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que par ce moyen j'emprunterais tout le meilleur de l'analyse géométrique et de l'algebre, et corrigerais tous les défauts de l'une par l'autre. » Voyez, pour Jes développemens de cette méthode, les Règles pour la direction de l'esprit : Règles XIV, XV, XVI et XVII. Rapprochez aussi ces passages des préceptes de Bacon sur ce qu'il appelle l'expérience écrite, experientia litteraia. Voyez Novum Organum, liber primus, CI et CII.

(IIIe partie, 4) « Une troisième maxime était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l'ordre du monde, et généralement de m'accoutumer à croire qu'il n'y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées.... » Les règles de morale posées ici par Descartes, et particulièrement la troisième, sont développées dans les lettres à la princesse Élisabeth. Voyez, dans la présente édition, les lettres I, II et IV. (5.) « D'autant que, notre volonté ne se portant à suivre ni à fuir aucune chose que selon que notre entendement la lui présente bonne ou mauvaise, il suffit de bien juger pour bien faire.... » Voyez la Méditation quatrième, où Descartes développe cette thèse : que l'erreur provient uniquement de ce que la volonté dépasse la portée de l'entendement.

(VIe partie. 3.) « Mais il faut aussi que j'avoue que la puissance de la nature est si ample et si vaste, et que ces principes sont si simples et si généraux, que je ne remarque quasi plus aucun effet particulier que d'abord je ne connaisse qu'il peut en être déduit en plusieurs diverses façons, et que ma plus grande difficulté est d'ordinaire de trouver en laquelle de ces façons il en dépend; car à cela je ne sais point d'autre expédient que de chercher derechef quelques expériences qui soient telles que leur événement ne soit pas le même, si c'est en l'une de ces façons qu'on doit l'expliquer, que si c'est en l'autre. » On reconnaît ici ces experiences de la croix, instantiæ crucis, dont parle Bacon, et d'où il résulte que l'esprit est fixé sur la véritable cause d'un phénomène. Voyez NOVUM ORGANUM, sectio secunda, XIV.

SUR LES MÉDITATIONS.

Dans une lettre de Descartes au P. Mersenne nous trouvons ce passage relatif aux Méditations:

« Je serai bien aise qu'on me fasse le plus d'objections et les plus fortes qu'on pourra, car j'espère que la vérité en paraîtra d'autant mieux; mais je vous prie de faire voir ma réponse et les objections que vous m'avez déjà en• voyées, à ceux qui m'en voudront faire de nouvelles, afin qu'ils ne me proposent point ce à quoi j'aurai déjà répondu. J'ai prouvé bien expressément que Dieu était créateur de toutes choses, et ensemble tous ses autres attributs; car j'ai démontré son existence par l'idée que nous avons de lui, et mème parce qu'ayant en nous cette idée nous devons avoir été créés par lui. Mais je vois qu'on prend plus garde aux titres qui sont dans les livres, qu'à tout le reste. Ce qui me fait penser qu'au titre de la seconde Méditation: De menie humana, on peut ajouter: quod ipsa sit notior quam corpus, alin qu'on ne croie pas que j'aie voulu y prouver son immortalité. Et après en la troisième: de Deo, quod existat; en la cinquième, De essentia rerum materialium; et iterum de Deo, quod existat; en la sixième: De existentia rerum materialium, et reali mentis a corpore distinctione; car ce sont là les choses à quoi je désire qu on prenne le plus garde: mais je pense y avoir mis beaucoup d'autres choses. Et je vous dirai, entre nous, que ces six Méditations contiennent tous les fondemens de ma Physique; mais il ne le faut pas dire, s'il vous plait : car ceux qui favori sent Aristote feraient peut-être plus de difficulté de les approuver; et j'e père que ceux qui les liront s'accoutumeront insensiblement à mes principes, et en reconnaitront la vérité, avant que de s'apercevoir qu'ils détruisent ceux d'Aristote.

