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enthousiasme trahissent les efforts de l'écrivain pour y atteindre. Vous pouvez en juger par ce fragment des Conversations chrétiennes, composées pour le duc de Chevreuse, et sur un exemplaire desquelles Bossuet écrivit : Pulchra, nova, falsa ( Idées belles, nouvelles, fausses). Après avoir contemplé le nombre infini des astres qui peuplent l'immensité, il s'écrie:

« Que Dieu est donc grand dans les cieux ! qu'il est élevé dans leur profondeur! qu'il est magnifique dans leur éclat! qu'il est sage, qu'il est puissant dans leurs mouvements réglés! Mais, Ariste, quittons le grand : notre imagination se perd dans ces espaces immenses, que nous n'oserions limiter et que nous craignons de laisser sans bornes. Combien d'ouvrages admirables sur la terre que nous habitons, sur ce point imperceptible à ceux qui ne mesurent que les corps célestes! Mais cette terre, que messieurs les astronomes comptent pour rien, est encore trop vaste pour moi je me renferme dans votre parc. Que d'animaux, que d'oiseaux, que d'insectes, que de plantes, que de fleurs et que de fruits!-L'autre jour que j'étais couché à l'ombre, je m'avisai de remarquer la variété des herbes et des petits animaux que j'avais sous les yeux. Je comptai, sans changer de place, plus de vingt sortes d'insectes dans un fort petit espace, et pour le moins autant de diverses plantes. Je pris un de ces insectes, dont je ne sais point le nom, et peut-être n'en a-t-il point, car les hommes qui donnent divers noms, et souvent de trop magnifiques, à tout ce qui sort de leurs mains, ne croient pas seulement devoir nommer

les ouvrages du Créateur qu'ils ne savent point admirer; je pris, dis-je, un de ces insectes ; je le considérai attentivement; et je ne crains point de vous dire de lui ce que Jésus-Christ assure des lys champêtres, que Salomon, dans toute sa gloire, n'avait point de si magnifiques or

nements. "

C'est là un style que ne désavoueraient ni Bossuet ni Buffon. Malheureusement Malebranche n'est pas toujours aussi éloquent. Souvent même il s'enveloppe d'obscurité quand il traite des questions métaphysiques ou religieuses. Un jour, à propos de sa polémique contre Arnauld, il disait : « Il ne m'entend pas. Eh qui donc, mon père, voulez-vous qui vous entende? » répondit Boileau. C'est là en effet ce qu'on peut répondre à la plupart des penseurs qui se perdent dans les abstractions. Ils se plaignent qu'on ne les entend pas, et peut-être ne s'entendent-ils pas bien eux-mêmes.

LEÇON XXXIII,

LITTÉRATURE FRANÇAISE.

DIX-SEPTIEME SIÈCLE.

Mme DE SÉVIGNÉ.

«Quand on voit le style naturel, dit Pascal, on est tout étonné et ravi, car on s'attendait de voir un auteur, et on trouve un homme. » Ces paroles semblent avoir été écrites tout exprès pour servir de préambule à l'étude qui va nous occuper : car nous avons à vous parler aujourd'hui d'un des plus grands écrivains du dix-septième siècle, qui pourtant ne fut point auteur.

Un soir du mois de mars 1654, le cercle des beaux esprits qui se réunissaient habituellement à l'hôtel de Rambouillet était plus nombreux que de coutume. Benserade avait promis la nouveauté d'un sonnet dont la cour raffolait déjà sans le connaître. En ce temps-là, aux exigences ambitieuses de la Fronde avaient succédé les prétentions vaniteuses du bel esprit. Les arquebusades littéraires étaient devenues la seule guerre possible devant la puissance du jeune Louis XIV. Dans cet hôtel, où se tenait une

cour plénière d'esprit et de savoir dont la reine était la belle Julie d'Angennes, marquise de Montausier, on remarquait ce soir-là mademoiselle de Scudéry, dont l'accoutrement prétentieux et la laideur s'effaçaient devant sa haute renommée littéraire; puis madame de La Fayette, dont l'esprit enjoué cachait l'âme sensible qui devait créer la Princesse de Clèves : d'autres femmes encore, qui ne se contentaient pas d'être belles, y étaient entourées de tout ce que la cour et la ville offraient de plus illustre par la naissance et par le mérite. Chapelain et Ménage s'y faisaient remarquer par cette intrépidité de bonne opinion qui a jeté un vernis de ridicule sur leurs qualités réelles; et c'est à peine si l'on apercevait dans un coin l'auteur du Cid, assis près d'une femme dont il captivait entièrement l'attention, tandis que le brillant comte du Lude, le spirituel chevalier de Méré, l'orgueilleux Bussy-Rabutin et le docte Ménage semblaient n'avoir d'yeux que pour elle. Ce n'était pas cependant que cette femme fût la plus belle, elle était à peine jolie; mais elle avait un charme que les mots ne peuvent peindre, parce qu'on le sent plutôt qu'on ne le voit.

Dès que le prince de Conti, l'aimable frère du grand Condé, fut arrivé, la lecture commença, et chaque vers de Benserade fut accueilli avec un enthousiasme d'autant plus bruyant qu'il n'était pas toujours sincère. Corneille seul et sa jeune voisine ne manifestèrent aucune admiration : l'un parut ne pas comprendre, l'autre ne pas approuver. Quelle était donc cette jeune femme si peu faite aux usages laudatifs du grand monde, ou si peu sensible aux raffinements subtils du bel esprit? Telle fut

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