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DES MINES D'OR

DU DÉPARTEMENT DE L'ISÈRE

ET EN PARTICULIER

DE CELLE DE LA GARDETTE

EN OISANS.

L'ATTENTION publique vient d'être réveillée sur le filon d'or de la Gardette par l'annonce insérée dans plusieurs journaux de la reprise prochaine de son exploitation. Peut-être ne lira-t-on pas sans intérêt, par cette considération, quelques détails sur cette mine, dont la découverte n'a pas été autrefois sans quelque célébrité, et qui depuis la révolution est tombée dans un oubli presque 'complet. Nous y joindrons les documens que nous avons pu nous procurer sur d'autres gîtes qui, moins renommés que celui de la Gardette, ne sont pas moins aurifères, et pourraient peut-être présenter autant de chances de succès aux spéculateurs. Pendant long-temps les personnes éclairées ont refusé de croire à l'existence de mines d'or dans le Dauphiné; elles se défiaient avec raison de l'exagération de nos montagnards, qui voient des trésors dans tous les lieux inaccessibles. La plupart des renseignemens donnés étaient si vagues ou mêlés de fables si absurdes, on avait si souvent annoncé

de grandes découvertes sans aucun fondement, qu'il paraissait raisonnable de n'ajouter foi à aucune nouvelle de ce genre: mais on est revenu de ce jugement trop précipité. Depuis que les minéraux sont mieux étudiés, et que les progrès de la chimie ont fourni les moyens de constater la présence des moindres parcelles d'or, on s'est assuré par des expériences positives que ce métal précieux existait réellement dans plusieurs localités du département de l'Isère. D'un autre côté, les monumens de l'histoire et des traditions authentiques nous apprennent qu'il a été exploité dans ce pays à diverses époques.

Nous considérerons successivement dans ce rapide aperçu les sables aurifères du Rhône, célèbres autrefois par leur richesse; plusieurs mines métalliques dans lesquelles l'or se trouve intimé ment combiné avec d'autres substances; enfin le filon de la Gardette, où une partie de l'or est visible et à l'état natif.

Les sables aurifères du Rhône sont connus depuis fort longtemps. Pline, Strabon et Polybe les ont souvent cités. Diodore de Sicile dit que les Gaulois savaient laver ces sables et en extraire de l'or, dont ils faisaient des anneaux, des bracelets, des ceintures et d'autres objets. Il paraît que leur exploitation a été continuće pendant longues années sans interruption; il est au moins certain qu'elle était encore en activité au commencement du XVIIIe siècle, puisqu'elle se trouve décrite par Réaumur dans les Mémoires de l'Académie des sciences, année 17181. Ce savant ne dit point qu'elle eût lieu sur les rives du Rhône appartenant au Dauphiné; il n'indique que le pays de Gex, depuis l'embouchure de l'Arve jusqu'à cinq lieues en-dessous; mais Hellot, dans son État des Mines du royaume (1764), assure positivement que les sables du Rhône sont

1 A cette époque, on exploitait non-seulement les sables aurifères du Rhône, mais encore ceux du Rhin, du Gardon, de l'Arriège et de quelques autres rivières de France. (Voyez le mémoire de REAUMUR intitulé: Essai de l'histoire des rivières et des ruisseaux du royaume qui roulent des paillettes d'or, dans les Mémoires de l'Académie des sciences, 1718.)

aurifères entre Lyon et Valence, et que même on y recueille à la fois des paillettes d'or et d'argent'. D'après Alléon-Dulac2, on s'occupait surtout de ce travail à Saint-Pierre-de-Bœuf, petite commune située sur la rive droite du Rhône, à trois lieues audessous de Condrieu. Réaumur donne les détails suivans sur l'exploitation de ces sables : L'or recueilli était en petites paillettes minces, émoussées sur les bords, en général de dimensions moindres que celles que roulent le Rhin et l'Arriège; cependant on en rencontrait quelquefois de la grosseur d'un grain de millet et même d'une lentille. Leur titre était de 20 carats, c'est-à-dire qu'elles ne contenaient qu'un sixième d'argent et de cuivre. Pour les extraire du sable, des gens de la campagne, qu'on nommait laveurs, se servaient d'une longue planche inclinée, sur la surface de laquelle étaient creusés des sillons transversaux espacés de quatre pouces en quatre pouces, profonds de deux lignes et larges de quatre. Sur l'extrémité la plus élevée ils plaçaient un panier à claire-voie rempli de sable, sur lequel ils jetaient ensuite de l'eau du Rhône avec une pelle. La partie la plus fine du sable, ou la vase, était délayée et entraînée hors de la planche, tandis que les petits grains, surtout les plus pesans, s'arrêtaient dans les rainures. Quand il ne restait plus dans le panier que des graviers trop gros pour passer à travers les mailles, on les jetait et on les remplaçait par du nouveau sable fin qu'on lavait de la même manière. De temps en temps, pendant l'opération, on avait soin de retirer et de mettre à part le sable riche qui remplissait les rainures. Ce dernier était encore purifié à l'aide d'un petit vase en bois très-connu des orpailleurs sous le nom de sébile; enfin, pour réunir les parcelles

1 Voici le passage d'HELLOT, tel qu'il est rapporté par Guettard dans sa Minėralogie du Dauphiné, préface, page 71: Depuis Valence, à deux lieues de

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› Tournon, on voit le long du Rhône un bon nombre de paysans occupés à séparer les paillettes d'or et d'argent. Ils y gagnent 30 à 40 sols par jour. On

D

» n'en trouve ordinairement qu'entre Lyon et Valence.

