Page images
PDF
EPUB

Il est doux cependant d'espérer sur la terre,
A l'homme plein de foi la souffrance est légère,
Des songes éthérés enchantent son sommeil;
Et quand a fui la nuit, et que la blanche aurore
Trône en reine au-dessus des coteaux qu'elle dore,
Joyeux est pour lui le réveil.

Mais malheur à celui qui voit le fond des choses,
A celui qui se blesse à l'épine des roses!
Malheur à moi qui vis triste et désabusé!
Du bonheur idéal j'ai déchiré les voiles;
J'ai vu l'horizon noir, et la nuit sans étoiles;
Mon être en un jour s'est usé!

Sur des flots inconstans j'ai trop bravé l'orage,
Mon esquif s'est brisé, je suis vieux avant l'âge,
Contre l'adversité mon courage a faibli;

Quand l'homme au sort résiste et périt dans la chute,
Les tortures, la mort sont le prix de la lutte,
Puis survient l'éternel oubli !!!

II.

Heureux celui qui meurt! car de longues années
Sont lourdes à porter quand les fleurs sont fanées,
Quand sur la poésie hurlent les vents d'hiver!
Comme un prodigue enfant, j'ai gaspillé la vie,
Et ma lèvre aujourd'hui ne trouve que la lie
Dans le fond du calice amer.

Des passions du monde en sondant les abymes,

Qu'ai-je vu? - le néant! - Sur les hauteurs sublimes,
Où je rêvais de Dieu, le doute s'est placé;

La gloire, l'amitié, l'amour, tous ces beaux songes,
Fantômes décevans, prestigieux mensonges,

Comme une ombre, tout a passé....

Oh! qui me les rendra mes douces rêveries,
Fraiches illusions, hélas! trop tôt flétries,
Blanches fleurs qu'un orage emporte avant le temps?
Que ne puis-je aujourd'hui, comme dans ma jeunesse,
Endormir mes ennuis dans une folle ivresse,
Et m'abuser quelques instans!

Qui viendra ranimer dans le fond de mon ame
La puissance d'aimer, cette brûlante flamme,
Ce prestige enivrant qui nous leurre toujours?
Aimer, c'est être heureux; mais, quand tombe l'idole,
Pourquoi ne pouvons-nous au bonheur qui s'envole
Soustraire encor quelques beaux jours?

[merged small][ocr errors][merged small]

Un sarcasme sans fin, un soleil éphémère,
Feu-follet qui dans l'ombre un moment éblouit...........
A chercher le repos l'homme en vain se consume,
Et ce repos qu'est-il ? -un fruit plein d'amertume,
Un éclair passager qui fuit!

[ocr errors]

Souffrir, telle est la loi de la nature humaine.....
Combien de temps encor dois-je traîner ma chaîne?
Hélas! dès le berceau, je connus le malheur;
Mon courage agonise au souffle des alarmes,
Et, sur ce champ d'exil, je sème dans les larmes
Pour recueillir dans la douleur.

RIBOULON.

CHRONIQUE DE PARIS.

( MARS.)

Paris, 1er avril 1838.

UN incident littéraire, étranger aux préoccupations politiques, a captivé pendant quelques jours la curiosité parisienne et enflé les cent bouches de la presse : le discours du prince de Talleyrand à l'académie des sciences morales et politiques. C'eût été là une bonne fortune qui, au XVIIIe siècle, eût défrayé pendant un trimestre le Mercure de France et l'Esprit des journaux, tandis que cet épisode littéraire n'a eu qu'un retentissement éphémère, aujourd'hui que les sensations, les goûts et les passions de la société éclatent soudainement comme de rapides étincelles et meurent soudainement comme elles. Cependant l'apparition au sein d'une réunion académique d'un vieillard dont le nom a été mêlé à tant de révolutions, dont les mains ont fait mouvoir pendant tant d'années les rouages politiques des cabinets européens, dont l'intelligence si haute, si ferme et si fine, est devenue pour ainsi dire typique, était bien faite pour exciter l'entraînement et la curiosité du public. Aussi y a-t-il eu foule au palais Mazarin. Le prince de Talleyrand est un de ces hommes rares qui exercent sans contrôle le monopole de l'esprit; il est à-peu-près reconnu qu'il ne peut

TOME III.

15

[ocr errors]

>>

dire de sornettes, et ses moindres paroles, lorsqu'elles ne sont pas des oracles, ont une valeur et un sens caché qu'il est convenu d'admirer implicitement sans trop les approfondir. Les collecteurs d'anecdotes citent de lui dans les salons des réponses d'une insignifiance parfaite, et qui ont eu le crédit de provoquer des ébahissemens idolâtres. Quelques-unes rappellent assez bien le récit de Courier: « Je déjeûnais chez mon camarade Duroc, logé en ce temps-là, mais depuis peu, notez, dans une vieille maison fort laide, selon moi, entre cour et jardin, où il occupait le rez-de>> chaussée. Nous étions à table plusieurs, joyeux, en devoir de » bien faire, quand tout-à-coup arrive, et sans être annoncé, »> notre camarade Bonaparte, nouveau propriétaire de la vieille maison, habitant le premier étage : il venait en voisin, et cette >> bonhomie nous étonna au point que pas un des convives ne >> savait ce qu'il faisait. On se lève, et chacun demandait : Qu'y » a-t-il ? Le héros nous fit rasseoir. Il n'était pas de ces camarades » à qui l'on peut dire : Mets-toi et mange avec nous. Cela eût » été bon avant l'acquisition de la vieille maison. Debout à nous regarder, ne sachant trop que dire, il allait et venait. — Ce >> sont des artichauts dont vous déjeûnez-là? Oui, général.

>>

>>

[ocr errors]

Vous, Rapp, vous les mangez à l'huile? Oui, général.

[ocr errors][ocr errors]

Et vous, Savary, à la sauce? Moi, je les mange au sel.

» Ah! général, répond celui qui s'appelait alors Savary, vous >> êtes un grand homme; vous êtes inimitable! » --- Ainsi du prince de Talleyrand.

Comment allait se produire cet esprit si fin? viendrait-il livrer à la sagacité de l'auditoire l'intimité de sa pensée, et l'intention de ses paroles révélerait-elle l'homme réel, ou ne mettrait-elle en jeu que l'homme artificiel? C'étaient là les préoccupations de chaque spectateur, lorsqu'enfin a paru M. de Talleyrand, avec une simplicité de manières qui a déjoué toutes les combinaisons des habiles. D'abord il a parlé de lui, chose toujours difficile, mais avec un laisser-aller, une bonhomie aimable et pleine de charmes

« PreviousContinue »