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La littérature y est tellement florissante, que les tailleurs d'habits de la célèbre bourgade, au lieu de s'amuser, comme Monsieur Dimanche, à faire des enfans, laissent couler de leur plume des poèmes didactiques ou satiriques devant lesquels pâliraient et Vert-Vert et le Pauvre Diable et la Tallardiade elle-même, cette railleuse spirituelle, dont l'auteur peut se tenir ferme sur son roc de Chaliol-le-Vieil, s'il ne veut voir son dur épiderme entamé par la flèche acérée que va décocher sur lui le poète qui chanta naguère le Villageois intrépide, et qui, tout à la fois, est le Gresset et le Béranger de la cité de Saint Grégoire1!

Pendant le court période que nous venons de parcourir, on commença à débarrasser le clergé d'une partie de ses richesses. Le 21 décembre 1563, messire Gaspard Gautier, docteur ez droitz, lieutenant particulier et juge royal au siége et bailliage de Gap, agissant au nom du roi-dauphin, passa vente à Pierre Gaillard, escuyer de cette ville, de la juridiction haute, moyenne et basse, ainsi que des droits de pulvérage et de fournage que l'évêque de Gap avoit pouvoir au lieu, terre et paroisse de Chasteau-Vieulx; et ce en vertu des lettres-patentes du roy-dauphin, nostre souverain seigneur, Charles neufvième. Claude Armand, procureur du roi au bailliage, Jean Gueydan, délégué du clergé, Barthelemy Bernard, et François Bernard-Gari, figurent comme témoins dans cet acte, qui fut reçu par Arnoux Vachier, notaire royal-delphinal et greffier de la cour royale du bailliage de Gap2.

Je vous ai déjà fait connaître que Gabriel de Clermont continuait à administrer le temporel de l'évêché de Gap, nonobstant son apostasie. Les officiers de cet ancien prélat, pour satisfaire au paiement de la taxe en numéraire frappée sur les biens de l'église de Gap,

1 Voyez le Villageois intrépide, poème précédé de trois épîtres au curé sujet du poème, par J.-B. REYNIER, tailleur de Tallard. Grenoble, Prudhomme, 1837.. L'auteur de ce poème a, dit-on, en porte-feuille des chansons dignes du chantre de la Marquise de Prélintaille.

2 Acte du 21 décembre 1563.

vendirent, de leur côté, la terre de Lettret aux enchères. Les consuls de cette communauté en furent déclarés adjudicataires au prix de cinq cents livres, qu'ils s'obligèrent de payer au receveur du roi à Grenoble. Enfin, par acte du dernier jour de novembre 1564, ledit Gabriel de Clermont, estant à Celles en Berry, dont il estoit seigneur et où il fit son séjour ordinaire avec sa femme le reste de son apostasie, passa procuration à noble Jean Gaillard, de Gap, pour racheter les fonds les plus spécieux de l'évêché qui avaient été aliénés par suite de l'édit du roi'. Nous apprendrons peut-être dans la suite l'usage que ce noble gapençais fit des pouvoirs qui lui avaient été conférés.

Gap, le 18 juillet 1837.

THEODORE GAUTIER.

4 JUVENIS, Mémoires inédits.

Littérature.

ALEXANDRE DE PONTAYMERI.

LA CITÉ DV Montelimar, ov les TROIS PRINSES D'ICELLE, COMPOSÉES ET REDIGÉES EN SEPT LIVRES PAR A. DE PONTAYMERI, SEIGNEUR DE FOUCHERAN. M. D. XCI. 1.

COMPULSEZ les volumineux répertoires littéraires dans lesquels sont inhumées par ordre alphabétique les myriades de nos grands hommes inconnus, consultez les dictionnaires historiques du siècle passé heureusement reproduits comme des nouveautés par le siècle présent, jetez-vous, en désespoir de cause, au milieu des cinquante-deux volumes de la Biographie universelle, alongée de son éternel Supplément; nulle part vous ne trouverez le nom de l'honnête et discret auteur du poème qui va faire l'objet de ces

1 Petit in-4o de 252 pages, sans nom d'imprimeur et de ville. Le fleuron placé sur le titre représente une main mouvant d'une nue et soutenant un livre scellé, auquel est attaché un globe céleste entouré d'un serpent, avec cette devise: Ducitur orbis prudentiâ et doctrină. A la suite de ce poème, c'est-à-dire à la page 238, est imprimé un second poème du même auteur, intitulé : Le Triomphe des victoires obtenues par le sieur Desdiguieres en toutes les prouinces du Dauphiné. A Monsieur Monsieur de Calignon, conseiller du Roy, et son president en la souveraine court de Daulphiné. M. D. XCI. Le texte de ces deux poèmes est imprimé en lettres italiques, excepté les dédicaces, préfaces et argumens en prose. Les quatre premiers livres du poème de la Cité du Montelimar sont dédiés à Lesdiguières, les deux suivans au capitaine du Poët, et le dernier à Hector de Mirabel, seigneur de Blacons.

