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connusse je ne pouvais savoir parfaitement aucune autre chose. Et à présent que je le connais, j'ai le moyen d'acquérir une science parfaite touchant une infinité de choses, non-seulement de celles qui sont en lui, mais aussi de celles qui appartiennent à la nature corporelle en tant qu'elle peut servir d'objet aux démonstrations des géomètres, lesquels n'ont point d'égard à son existence".

Il y a de plus dans le latin: aliisque rebus intellectualibus.

Il y avait seulement dans le latin : puræ matheseos. Voyez la note sur le titre de cette Méditation, pour la distinction que fait Descartes entre la naturé ou l'essence et l'existence des objets.

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MÉDITATION SIXIÈME.

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DE L'EXISTENCE DES CHOSES MATÉRIELLES, ET DE LA RÉELLE DI STINCTION QUI EST ENTRE L'AME ET LE CORPs de l'homme '.

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(1) Il ne me reste plus maintenant qu'à examiner s'il y a des choses matérielles : et, certes, au moins sais-je déjà qu'il y en peut avoir en tant qu'on les considère comme l'objet des démonstrations de géométrie, vu que de cette façon je les conçois fort clairement et fort distinctement. Car il n'y a point de doute que Dieu n'ait la puissance de produire toutes les choses que je suis capable de concevoir avec distinction; et je n'ai jamais jugé qu'il lui fût impossible de faire quelque chose, que par cela seul que je trouvais de la contradiction à la pouvoir bien concevoir. De plus, la faculté d'imaginer qui est en moi, et de laquelle je vois par expérience que je me sers lorsque je m'applique à la considération des choses matérielles est capable de me persuader leur existence : car quand je considère attentivement ce que que l'imagination, je trouve qu'elle n'est autre chose qu'une certaine application de la faculté qui connaît au corps qui lui est intimement présent, et partant qui

existe.

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c'est

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(2) Et pour rendre cela très manifeste, je remarque premièrement la différence qui est entre l'imagination et la pure intellection ou conception 3. Par exemple lorsque j'imagine un triangle, non-seulement je conçois que c'est une figure composée de trois lignes, mais avec cela j'en

4 Addition au texte latin.

Il y a en latin: puræ matheseos.

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* Addition au texte latin. Voyez, pour le développement de la même idée, seconde Méditation, no 8-11.

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visage ces trois lignes comme présentes par la force et l'application intérieure de mon esprit ; et et ce que j'appelle imaginer. Que si je veux penser à un chiFest proprement liogone, je conçois bien à la vérité que c'est une figure composée de mille côtés aussi facilement que je conçois qu'un triangle est une figure composée de trois côtés seulement; mais je ne puis pas imaginer les mille côtés d'un chiliogone comme je fais les trois d'un triangle, ni pour ainsi dire les regarder comme présens avec les yeux de mon esprit 1. Et quoique, suivant la coutume que j'ai de me servir toujours de mon imagination lorsque je pense aux choses corporelles, il arrive qu'en concevant un chịliogone je me représente confusément quelque figure, toutefois il est très évident que cette figure n'est point un chilíogone, puisqu'elle ne diffère nullement de celle que je me représenterais si je pensais à un myriogone ou à quelque autre figure de beaucoup de côtés; et qu'elle ne sert en aucune façon à découvrir les propriétés qui font la différence du chiliogone d'avec les autres polygones. Que s'il est question de considérer un pentagone, il est bien vrai que je puis concevoir sa figure, aussi bien que celle d'un chiliogone, sans le secours de l'imagination; mais je la puis aussi imaginer en appliquant l'attention de mon esprit à chacun de ses cinq côtés, et tout ensemble à l'aire ou à l'espace qu'ils renferment. Ainsi je connais clairement que j'ai besoin d'une particulière contention d'esprit pour imaginer, de laquelle je ne me sers point pour concevoir ou pour entendre 3; et cette particulière contention d'esprit montre évidemment la différence qui est entre l'imagination et l'intellection ou conception 4 pure. Je remarque outre cela que cette vertu

