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Coras lui dit : La pièce est de mon cru.
Leclerc répond: Elle est mienne et non vôtre.
Mais aussitôt que la pièce eut paru,

Plus n'ont voulu l'avoir fait l'un ni l'autre.

La tragédie nous a valu l'épigramme: c'est là son seul mérite.

LEÇON XXX.

LITTERATURE FRANÇAISE.

DIX-SEPTIÈME SIÈCLE.

RACINE DEUXIÈME PARTIE.

L'immense succès d'Iphigénie en Aulide avait mis Racine en goût d'imiter les anciens; mais il comprenait qu'il ne devait pas les imiter servilement, et que, parmi ses emprunts, une part de création devait lui appartenir. Il est dans tout chef-d'œuvre littéraire des beautés de premier ordre qui sont reconnues et senties dans tous les temps et dans tous les lieux; il en est d'autres qui ne peuvent plaire qu'à la nation et à l'époque qui les a vues naître. Racine, nourri dès l'enfance de la lecture des tragiques grecs, les admirait avec la vénération d'un fervent disciple pour son maître; mais son culte n'était pas tellement aveugle qu'il crût devoir marcher servilement sur leurs traces sans jamais tenter de nouvelles routes, sans se frayer à côté d'eux un nouveau chemin. Sophocle, plus profondément grec qu'Euripide, l'effrayait par le

caractère de ses conceptions, et le poète français recula toujours devant la tentation de transporter sur notre théâtre la poétique et tragique figure d'OEdipe. La lecture du drame de Sophocle excitait cependant en lui un tel enthousiasme, qu'un jour, étant à Auteuil, chez Boileau, avec le célèbre Nicole et quelques autres amis, il prit OEdipe, et, le traduisant à livre ouvert, il s'émut à tel point que tous les auditeurs furent frappés tour à tour de terreur et de pitié. L'un des assistants, M. de Valincour, écrivit à cette occasion à l'abbé d'Olivet : « J'ai vu nos meilleures pièces représentées par nos meilleurs acteurs; rien n'a jamais approché du trouble où me jeta ce récit; et au moment où j'écris, je m'imagine voir encore Racine, le livre à la main, et nous tous consternés autour de lui. »

Racine n'avait pas un moindre culte pour Euripide, mais il se trouvait plus à l'aise avec lui, et la reconnaissance qu'il lui devait déjà pour le succès d'Iphigénie ne fit que l'engager à lui en demander un nouveau. L'Hippolyte du poète grec, imité à Rome par Sénèque, lui parut offrir des beautés encore inconnues sur la scène française. Il ne les vit point dans le principal personnage de la tragédie grecque, dans cet Hippolyte dont la vertu sauvage se fait gloire de ne rien aimer, et que Vénus poursuit de sa haine parce qu'il ne porte son encens qu'aux autels de Diane; il les découvrit dans cette malheureuse épouse de Thésée, dans cette Phèdre que Vénus enflamme d'un amour criminel pour le fils de son époux, et qui lutte en vain contre la passion fatale dont elle doit mourir. Dans Hermione, dans Roxane, Racine avait

peint les fureurs jalouses d'une femme qui aime sans être aimée, mais qui peut sans honte et sans remords s'abandonner à sa passion. L'amour de Phèdre lui parut plus dramatique encore, car il est involontaire, et le sentiment du devoir et de la vertu lui en fait un crime dont la honte et le remords la poursuivent sans cesse.

Retraçons en peu de mots le plan de la tragédie grecque. Nous le trouvons dans le prologue même, où Vénus vient raconter au spectateur que, pour punir Hippolyte de l'outrage qu'il fait à sa divinité en n'aimant rien au monde que les plaisirs de la chasse, elle a inspiré pour lui un amour violent à Phèdre, sa belle-mère; qu'elle fera mourir Phèdre, mais qu'avant de mourir elle accusera Hippolyte de son propre crime, et qu'enfin Hippolyte périra victime du courroux de son père. Sans rechercher ici dans quel but Euripide prévient ainsi d'avance le spectateur de ce qui va se passer, nous ne pouvons nous empêcher de remarquer que la douleur et les remords de Phedre nous touchent peu lorsque nous la voyons, avant de se tuer, prendre le soin d'écrire à Thésée l'horrible mensonge qui doit causer la mort d'Hippolyte. Que devient la pitié qu'elle nous inspirait, quand nous l'entendons dire : « Ma mort fera le malheur d'un autre; il ne s'enorgueillira pas de mes souffrances; il en aura sa part, et apprendra peut-être à ses dépens qu'il faut être modeste. >> Phèdre, accusant elle-même Hippolyte du crime dont elle est seule coupable, Phèdre est odieuse jusque dans l'instant où elle se tue pour étouffer son

amour.

Racine s'est bien gardé de donner les mêmes senti

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