Il y a une erreur de pagination à la page 37, qui est mal à propos numérotée 27, Le poème de la Cité du Montelimar est fort rare et se rencontre dans fort peu de

lignes. Bayle, Debure, les rédacteurs du Moreri, et les infatigables polygraphes qui ont curieusement réuni les archives de l'histoire littéraire, ne lui ont pas consacré le plus petit article 1. Et cependant ne méritait-il pas un brin de mention honorable le fécond auteur de quatre poèmes, d'un volume de pièces fugitives en vers et en prose, et de plusieurs productions politiques 2? Les

bibliothèques publiques; aucune de celles de Paris ne le possède. Il en existe un exemplaire à la bibliothèque de Lyon; mais Delandine s'est trompé, dans le Catalogue des Livres de la Bibliothèque de Lyon, classe des Belles-Lettres (Paris, Renouard, in-8°, tome I, page 456, N.o 2935), en intitulant cet ouvrage : La Cité du Montelimar, ou les trois Princes d'icelle. Les éditeurs de la Bibliothèque historique de la France, édit. de 1768, tome II, N.o 19362, ont commis aussi une erreur en nommant Pontaymeri seigneur de Fochoan. Il existe aussi un autre exemplaire à la bibliothèque de Grenoble, sous le N. 24469 du Catalogue imprimé, et 19741 bis du Catalogue manuscrit.

1 Je ne cite pas les Bibliothèques de Duverdier et de La-Croix-du-Maine, parce qu'elles ont été imprimées antérieurement au poème de Pontaymeri. La réimpression qu'en a donné Rigoley de Juvigny, en six vol. in-4o, en 1772, ne fournit aucun document sur Pontaymeri.

2 Outre les deux poèmes déjà cités, Pontaymeri a fait encore les ouvrages suivans, tout aussi peu connus que les deux premiers; mais j'ignore si c'est là que se bornent ses productions, tant sont rares les documens bibliographiques qui le concernent: 1o Le Roy triomphant, où sont contenues les merueilles du tres illustre et tres inuincible Henri IV, par la grace de Dieu Roy de France et de Nauarre, dedić à Sa Maieste. Lyon, Thibaut Ancelin, 1594, in-4°. La Bibliothèque historique de la France, tome II, N. 19586, cite le même ouvrage imprimé à Cambrai, 1594, in-8°. L'auteur avait la plus haute idée de ce poème, puisqu'il en fait le gage de son immortalité, comme on le voit dans les Argumens. A la suite est imprimé un autre poème sous ce titre : Les Pilliers d'estat dediez au Roy, par E. D. B., où il est clairement montré que la pieté et justice sont les vrais fondemens des empires, et que sans elles ils ne peuuent longuement subsister. 2° Paradoxe apologetique, où il est fidellement demonstré que la femme est beaucoup plus parfaicte que l'homme. Paris, 1594, in-12. Réimprimé dans les œuvres en prose de l'auteur. — 3o Discours d'estat d'Alexandre de Pontaymeri sur la blessure du Roy, réimprimé dans les Mémoires de la Ligue, tome VI, page 268, et dans les Mémoires de Condé, tome VI, Supplement. 4° Discours d'estat d'Alexandre de Pontaymeri, ou la necessité et les moyens de faire la guerre à l'Espagne. Paris, Metayer, 1595, in-8°. Réimprimé dans les Mémoires de la Ligue, tome VI, page 328. - 5° OEuvres en prose. Paris, 1599. Elles renferment, outre des Poésies diverses, le Discours d'estat sur la blessure du Roy, et le Paradoxe apologetique sur les femmes, l'Academie ou l'institution de la Noblesse Françoise, les Liures de la parfaicte vieillesse, l'Image du Grand Capitaine, etc. Voyez la Bibliothèque française de GоUJËT, tome XIV, page 99 et suiv.

portes de l'Académie se sont ouvertes à gens chargés d'un moins formidable bagage; les dictionnaristes ont décerné les honneurs de la déification à bien des écrivains dont un madrigal était toute la fortune littéraire souvent; et s'il vous plaît aujourd'hui d'être catalogué vivant parmi les hommes illustres, les Biographies contemporaines se chargeront de vous délivrer un brevet d'immortalité à 75 centimes la ligne, et louangeront en fort beaux termes vos livres à venir.

Ce serait donc avec grande raison qu'Alexandre de Pontaymeri, seigneur de Foucheran, auteur du poème de la Cité du Montelimar, pourrait se plaindre du dédain et de l'ingratitude de cette postérité, à laquelle, suivant l'habitude des poètes, il avait confié la gloire de son nom, si d'ailleurs cette postérité, si souvent oublieuse et peu sage en ses affections et ses inimitiés, n'avait eu d'excellens motifs pour le confiner dans les profondeurs de l'oubli. Les bibliographes seuls ont recueilli sèchement les titres de ses ouvrages', et Goujet n'a daigné leur consacrer quelques lignes que pour les proclamer détestables. Dieu me garde de donner ici les étrivières à Goujet et à la postérité, et de formuler en faveur de Pontaymeri le vaniteux et mensonger paradoxe d'une réhabilitation littéraire ! Mon dessein, en évoquant fugitivement au jour une des productions du seigneur de Foucheran, est de réunir sur un livre que l'on rencontre rarement dans les bibliothèques publiques et particulières quelques documens bibliographiques qui feront apprécier sa véritable physionomie.

S'il est vrai de dire que les faveurs de l'admiration n'aient pas été prodiguées à Pontaymeri après sa mort, au moins faut-il convenir que pendant sa vie elles lui furent départies à forte dose, tant par la complaisance de ses amis que par la sienne propre. Avant que le père des journalistes, l'ingénieux Sallo, eût inventé ces magasins littéraires dans lesquels le blâme et la louange sont dis

1 Bibliothèque historique de la France, tome II, N. 19586, 19362, 19607 et 49643.

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