Ces géants dégageaient de leur humide voile Forêts, lacs et glaciers, dont sont vêtus leurs corps ; Ainsi qu'à l'Opéra, quand on lève la toile, Se déroule aux regards la splendeur des décors. Tous les matins, par chaque pore, Adieu, magique Eden! l'heure de partir sonne; Pourtant, par cette triste route, Notre voyage était charmant; Car vous reconduisiez avec nous, lentement, Ces amis que l'Auvergne, à grand'peine sans doute, Vous avait prêtés un moment; Et dans une double calèche Nos trois ménages voiturés, Prise à travers l'éclat des vitraux colorés. A quoi donc n'aurais-je pas goût? On transporterait Naples et Gênes en Laponie!..... Et de mon cœur et de mes chants; De ses jardins et de ses champs. En attendant, c'est que nous sommes A Saint-Bonnet-le-Froid, mourant de faim..... Voilà Un reste de vieux lard, du lait aigre et des pommes: Certes, avec ces pommes-là Eve n'eût point perdu les hommes !..... Le Vivarais aurait le droit de réclamer contre l'injurieux anathême que lui lance M. Emile Deschamps. Si ce spirituel poète n'avait pas traversé rapidement cette contrée dans sa partie la plus sèche et la plus aride, s'il l'avait visitée avec plus de détail, elle lui aurait offert mille beautés pittoresques qui auraient désarmé son courroux si vivement excité par un gîte inhospitalier : le pont d'Arc, cette voûte hardie jetée par la nature sur l'Ardèche, la chaussée des Géants, et ces mille torrens de laves descendus des montagnes volcanisées et durcis depuis des siècles, ces forteresses et ces donjons bâtis en pierres basaltiques, et présentant çà et là, sur des rocs inaccessibles, leurs créneaux noirâtres, qui se dentellent légèrement sur l'azur des cieux. Il y aurait eu là de quoi inspirer d'admirables vers au poète qui sait si bien chanter les souvenirs du moyen-âge1 et les grands spectacles des Alpes. A la suite de sa tirade satyrique contre le site malencontreux de Saint-Bonnet-le-Froid, M. Deschamps rapporte des causeries intimes de ses amis et compagnons de voyage, et faisant un retour sur luimême, il s'écrie: Ainsi, parlant entr'eux, nos fortunés amis » Tu restes seule, un jour, frêle esquif naufragé, » Parmi ces flots d'humains qui recouvrent le globe, » Où de toi, ni de moi rien n'aura surnagé, » Pour jeter quelques fleurs sur le deuil de ta robe, 1 Tous les amateurs de la belle poésie connaissent les délicieuses stances de M. Emile Deschamps sur le vieux château de Saint-Germain. »Tu chercheras mes vers autrefois publiés, » Et que mon ombre, au moins, riche de cet hommage, » Puis tu rassembleras, le soir, dans notre chambre, Eh bien! voilà les pleurs qui m'arrivent encore ! Il faut se taire alors. Ma muse, on lui pardonne, Et gémit, jusqu'à l'heure où ses compagnons d'armes Ainsi M. Deschamps termine par quelques accens doux comme l'adieu que s'adressent des amis après une fête, mélancoliques comme le silence d'une nuit champêtre succédant aux bruyans plaisirs de la journée. Ce voyage poétique a été lu à Paris en présence de nos littérateurs les plus célèbres, et a recueilli des applaudissemens unanimes. Nous espérons que les suffrages reconnaissans de notre province ratifieront les admirations désintéressées de la capitale. Chant de douleur. I. ENFANS, quand nous rions, et que, levant la tête, Alors, insoucieux des temps cachés dans l'ombre, Que ces jours argentés que le deuil nous envie Passent rapidement! qu'elle est triste la vie, Quand on pleure au matin, qu'on pleure encor le soir; Quand l'amitié n'a plus de récit qui console, Sur un sol embrasé quand l'ame s'étiole, Quand l'avenir est sans espoir....... |