(Méditation troisième, 19.) <... la Divinité dans laquelle rien ne se rencontre seulement en puissance, mais tout y est actuellement et en effet...» Descartes avait dit dans le paragraphe précédent : « Il suffit... que je juge que toutes les choses que je conçois clairement et dans lesquelles je sais qu'il y a quelque perfection, et peut-être aussi une infinité d'autres que j'ignore, sont en Dieu formellement ou éminemment..., » c'est-à-dire en fait et en puissance. Il y a une petite contradiction entre ces deux propositions.

(Ibid.) « Et enfin je comprends fort bien que l'ètre objectif d'une idée ne peut être produit par un être qui existe seulement en puissance, lequel à proprement parler n'est rien, mais seulement par un être formel ou actuel.» Descartes avait dit plus haut, même Méditation, 14 : « Quant aux idees claires et distinctes que j'ai des choses corporelles, il y en a quelques-unes qu'il semble que j'ai pu tirer de l'idée que j'ai de moi-même, comme celle que j'ai de la substance, de la durée, du nombre, etc. Pour ce qui est des autres qualités dont les idées des choses corporelles sont composées, à savoir l'étendue, la figure, la situation et le mouvement, il est vrai qu'elles ne sont point formellement en

moi, puisque je ne suis qu'une chose qui pense; mais parce que ce sont seulemen de certains modes de la substance, et que je suis moi-même une substance, i semble qu'elles puissent être contenues en moi éminemment.» Notre philosophe semble reconnaitre ici qu'une idée pourrait lui être fournie par un être qui existerait seulement en puissance; et dans le passage précédent il était de l'avis contraire. A la fin du paragraphe 20 de la même Méditation, Descartes dit encore: « Il faut donc seulement ici que je m'interroge et me consulte moimême, pour voir si j'ai en moi quelques pouvoirs et quelques vertus au moyen desquelles je puisse faire que moi qui suis maintenant je sois encore un moment après; car... si une telle puissance résidait en moi, certes je devrais à tout le moins le penser et en avoir connaissance.» Puisque l'auteur ne veut pas que l'idée de l'infini lui soit suggérée par des qualités seulement en puissance, et qu'il affirme ici que toutes les puissances de son être lui seraient révélées par la conscience, il a donc eu tort de dire, à la fin da paragraphe 14, que peut-être l'étendue résidait en lui éminemment, c'est-à-dire en puissance, et que telle pouvait être l'origine de l'idée qu'il avait de l'étendue.

(24.) « Et toute la force de l'argument dont j'ai ici usé pour prouver l'existence de Dieu consiste en ce que je reconnais qu'il ne serait pas possible que ma nature fût telle qu'elle est, c'est-à dire que j'eusse en moi l'idée d'un Dieu, si Dieu n'existait véritablement » La rédaction de la phrase française fait reposer la preuve de l'existence de Dieu sur l'idée que nous avons de cette existence; mais cette preuve a été développée plus haut par Descartes. Il en présente une autre ici qui se fonde sur l'existence de l'homme, en tant qu'il a l'idée de Dieu ce qui est tout autre chose, comme Descartes s'efforce de le démontrer. Voilà pourquoi nous avons rétabli la phrase latine au bas du texte français.

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(Méditation quatrième, 11.) « Car la lumière naturelle nous enseigne que la connaissance de l'entendement doit toujours précéder la détermination de la volonté. » Quelle est cette lumière naturelle que Descartes a exemptée de son doute, et qu'il ne fait pas dériver de la connaissance de Dieu ou de nousmêmes?

(15.) « Mais je ne puis pas, pour cela, nier que ce ne soit en quelque façon une plus grande perfection dans l'univers de ce que quelques-unes de ses parties ne sont pas exemptes de défaut... que si elles étaient toutes semblables. N'est-on pas étonné de voir notre philosophe proclamer que le monde est plus parfait à cause même de ses imperfections? C'est bien là une preuve que l'idée de la perfection divine est chez nous antérieure à la vue des faits, et qu'elle résiste même au spectacle de l'univers, loin d'être le résultat de l'observation.

