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victoires sur l'ancien monde des intelligences, la durée de ses conquêtes immortelles? Cette ère est singulièrement significative aussi dans la chronologie des événemens historiques, parce qu'elle répand sur les annales les plus obscures une clarté qui, lorsqu'elle est vacillante et faible, du moins ne s'éteint jamais. On sait que la robuste organisation du clergé catholique, embrassant dans sa sphère d'activité l'existence de la société entière, pendant long-temps a dominé de si haut la marche progressive de la civilisation, qu'il est vrai de dire que depuis le II° siècle jusqu'au XVI° son histoire est celle aussi des peuples européens. L'élément religieux enserrait en lui seul l'énergie vitale de tous les autres élémens sociaux, et rien ne s'agitait en dehors de son orbite. C'est donc parmi les monumens ecclésiastiques qu'il faut rechercher les vestiges qu'ont laissés après elles les générations passées. Les pieuses légendes des saints, les controverses théologiques, les actes des conciles, les annales du pouvoir spirituel et temporel des évêques, des églises et des monastères, constituent le domaine presque entier de l'histoire nationale de la France pendant une longue période chronologique, et cela est vrai surtout lorsqu'on le fouille dans les limites des souvenirs locaux d'une population et d'une cité d'une importance peu considérable. C'est parmi ces documens que nous recueillerons la plus large part des débris qui nous restent de l'existence des races d'hommes qui se sont succédées de siècle en siècle dans l'enceinte de la ville de Valence.

L'introduction du christianisme dans les Gaules est un événement qui ne s'est point accompli d'un seul jet en se généralisant avec spontanéité; la foi du Christ s'y est répandue progressivement, de ville en ville, de peuple en peuple, en suivant dans sa marche toutes les phases que devaient faire naître les répulsions à vaincre, les habitudes vieillies à détruire, les intérêts politiques et personnels å renverser. Aussi est-il bien difficile d'assigner une date certaine à ce fait historique, que des prétentions vaniteuses ont rendu d'une exploration plus inextricable encore, en l'entourant de conjectures

hasardées et de traditions fabuleuses. Chaque église, afin d'inspirer plus de vénération, s'est plu à faire remonter son origine parmi les fondations apostoliques, et a groupé autour de son berceau de mystérieuses et saintes obscurités, sur lesquelles le flambeau de la critique ne répand que de douteuses clartés.

On rencontre dans les annales de l'église de Valence des témoignages de cette tendance à répandre sur la prédication de l'évangile au sein de cette cité une illustration vénérable, mais sans authenticité. Les légendaires et les chroniqueurs racontent que l'apôtre Saint Paul, allant de Lyon en Espagne, ayant passé à Valence, laissa dans les murs de cette ville son disciple Rufus, fils de Simon le Cyrénéen, pour y annoncer le Christ'. Il est inutile de démontrer la fausseté de cette légende❜.

(206 à 211.) Un document, que les plus habiles critiques des annales ecclésiastiques ont cependant révoqué en doute, fixe au commencement du IIIe siècle l'introduction du christianisme à Valence. Il s'agit des actes des martyrs Félix, Fortunat et Achillée, et voici le récit que nous a laissé le légendaire de ces trois apôtres :

Le bienheureux Ireneus, évêque de Lyon, renommé entre tous en science, en vertus et en bonnes œuvres, ayant dessein de répandre la lumière de l'évangile, confia à trois de ses disciples, Félix, prêtre, Fortunat et Achillée, diacres, la mission d'aller