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d'imaginer qui est en moi, en tant qu'elle diffère de la puissance de concevoir 1, n'est en aucune façon nécessaire à ma nature ou à mon essence, c'est-à-dire à l'essence de mon esprit; car, encore que je ne l'eusse point, il est sans doute que je demeurerais toujours le même que je suis maintenant : d'où il semble que l'on puisse conclure qu'elle dépend de quelque chose qui diffère de mon esprit. Et je conçois facilement que si quelque corps existe auquel mon esprit soit tellement conjoint et uni qu'il se puisse appliquer à le considérer quand il lui plaît, il se peut faire que par ce moyen il imagine les choses corporelles en sorte que cette façon de penser diffère seulement de la pure intellection en ce qué l'esprit en concevant se tourné en quelque façon vers soi-même, et considère quelqu'une des idées qu'il a en soi; mais en imaginant il se tourne vers le corps, et considère en lui quelque chose de conforme à l'idée qu'il a lui-même formée 3 ou qu'il a reçue par les sens. Je conçois, dis-je, aisément que l'imagination se peut faire de cette sorte, s'il est vrai qu'il y ait des corps et parce que je ne puis rencontrer aucune autre voie pour expliquer comment elle se fait, je conjecture de là probablement qu'il y en a : mais ce n'est que probablement; et quoique j'examine soigneusement toutes choses, je ne trouve pas néanmoins que, de cette idée distincté de la nature corporelle que j'ai en mon imaginaǝ tion, je puisse tirer aucun argument qui conclue avec nécessité l'existence de quelque corps.

(3) Or j'ai accoutumé d'imaginer beaucoup d'autres choses outre cette nature corporelle qui est l'objet de la géométrie 4, à savoir les couleurs, les sons, les saveurs, la douleur, et autres choses semblables, quoique moins dis

1 Dans le latin: intelligendi.

Addition au texte latin.

5 Il y avait dans le latin: intellectæ a se. ♦ Puræ matheseos (texte latin).

tinctement 1; et d'autant que j'aperçois beaucoup mieux ces choses-là par les sens, par l'entremise desquels et de la mémoire elles semblent être parvenues jusqu'à mou imagination, je crois que, pour les examiner plus commodément, il est à propos que j'examine en même temps ce que c'est que sentir, et que je voie si de ces idées que je reçois en mon esprit par cette façon de penser que j'appelle sentir, je ne pourrai point tirer quelque preuve certaine de l'existence des choses corporelles.

(4) Et, premièrement, je rappellerai en ma mémoire quelles sont des choses que j'ai ci-devant tenues pour vraies, comine les ayant reçues par les sens, et sur quels fondemens ma créance était appuyée; après, j'examinerai les raisons qui m'ont obligé depuis à les révoquer en doute; et, enfin, je considérerai ce que j'en dois maintenant croire. spelar iti no ures to er son of a rov

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(5) Premièrement donc j'ai senti que j'avais une tête, des mains, des pieds, et tous les autres membres dont est composé ce corps que je considérais comme une partie de moi-même ou peut-être aussi comme le tout; de plus j'ai senti que ce corps était placé entre beaucoup d'autres, desquels il était capable de recevoir diverses commodités et incommodités, et je remarquais ces commodités par un certain sentiment de plaisir ou de volupté, ét ces incommodités par un sentiment de douleur. Et outre et cette douleur je ressentais aussi en moi la faim, la soif, et d'autres semblables appétits; comme aussi de certaines inclinations corporelles vers la joie, la tristesse, la colère, et autres semblables passions. Et audehors, outre l'extension, les figures, les mouvemens des corps, je remarquais en eux de la dureté, de la chaleur, et toutes les autres qualités qui tombent sous l'attouchement; de plus j'y remarquais de la lumière, des couleurs,

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1 Voyez troisième Méditation, no 13.

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