps. en temps pour écrire ses pensées.

Indépendamment du père Charlet et du père Dinet, que Descartes connut au collège de La Flèche, et avec lesquels il resta en correspondance toute sa vie, il fit encore connais-sance dans cette maison avec Mersenne, qui entra depuis dans l'ordre des Minimes, et qui était venu terminer ses : études à La Flèche au moment où Descartes y commençait les siennes. Mersenne avait près de huit ans de plus que son petit camarade; il quitta le college lorsque celui-ci n'était encore qu'un enfant, et cependant lorsque, neuf ans après, il retrouva Descartes à Paris, et qu'il vit germer peu à peu le génie philosophique de ce jeune homme, il en devint le sectateur, ou, pour mieux dire, l'admirateur passionné: et ceci est remarquable, car nous avons peine à reconnaître de grands hommes dans ceux que nous avons vus enfans et ignorans. Pour que notre admiration s'attache à un homme,

il faut ordinairement qu'il se présente à nous tout formé et entouré d'abord du prestige de l'inconnu.

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Descartes quitta le collège à seize ans (en 1612), n'étant pas fâché d'avoir fait ses deux années de philosophie, malgré le peu d'évidence qu'il y avait rencontré, mais regardant cette étude comme une préparation « nécessaire « avant d'entreprendre d'élever son esprit au-dessus de la pédanterie, et de se faire savant de la bonne sorte 1. » Ik ne pensait pas que l'étude des lettres lui eût été d'un grand secours pour la formation de son intelligence: il a dit depuis que, sans avoir passé par le collége, il eût fait les mêmes découvertes philosophiques, et que seulement il les eût toutes écrites en français, au lieu d'en écrire une partie en latin. Il se sentait beaucoup de dispositions pour les arts mécaniques, et aurait parfaitement réussi, dit-il lui-même 2, s'il eût été de condition à se faire artisan. Ainsi Descartes était une de ces rares organisations qui font face sur tous les points et donnent tout ce qu'on leur demande : quelque carrière qu'il eût choisie, il s'y serait signalé.

Il passa la première année de sa sortie du collège à Rennes, dans sa famille. Son père s'était remarié, et lui avait donné un nouveau frère et une nouvelle sœur. Il employa son temps, comme un jeune gentilhomme, à monter à cheval et à faire des armes. Mais le philosophe, qui s'était déjà montré sous la figure imberbe de l'enfant, perça encore sous le duvet du jeune homme : il ne put, comme les autres, mouvoir son bras sans se rendre compte du mouvement, et il composa un Traité de l'escrime.

L'année suivante, il fut envoyé à Paris avec un valet-dechambre: son père voulait lui faire voir le monde, avant de l'engager dans la carrière des armes qu'il lui destinait. Notre gentilhomme se livra dans la capitale aux plaisirs de son âge, mais sans excès ni désordre. Il se lia particulièrement avec le jeune Mydorge, fils d'un conseiller au parlement, et neveu du président Chrétien de Lamoignon; ce jeune homme était dès lors renommé pour ses connaissances

1 Voyez Discours de la Méthode, première partie.

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Voyez ibid.

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