(Méditation cinquième.) « De l'essence des choses matérielles, et pour la seconde fois de l'existence de Dieu.» On voit que notre auteur fait une distinction entre l'essence et l'existence pour lui le triangle pourrait ne pas exister dans la nature, et il n'en serait pas moins de l'essence de cette figure d'être une surface terminée par trois droites, d'avoir ses trois angles égaux à deux droits, etc. C'est pour cette raison qu'il a cru pouvoir démontrer l'existence de Dieu par l'essence de l'idée de Dieu. Mais il est clair qu'une chose ne peut avoir d'essence qu'à la condition d'exister, et que l'essence n'est que le mode d'existence. Il est donc aussi illogique de démontrer l'existence de Dieu par son essence,

que de démontrer l'existence de l'ame par la pensée. C'est toujours le cercle vicieux du Cogito, ergo sum.

(3.) Or maintenant si de cela seul que je puis tirer de ma pensée l'idée de quelque chose il s'ensuit que tout ce que je reconnais clairement et distinctement appartenir à cette chose lui appartient en effet, ne puis-je pas tirer de ceci un argument et une preuve démonstrative de l'existence de Dieu? Descartes avait promis dans le titre de cette Méditation de traiter de l'essence des choses matérielles, et voilà qu'après les deux premiers paragraphes il passe à l'existence de Dieu. Gassendi lui a fait remarquer qu'il tournait un peu court sur ce sujet. Il est manifeste en effet que Descartes n'a parlé de l'essence de la matière que comme d'un objet de comparaison avec l'essence de Dieu; mais il ne faut pas oublier que les titres des Méditations ont été placés après coup par l'auteur, ainsi qu'on peut le voir dans la lettre que nous rapportons en tête de ces notes, et que Descartes a seulement voulu indiquer les points principaux de chaque Méditation.

(8.) << Mais quand bien même je dormirais, tout ce qui se présente à mon esprit avec évidence est absolument véritable. » Il semblerait d'après cette phrase que Descartes admit la réalité des objets qui se présentent à nous pendant les rêves. Mais nous devons nous rappeler qu'il ne place l'évidence que dans l'essence de l'étendue, c'est-à-dire dans les propriétés mathématiques de cette étendue, et que pour lui l'existence extérieure de l'étendue, les couleurs, les sons, les odeurs et les saveurs ne sont des connaissances claires, ni dans l'état de veille, ni dans l'état de sommeil.

(Méditation sixième, 5.) «...je ne pouvais sentir aucun objet, quelque volonté que j'en eusse, s'il ne se trouvait présent à l'organe d'un de mes sens; et il n'était nullement en mon pouvoir de ne le pas sentir, lorsqu'il s'y trouvait présent. » Sentir un objet ou savoir qu'il est présent à l'organe d'un de nos sens, c'est absolument la même chose; il n'y a là que deux expressions synonymes d'un même fait : la phrase de Descartes revient donc à dire : Je ne pouvais sentir aucun objet si je ne le sentais, et il n'était nullement en mon pou. voir de ne pas sentir lorsque je sentais.

«

(9.) De plus je ne puis douter qu'il n'y ait en moi une certaine faculté passive de sentir, c'est-à-dire de recevoir et de connaître les idées des choses sensibles; mais elle me serait inutile, et je ne m'en pourrais aucunement servir, s'il n'y avait aussi en moi ou en quelqu'autre chose une autre faculté active, capable de former et produire ces idées. Or cette faculté active ne peut être en moi en tant que je ne suis qu'une chose qui pense, vu qu'elle ne présuppose point ma pensée; et aussi que ces idées-là me sont souvent représentées sans que j'y contribue en aucune façon et même souvent contre mon gré. Il faut donc nécessairement qu'elle soit en quelque substance différente de moi. Descartes avait dit plus haut (même Méditation, no 6): « Et quoique les idées que je reçois par les sens ne dépendent point de ma volonté, je ne pensais pas devoir pour cela conclure qu'elles procédaient de choses différentes de moi, puisque peut-être il se peut rencontrer en moi quelque faculté, bien qu'elle m'ait été jusqu'ici inconnue, qui en soit la cause, et qui les produise. » Descartes pouvait supposer qu'il y avait en lui une propriété correspondante à la cause des idées sensibles, quand il ne se connaissait pas bien lui même ; mais à présent qu'il ne se connait que comme une chose qui pense, il peut assurer que comme tel il ne contient pas d'étendue.