1 De l'Origine des Bourguignons, etc.; Des Antiquités de Macon, par PIERRE DE SAINT-JULLIEN. Paris, Chesneau, 1581, in-fol., page 269; livre rempli de fables. 2 CATELLAN ( Antiquités de l'Église de Valence. Valence, Gilibert, 1724, in-4°) a rejeté cette tradition, ou plutôt il n'en parle pas; tandis que le P. COLUMBI (De Rebus gestis Episcoporum Valentinorum, apud ejus Opuscula. Lugduni, Deville, 1668, in-fol., page 245 ) l'a reproduite, et pour en démontrer la vraisemblance il fait sur le silence de la Chronique d'ADON ce singulier raisonnement : « Ado antè ■ annos octingentos scripsit sequentia in chronico: Creditur Paulus ad Hispanias » pervenisse, et Arelate Trophinum, Viennæ Crescentem, discipulos suos, ad præ» dicandum reliquisse. Jam cur negabis, cùm iret Arelatem Vienna, exscendisse » Valentiæ, ut consueverunt navicularii, et ferendæ fidei christianæ discipulum ■ in nobilissimâ, et uti Prosper, anno XIX Arcadii et Honorii, loquitur, nobilissima Galliarum civitate, reliquisse, sicuti Crescentem reliquerat Viennæ, et a cogitabat Trophinum Arelate relinquere.» (Loco citato.)

annoncer la parole du Christ à la ville de Valence. Remplis de l'esprit de Dieu, les saints missionnaires vinrent s'établir dans une petite cellule, non loin des murs de la cité qu'ils voulaient appeler à la foi. Le jeûne, les macérations et la prière remplissaient les heures qu'ils passaient dans la retraite le reste de leur temps était consacré à la prédication. Dieu bientôt fit éclater sa puissance par leurs œuvres, en leur accordant le don des miracles, et la foule ne tarda pas à recevoir le baptême de leurs mains. Mais leur apostolat ne devait pas être sans épreuves, et l'un d'eux, Saint Félix, en reçut l'avertissement dans une vision. Il vit dans les champs émaillés du ciel cinq agneaux blancs paissant parmi les fleurs. Ces cinq agneaux étaient les disciples de Saint Ireneus, Félix, Fortunat et Achillée, et les deux apôtres de la cité de Besançon, Ferréol et Ferrution, que Dieu conviait à venir au sein de sa gloire. Or, la persécution excitée contre les chrétiens par l'empereur Sévère ne s'était point apaisée sous son successeur Caracalla. Un des lieutenans de Caracalla, Cornelius, étant venu prendre possession de Valence, dont il avait le gouvernement, entendit un jour des voix nombreuses chantant des psaumes : il demanda la cause de ces chants, et ses soldats lui répondirent que trois hommes, après avoir merveilleusement séduit une grande partie du peuple, lui avaient persuadé d'abandonner le culte des Dieux pour embrasser la foi du Christ. Alors, Cornelius, transporté de colère, les fit jeter en prison, en leur reprochant d'avoir contrevenu aux décrets impériaux en prêchant la parole d'un Nazaréen, battu de verges et condamné au gibet par les Juifs; puis, changeant de discours, il leur promit les joies et les biens de la terre s'ils voulaient renoncer à leur croyance. Mais les menaces et les séductions les trouvèrent inébranlables. Cornelius, irrité, les fit battre de verges; puis les raillant : Appelez donc votre Christ à votre aide, leur disait-il; et s'il est Dieu, qu'il vienne vous délivrer! - Félix lui répondit : Si ton esprit n'était aveuglé, tu verrais que nos membres, que tu crois brisés par la douleur, sont restés insensibles sous les coups du

tortionnaire. Jetés de nouveau en prison, un ange, tout resplendissant d'une lumière céleste, vint rompre leurs chaines et briser les portes de leur cachot, au milieu des gardes épouvantės, et leur commanda de renverser les idoles des faux dieux. Les saints martyrs, obéissant, réduisirent en pièces les statues de Jupiter, de Saturne et de Mercure : ce qu'ayant appris Cornelius, il les fit amener devant lui, et leur ayant demandé de lui expliquer la divinité de celui qui leur avait inspiré tant d'audace, ils confessèrent la foi du Christ. Mais lui, accablé sous le poids de la vérité, n'éprouva que plus de fureur. Par ses ordres les martyrs furent attachés sur la roue et leurs membres cruellement mutilés; puis, les ayant encore inutilement exhortés à sacrifier aux idoles, il les fit conduire hors des murs de la cité, sur le lieu même qu'ils avaient choisi pour retraite, et là ils eurent la tête tranchée avec l'épée, au milieu d'un immense concours de fidèles qui s'étaient réunis pour assister à leur passion. Pendant la nuit, les chrétiens recueillirent leurs corps et leur donnèrent une sépulture sur laquelle Dieu fit éclater des miracles nombreux, qui furent les témoignages de la sainteté des trois martyrs'.