2 Mémoires sur l'histoire naturelle du Lyonnais, du Forez et du Beaujolais. Lyon, 1765, tome I, page 293.

TOME III.

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d'or qui s'y trouvaient disséminées, on employait le mercure, en suivant la méthode dite d'amalgamation. Les laveurs s'occupaient de ce travail lorsque les eaux étaient basses, surtout après les crues subites et les débordemens. Ils s'attachaient principalement à recueillir le sable amoncelé autour des galets, et celui qui se dépose dans les anses et les coudes formés par le fleuve. Quand ce sable était d'une couleur particulière, par exemple rougeâtre ou noirâtre, c'était un indice à-peu-près certain que la récolte en or serait abondante. Cependant, avant de choisir un emplacement et de commencer un lavage considérable, le plus sûr était de s'éclairer par des essais faits en petit. Ce que l'on gagnait dans une journée était variable et pouvait valoir moyennement 12 à 20 sols.

On ne sait pas précisément à quelle époque le lavage des sables aurifères du Rhône a cessé complétement; il parait que c'est dans l'intervalle de 1764 à 1775. Quant aux causes de cet abandon, il faut les chercher vraisemblablement dans la diminution progressive de la valeur intrinsèque de l'or, qui de jour en jour devient plus abondant en Europe, ainsi que dans les progrès de l'industrie et de l'agriculture, qui ont donné aux paysans les moyens de s'occuper d'une manière plus lucrative. Il ne faudrait pas cependant conclure de là que l'exploitation de ces sables ne pourrait être aujourd'hui reprise avec avantage. Ainsi que le fait remarquer Réaumur, le lavage qu'on exécutait de son temps sur les bords du Rhône était très-grossier et n'atteignait qu'imparfaitement son but; d'un autre côté, le procédé d'amalgamation, qui demande des soins et une théorie éclairée, étant mis en pratique par des gens sans connaissances et sans habileté, ne rendait pas, à beaucoup près, tout l'or qui se trouvait dans les sables; peut-être n'en fournissait-il que la moitié. Si, malgré ces pertes et l'imperfection du travail, la journée des laveurs était autrefois de 12 à 20 sous, et même de 30 à 40, suivant Hellot, il est certain qu'aujourd'hui, où les procédés de lavage et le traitement métallurgique des minéraux ont fait de

grands progrès, on obtiendrait un bénéfice bien plus considérable. Il serait donc intéressant de s'assurer par quelques essais si les sables du Rhône n'ont rien perdu de leur ancienne richesse, et de faire une tentative d'exploitation dans les lieux où elle offrirait le plus de chances de succès.

Les mines métalliques qui contiennent de l'or en combinaison intime sont nombreuses dans le département de l'Isère. Nous allons citer, d'après M. Héricart de Thury', celles qui sont le plus authentiques, en indiquant combien 100 kilogrammes de leur minerai renferment d'or et d'argent.

Il existe sur la montagne de Pontrant, qui fait partie de la chaîne des Petites-Rousses, un filon de plomb sulfuré dont le minerai a rendu sur 100 kilogrammes 58 kilog. de plomb, 141 grammes 852 millièmes d'argent et 1 gramme 672 millièmes d'or. Cette mine, située au-dessus d'Oz et de Vaujany, est à plus de deux heures de marche des derniers hameaux, et dans un pays à peine habitable pendant quatre mois de l'année.

En 1785, M. Schreiber a fait exploiter, pour le service de la fonderie d'Allemont, un filon de plomb sulfuré aurifère situé sur cette commune, au hameau du Mollard. Le minerai a donné 60 kilogrammes de plomb, 73 grammes 371 millièmes d'argent et 2 grammes 406 millièmes d'or.

Au-dessus d'Auris, sur la droite de la Romanche, on connaît une mine d'antimoine sulfuré, avec plomb, cuivre, zinc, or et argent, qui, dit-on, produit à l'essai 50 kilogrammes de fonte d'antimoine, 475 grammes d'argent et 2 grammes 406 millièmes d'or.

Près du col de la Cochette, par lequel on passe de Vaujany dans la Maurienne, il existe un gîte de cuivre pyriteux aurifère sur lequel on a trouvé des traces de travaux extrêmement anciens, entrepris probablement sous la domination romaine. Des traditions

1 Journal des Mines, tome XX, page 114..

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