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le premier à m'y exhorter, si je n'y étais pas déjà tout résolu. Vous savez sans doute que Galilée a été repris depuis peu par les inquisiteurs de la foi, et que son opinion touchant le mouvement de la terre a été condamnée comme hérétique: or je vous dirai que toutes les choses que j'expliquais en mon Traité, entre lesquelles était aussi cette opinion du mouvement de la terre, dépendaient tellement les unes des autres, que c'est assez de savoir qu'il y en ait une qui soit fausse, pour connaître que toutes les raisons dont je me servais n'ont point de force; et quoique je pensasse qu'elles fussent appuyées sur des démonstrations très certaines et très évidentes, je ne voudrais toutefois pour rien du monde les soutenir contre l'autorité de l'Eglise. Je sais bien qu'on pourrait dire que tout ce que les inquisiteurs de Rome ont décidé n'est pas incontinent article de foi pour cela, et qu'il faut premièrement que le concile y ait passé; mais je ne suis point si amoureux de mes pensées, que de me vouloir servir de telles exceptions, pour avoir moyen de les maintenir; et le désir que j'ai de vivre en repos, et de continuer la vie que j'ai commencée en prenant pour ma devise Bene vixit, bene qui latuit 1, fait que je suis plus aise d'être délivré de la crainte que j'avais d'acquérir plus de connaissances que je ne désire, par le moyen de mon écrit, que je ne suis fàché d'avoir perdu le temps et la peine que j'ai employée à le composer.....

Pour les expériences que vous me mandez de Galilée, je les nie toutes, et je ne juge pas pour cela que le mouvement de la terre en soit moins probable. Ce n'est pas que je n'avoue que l'agitation d'un chariot, d'un bateau, ou d'un cheval, ne demeure encore en quelque façon en la pierre, après qu'on l'a jetée étant dessus, mais il y a d'autres raisons qui empêchent qu'elle n'y demeure si grande; et pour le boulet de canon tiré du haut d'une tour, il doit être beaucoup plus long-temps à descendre, que si on le laissait tomber de haut en bas, car il rencontre plus d'air en son chemin, lequel ne l'empêche pas seulement d'aller parallèlement à l'horizon,

Bene qui latuit, bene vixit.

(OVIDE, Tristes, liv. III, él. 4.)

mais aussi de descendre. Pour le mouvement de la terre, je m'étonne qu'un homme d'église en ose écrire, en quelque façon qu'il s'excuse; car j'ai vu une patente sur la condamnation de Galilée, imprimée à Liége le 20 septembre 1633, où sont ces mots : quamvis hypothetice a se illam proponi simularet; en sorte qu'ils semblent même défendre qu'on se serve de cette hypothèse en l'astronomie : ce qui me retient que je n'ose mander aucune de mes pensées sur ce sujet. Ne voyant point encore que cette censure ait été autorisée par le pape, ni par le concile, mais seulement par une congrégation particulière des cardinaux-inquisiteurs, je ne perds pas tout-àfait espérance qu'il n'en arrive ainsi que des antipodes, qui avaient été quasi en même sorte condamnés autrefois, et, ainsi, que mon Monde ne puisse voir le jour avec le temps; auquel cas j'aurai besoin moi-même de me servir de mes raisons... »

AU RÉVÉREND PÈRE MERSENNE.

« MON RÉVÉRend père,

« 15 mars 1634.

« Encore que je n'aie aucune chose particulière à vous mander, toutefois, à cause qu'il y a déjà plus de deux mois que je n'ai reçu de vos nouvelles, j'ai cru ne devoir pas attendre plus long-temps à vous écrire; car si je n'avais eu de trop longues preuves de la bonne volonté que vous me faites la faveur de me porter, pour avoir aucune occasion d'en douter, j'aurais quasi peur qu'elle ne fût un peu refroidie, depuis que j'ai manqué à la promesse que je vous avais faite de vous envoyer quelque chose de ma Philosophie: mais d'ailleurs la connaissance que j'ai de votre vertu me fait espérer que vous n'aurez que meilleure opinion de moi, de voir que j'ai voulu entièrement supprimer le traité que j'en avais fait, et perdre presque tout mon travail de quatre ans, pour rendre une entière obéissance à l'Église, en ce qu'elle a défendu l'opinion du mouvement de la terre; et toutefois, pour ce que je n'ai point encore vu que ni le pape ni le concile aient ratifié

cette défense, faite seulement par la congrégation des cardinaux établis pour la censure des livres, je serais bien aise d'apprendre ce qu'on en tient maintenant en France, et si leur autorité a été suffisante pour en faire un article de foi. Je me suis laissé dire que les jésuites avaient aidé à la condamnation de Galilée, et tout le livre du P. Scheiner montre assez qu'ils ne sont point de ses amis; mais d'ailleurs les observations qui sont dans ce livre, fournissent tant de preuves pour ôter au soleil les mouvemens qu'on lui attribue, que je ne saurais croire que le P. Scheiner même en son ame ne croie l'opinion de Copernic: ce qui m'étonne de telle sorte que je n'en ose écrire mon sentiment. Pour moi je ne cherche que le repos et la tranquillité d'esprit, qui sont des biens qui ne peuvent être possédés par ceux qui ont de l'animosité ou de l'ambition, et je ne demeure pas cependant sans rien faire, mais je ne pense pour maintenant qu'à m'instruire moi-même, et me juge fort peu capable de servir à instruire les autres, principalement ceux qui ayant déjà acquis quelque crédit, par de fausses opinions, auraient peut-être peur de le perdre, si la vérité se découvrait. >>

En attendant qu'il pût mettre au jour sa véritable opinion, Descartes se félicitait de voir les ministres protestans fulminer contre le mouvement de la terre, parce que cela lui faisait espérer, disait-il, que par contradiction les prédicateurs catholiques finiraient par l'adopter.

