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les désastres. Le régent lui retira les sceaux de l'État. Ce fut en s'exilant à sa terre de Fresnes, où l'attendaient les consolations de l'étude et de l'amitié, que l'illustre chancelier écrivit à son ami, le cardinal de Polignac, ces jolis vers qu'aucun poète du temps n'eût désavoués :

Chez les humains, fortune favorable
Mène souvent à sa suite amitié,

Mais amitié coquette et peu durable :
Avec l'esprit n'est le cœur de moitié.
Donc, au départ de fortune volage,
Leste amitié tôt a plié bagage;

Amis de cour délogent sans pitié

Avec faveur voilà le train vulgaire.

:

Or, en ce cas advient tout le contraire :

Bonheur s'en va, reste seule amitié.

Après avoir loué le courage et la vertu dont s'arma d'Aguesseau pour résister à Louis XIV, pourquoi sommesnous forcé d'avouer que le cardinal Dubois en triompha un moment?... Hâtons-nous d'écarter le fâcheux souvenir d'une faute que Massillon partagea avec d'Aguesseau; et rappelons, en terminant cette étude, le jugement porté sur lui par un écrivain qu'on ne peut accuser de flatterie, le duc de Saint-Simon:

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Beaucoup d'esprit, d'application, de pénétration, de savoir en tout genre, de gravité, d'équité, de piété, d'innocence de mœurs, faisaient le fond du caractère de M. d'Aguesseau. »

LEÇON XXXVI.

LITTÉRATURE FRANÇAISE.

DIX-SEPTIÈME SIÈCLE.

HISTORIENS.

MORALISTES.

:

Il est des écrivains qui, par la nature de leurs ouvrages, se font en quelque sorte les précepteurs du genre humain ce sont les moralistes. A vrai dire, tous les écrivains doivent être moralistes, c'est-à-dire montrer qu'il faut aimer la vertu et haïr le vice, éviter le mal et faire le bien. A ce point de vue, l'auteur dramatique, le fabuliste et le romancier sont nécessairement des écrivains moralistes. Mais, dans leurs tableaux, la morale se trouve parée, embellie, par un déguisement ingénieux qui en cache la sévérité. Il n'en est pas ainsi des écrivains qui nous montrent la vérité sans fard, et qui dédaignent de donner au breuvage salutaire une trompeuse douceur, un attrait mensonger. Ceux-là sont, outre les sermonnaires dont nous venons de nous occuper, les historiens et les moralistes proprement dits. Les historiens s'attachent surtout à ces lois de morale universelle qui régissent les

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empires et les sociétés : les moralistes ou philosophes sont les anatomistes du cœur humain; ils montrent à nu les plaies de l'àme, reconnaissant, pour la plupart, leur impuissance à remédier au mal qu'ils signalent, et laissant à d'autres le soin de les guérir, bien différents en cela des sermonnaires, dont la morale, vivifiée par la religion, verse sur nos souffrances le baume consolateur de la parole divine et nous enseigne à bien vivre et à bien mourir.

Si nous en exceptons le Discours sur l'histoire universelle de Bossuet, le siècle de Louis XIV ne nous présente aucun ouvrage historique digne de prendre place parmi les immortelles productions littéraires de cette époque. Ne serait-ce pas que l'historien, ayant, plus que le poète, besoin d'indépendance et de liberté, se sentait à la gêne sous un monarque qui eût peut-être trouvé mauvais qu'on jugeât ses prédécesseurs avec une sévérité qu'il redoutait pour lui-même? Il en coûta cher à Mézeray, comme nous le verrons tout à l'heure, de vouloir garder la liberté de son jugement, et ce qui lui arriva fut une leçon pour les autres historiens.

Que doit faire un écrivain qui se voue à écrire l'histoire de son pays? Il doit remonter à la source des faits, aux chroniques contemporaines des événements qu'il veut raconter: il ne doit s'en rapporter qu'à lui-même pour l'examen approfondi de ces témoignages dont la sincérité est souvent douteuse. Il faut enfin que, dans l'étude et l'appréciation des hommes et des choses, il apporte un esprit de droiture et d'impartialité sans lequel l'historien manque au premier de ses devoirs. Mézeray ne se donna point

tant de peine: il emprunta aux historiens qui l'avaient précédé, et qui méritaient peu de confiance, une succession de faits qu'il ne prit pas même le soin de discuter, et il se contenta de les présenter sous une autre forme, cherchant plutôt à faire une histoire intéressante qu'une histoire vraie. Un savant chronologiste, le père Petau, disait à Mézeray lui-même qu'il avait trouvé plus de mille fautes grossières dans son Histoire de France. « Et moi, lui répondit Mézeray, j'y en ai trouvé plus de deux mille. » Il semblait que peu lui importât d'avoir dit la vérité pourvu que son livre eût des lecteurs; et il avait d'ailleurs une telle confiance dans son talent, qu'il pensait qu'on devait avoir une foi aveugle dans ce qu'il avait écrit : au surplus, les erreurs historiques de son livre ne furent point la cause de sa disgrâce.

Mézeray avait été un des protégés de Richelieu, ce qui ne l'empêcha pas de se tourner contre Mazarin dans la guerre de la Fronde. Frondeur dans sa conduite, il le devint dans son histoire. Il fit surtout une guerre acharnée aux impôts et aux gens qui les perçoivent ; il répétait sans cesse que tout comptable est pendable. Colbert, qui était le premier comptable du royaume, ne pouvait tolérer ces attaques: il supprima la moitié de la pension de 4,000 francs dont jouissait Mézeray, et comme la mauvaise humeur de l'historien s'exhala par des plaintes injurieuses, la pension fut, bientôt après, supprimée en

entier.

On comprend cette rigueur de Colbert, quand on voit l'historien pensionné du roi s'attacher en toute occasion, dans son livre, à ravaler la royauté. Nous croyons fer

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