Il est doux cependant d'espérer sur la terre, Mais malheur à celui qui voit le fond des choses, Sur des flots inconstans j'ai trop bravé l'orage, Quand l'homme au sort résiste et périt dans la chute, II. Heureux celui qui meurt! car de longues années Des passions du monde en sondant les abymes, Qu'ai-je vu? - le néant! - Sur les hauteurs sublimes, La gloire, l'amitié, l'amour, tous ces beaux songes, Comme une ombre, tout a passé.... Oh! qui me les rendra mes douces rêveries, Qui viendra ranimer dans le fond de mon ame Un sarcasme sans fin, un soleil éphémère, Souffrir, telle est la loi de la nature humaine..... RIBOULON. CHRONIQUE DE PARIS. ( MARS.) Paris, 1er avril 1838. UN incident littéraire, étranger aux préoccupations politiques, a captivé pendant quelques jours la curiosité parisienne et enflé les cent bouches de la presse : le discours du prince de Talleyrand à l'académie des sciences morales et politiques. C'eût été là une bonne fortune qui, au XVIIIe siècle, eût défrayé pendant un trimestre le Mercure de France et l'Esprit des journaux, tandis que cet épisode littéraire n'a eu qu'un retentissement éphémère, aujourd'hui que les sensations, les goûts et les passions de la société éclatent soudainement comme de rapides étincelles et meurent soudainement comme elles. Cependant l'apparition au sein d'une réunion académique d'un vieillard dont le nom a été mêlé à tant de révolutions, dont les mains ont fait mouvoir pendant tant d'années les rouages politiques des cabinets européens, dont l'intelligence si haute, si ferme et si fine, est devenue pour ainsi dire typique, était bien faite pour exciter l'entraînement et la curiosité du public. Aussi y a-t-il eu foule au palais Mazarin. Le prince de Talleyrand est un de ces hommes rares qui exercent sans contrôle le monopole de l'esprit; il est à-peu-près reconnu qu'il ne peut TOME III. 15 >> dire de sornettes, et ses moindres paroles, lorsqu'elles ne sont pas des oracles, ont une valeur et un sens caché qu'il est convenu d'admirer implicitement sans trop les approfondir. Les collecteurs d'anecdotes citent de lui dans les salons des réponses d'une insignifiance parfaite, et qui ont eu le crédit de provoquer des ébahissemens idolâtres. Quelques-unes rappellent assez bien le récit de Courier: « Je déjeûnais chez mon camarade Duroc, logé en ce temps-là, mais depuis peu, notez, dans une vieille maison fort laide, selon moi, entre cour et jardin, où il occupait le rez-de>> chaussée. Nous étions à table plusieurs, joyeux, en devoir de » bien faire, quand tout-à-coup arrive, et sans être annoncé, »> notre camarade Bonaparte, nouveau propriétaire de la vieille maison, habitant le premier étage : il venait en voisin, et cette >> bonhomie nous étonna au point que pas un des convives ne >> savait ce qu'il faisait. On se lève, et chacun demandait : Qu'y » a-t-il ? Le héros nous fit rasseoir. Il n'était pas de ces camarades » à qui l'on peut dire : Mets-toi et mange avec nous. Cela eût » été bon avant l'acquisition de la vieille maison. Debout à nous regarder, ne sachant trop que dire, il allait et venait. — Ce >> sont des artichauts dont vous déjeûnez-là? Oui, général. >> >> Vous, Rapp, vous les mangez à l'huile? Oui, général. Et vous, Savary, à la sauce? Moi, je les mange au sel. » Ah! général, répond celui qui s'appelait alors Savary, vous >> êtes un grand homme; vous êtes inimitable! » --- Ainsi du prince de Talleyrand. Comment allait se produire cet esprit si fin? viendrait-il livrer à la sagacité de l'auditoire l'intimité de sa pensée, et l'intention de ses paroles révélerait-elle l'homme réel, ou ne mettrait-elle en jeu que l'homme artificiel? C'étaient là les préoccupations de chaque spectateur, lorsqu'enfin a paru M. de Talleyrand, avec une simplicité de manières qui a déjoué toutes les combinaisons des habiles. D'abord il a parlé de lui, chose toujours difficile, mais avec un laisser-aller, une bonhomie aimable et pleine de charmes |