Quoiqu'il n'admît pas toutes les raisons de Galilée, ainsi que nous venons de le voir, il trouva dans l'ouvrage de ce grand homme tant de rapports avec ses propres pensées, que, s'il les avait eu publiées auparavant, il aurait cru, ditil, que Galilée l'avait dérobé. Il ne se décida que dix ans après à laisser entrevoir son opinion sur le mouvement de la terre, dans ses Principes de la philosophie, encouragé par l'exemple de ce qu'il y avait de plus habile parmi les philosophes et les mathématiciens catholiques, à qui, dit Baillet, le décret de l'inquisition n'avait pas fait tant de peur qu'à lui. Galilée d'ailleurs n'avait pas été enfermé dans les cachots de l'inquisition, comme on l'a cru plus tard : il garda les arrêts pendant une dizaine de jours, du 22 juin

pour

le reste

au commencement de juillet 1633, dans un palais de Rome, et sa condamnation définitive fut de se retirer de sa vie dans une maison de campagne du territoire de Florence.

En 1634, Descartes retourna à Amsterdam, et entreprit, de compagnie avec Villebressieux, un voyage d'observation en Danemarck et dans la Basse-Allemagne.

L'hiver de 1635 lui donna l'occasion de faire des observations sur la neige, et, dans une lettre à Chanut, il exprima le vœu que toutes les expériences pussent ainsi lui tomber des nues.

Au commencement de 1636 il écrivit, à la prière de son ami M. de Zuitlichem, secrétaire du prince d'Orange, un petit Traité de mécanique qu'il ne destinait pas à l'impression, et qui n'a été publié qu'après sa mort. Il s'occupa aussi de faire imprimer son premier ouvrage, et adressa sur ce sujet au père Mersenne la lettre qui suit :

AU RÉVÉREND PÈRE MERSENNE.

« MON RÉVÉREND PÈRE,

ya

« Amsterdam, mars 1636.

« Il y a environ cinq semaines que j'ai reçu vos dernières, du 18 janvier, et je n'avais reçu les précédentes que quatre ou cinq jours auparavant. Ce qui m'a fait différer de vous faire réponse a été que j'espérais de vous mander bientôt que j'étais occupé à faire imprimer, car je suis venu à ce dessein en cette ville; mais les Elzeviers, qui témoignaient auparavant avoir fort envie d'être mes libraires, s'imaginant, je crois, que je ne leur échapperais pas, lorsqu'ils m'ont vi ici, ont eu envie de se faire prier, ce qui est cause que j'ai résolu de me passer d'eux, et, quoique je puisse trouver assez d'autres libraires, toutefois je ne résoudrai rien avec aucun que je n'aie reçu de vos nouvelles, pourvu que je ne tarde point trop à en recevoir. Et si vous jugez que mes écrits puissent être imprimés à Paris plus commodément

qu'ici, et qu'il vous plût d'en prendre le soin, comme vous m'avez obligé autrefois de m'offrir, je vous les pourrais envoyer incontinent après la vôtre reçue. Seulement y a-t-il en cela la difficulté que ma copie n'est pas mieux écrite que cette lettre, que l'orthographe ni les virgules n'y sont pas mieux observées, et que les figures n'y sont tracées que de ma main, c'est-à-dire très mal; en sorte que si vous n'en tirez l'intelligence du texte pour les interpréter après au graveur, il lui serait impossibie de les comprendre. Outre cela, je serais bien aise que le tout fût imprimé en fort beau caractère et de fort beau papier, et que le libraire me donnât du moins deux cents exemplaires, à cause que j'ai envie d'en distribuer à quantité de personnes. Et afin que vous sachiez ce que j'ai envie de faire imprimer, il y aura quatre traités, tous français, et le titre en général sera: Le projet d'une science universelle qui puisse élever notre nature à son plus haut degré de perfection; plus la Dioptrique, les Météores et la Géométrie, où les plus curieuses matières que l'auteur ait pu choisir pour rendre preuve de la science universelle qu'il propose sont expliquées en telle sorte, que ceux même qui n'ont point étudié les peuvent entendre. En ce projet je découvre une partie de ma méthode ; je táche à démontrer l'existence de Dieu et de l'ame séparée du corps, et j'y ajoute plusieurs autres choses qui ne seront pas, je crois, désagréables au lecteur. En la Dioptrique, outre la matière des réfractions et l'invention des lunettes, j'y parle aussi fort particulièrement de l'œil, de la lumière, de la vision, et de tout ce qui appartient à la catoptrique et à l'optique. Aux Météores, je m'arrête principalement sur la nature du ciel, les causes des vents et du tonnerre, les figures de la neige, les couleurs de l'arc-en-ciel, où je tâche aussi à démontrer généralement quelle est la nature de chaque couleur, et les couronnes, ou halones, et les soleils, ou parhelia, semblables à ceux qui parurent à Rome il y a six ou sept ans. Enfin, en la Géométrie, je tâche à donner une façon générale pour résoudre tous les problèmes qui ne l'ont encore jamais été. Et tout ceci ne fera pas, je crois, un volume plus grand que de cinquante ou soixante feuilles. Au reste je n'y veux point

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