DESCARTES. T. I.

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(Ibid.) Or Dieu n'étant pas trompeur, il est très manifeste qu'il ne m'envoie point ces idées immédiatement par lui-même, ni aussi par l'entremise de quelque créature dans laquelle leur réalité né soit pas contenue formellement, mais seulement éminemment; car ne m'ayant donné aucune faculté pour connaitre que cela sóit, mais au contraire une très grande inclination à croire qu'elles partent des choses corporelles, je ne vois pas comment on pourrait l'accuser de tromperie, si en effet ces idées partaient d'ailleurs. » Dans le paragraphe 6, qui précède, nous lisons: «... et pour les raisons qui m'avaient cidevant persuadé la vérité des choses sensibles, je n'avais pas beaucoup de peine à y répondre; car la nature semblant me porter à beaucoup de choses dont la raison me détournait, je ne croyais pas me devoir confier beaucoup aux enseignemens de cette nature. » On trouve au premier abord quelque contradiction entre ces deux passages, puisque l'auteur d'un côté s'en rapporte à l'impulsion de sa nature, et de l'autre côté s'y refuse. Mais c'est lorsqu'il s'est assuré de l'existence d'un Dieu vérace, qu'il croit pouvoir s'abandonner aux inspirations de la nature pour les objets qui lui paraissent évidens, et il ne se tient en garde que pour les choses obscures et confuses. Il semblerait résulter du passage que nous avons cité d'abord, que Descartes admit des idées intermédiaires entre l'esprit et les objets, idées qui se détacheraient des corps et entreraient dans l'esprit, ayant une existence à part, formant ce qu'on appelait dans l'ancienne école des entités. Mais il détruit lui-même cette doctrine dans ses Réponses aux sixièmes Objections (voyez no 14). « Par exemple, ditil, lorsque je vois un bâton, il ne faut pas s'imaginer qu'il sorte de lui de petites images voltigeant par l'air, appelées vulgairement des espèces intentionnelles, qui passent jusques à mon œil, mais seulement que les rayons de la lumière réfléchis de ce bâton excitent quelques mouvemens dans le nerf optique, et par son moyen dans le cerveau même. » Descartes dit ailleurs (voyez lettre XXXVIII) que les idées de figures, de couleurs, de sons, d'odeurs, de douleurs, etc., sont conçues par l'esprit à propos des mouvemens excités dans les nerfs par les objets extérieurs,

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(14.) Or cette nature m'apprend bien à fuir les choses qui causent en moi les sentimens de la douleur, et à me porter vers celles qui me font avoir quelque sentiment de plaisir; mais je ne vois point qu'outre cela elle m'apprenne que de ces diverses perceptions des sens nous devions jamais rien conclure touchant les choses qui sont hors de nous, sans que l'esprit les ait soigneusement et mûrement examinées : car c'est, ce me semble, à l'esprit seul, èt non point au composé de l'esprit et du corps, qu'il appartient de connaître la vérité de ces choses-là.» Puisque l'esprit peut conclure tout seul l'extériórité des objets, on ne voit pas comment cette faculté ne pourrait pas appartenir à un composé dont l'esprit ferait partie.

(Ibid.) ...je vois que, tant en ceci qu'en plusieurs autres choses semblables, j'ai accoutumé à pervertir et confondre l'ordre de la nature, parce que ces sentimens ou perceptions des sens n'ayant été mises en moi que pour signifier à mon esprit quelles choses sont convenables ou nuisibles au composé dont ibest partie, et jusque-là étant assez claires et assez distinctes, je m'en sers néanmoins comme si elles étaient des règles très certaines, par lesquelles je pusse connaître immédiatement l'essence et la nature des corps qui sont hors de moi, de laquelle toutefois elles ne me peuvent rien enseigner que de fort

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