Telle serait, d'après cette légende, si toutefois son autorité peut être de quelque poids dans la balance de la critique, l'origine de l'église de Valence, dont l'enfance fut longue et les développemens bien lents, car les monumens historiques ne nous révèlent la pré

1 Acta Sanctorum, apud BOLLANDIANOS, aprilis, tom. III, pag. 96 et sequent. Bien que j'aie rapporté les actes de Saint Félix et de ses compagnons, d'après BOLLANDUS, je ferai remarquer cependant, dans l'intérêt de la vérité, qu'ils sont peu dignes de créance, et que leur authenticité historique a été révoquée en doute par les plus illustres critiques des annales hagiographiques. Ainsi, les savans Religieux Bénédictins qui ont écrit l'Histoire littéraire de la France, Tillemont et BAILLET, s'accordent pour leur refuser les caractères de veracité dont l'absence aurait dû s'opposer à leur admission dans l'Officia propria Sanctorum Diœcesis Valentinensis (Valentiæ, Gilibert, 1714, in-4o ). — Voyez l'Histoire littéraire de la France, par les Religieux Bénédictins de la congrégation de Saint-Maur, tome III, page 167 et suiv. Vies des Saints, par BAILLET, tome III, page 405. Mémoires pour servir à l'Histoire ecclésiastique, par TILLEMONT, tome III, p. 97、

sence de son premier évêque que vers l'année 374. Il est vrai que l'état de conflagration dans lequel se trouvaient les Gaules était peu propre à favoriser l'essor du christianisme. L'empire romain, écrasé sous le poids de son immensité, comme un édifice vieilli s'affaisse sous la pesanteur de sa masse, se débattait contre les races du Nord, dont les invasions, sans cesse renaissantes, avaient fait des provinces gallo-romaines le théâtre de tous les ravages d'une conquête d'autant plus féconde en violences qu'elle était tour-à-tour disputée.

Valence, comme toutes les autres villes envahies, fut la proie des peuples barbares que la Providence suscitait sans relâche pour déchirer en lambeaux le cadavre de la société romaine. Elle vit, en 354, l'empereur Constance quitter Arles et accourir dans ses murs, dans le dessein d'opposer une digue à Gundomadus et à Vadomarius qui, à la tête d'une nation allemande dont ils étaient rois, ravageaient les frontières de la Gaule'.

Les misères qui accablèrent les peuples pendant cette lutte entre la barbarie conquérante et la civilisation en décadence sont fort bien dépeintes par les historiens du temps, qui cependant se bornent à des récits généraux, sans aborder les détails". Ce silence de leur part permet seulement de penser que Valence eut à essuyer tous les fléaux de l'invasion, conjecture qui se révèle lucidement à l'antiquaire, lorsque, fouillant le sol sur lequel est bâtie cette cité, il voit combien ses entrailles ont été profondément remuées et semées de ruines confusément agglomérées.

1. Constantius, consulatu suo septies, et Cæsaris ter, egressus Arelate, Va» lentiam petit, in Gundomadum et Vadomarium fratres, Alamannorum reges, » arma moturus, quorum crebris excursionibus vastabantur confines limitibus » terræ Gallorum.» (AMMIANUS MARCELLINUs. Parisiis, 1681, in-fol., lib. XIV, cap. X.)

2 « Cùm diuturnâ incuriâ Galliæ cædes acerbas, rapinasque et incendia, Bar» baris licenter grassantibus, nullo juvante perferrent........... Constantium verò exagitabant adsidui nuntii, deploratas jam Gallias indicantes, nullo renitente, » ad internecionem Barbaris vastantibus universa. (AMMIANUS MARCELLINUS, lib. XV, cap. V et VIII.)

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