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Ces géants dégageaient de leur humide voile

Forêts, lacs et glaciers, dont sont vêtus leurs corps ; Ainsi qu'à l'Opéra, quand on lève la toile,

Se déroule aux regards la splendeur des décors.

Tous les matins, par chaque pore,
Les Alpes boivent le soleil,
Et dans le ciel clair s'évapore
Leur manteau brumeux du sommeil.
Les croupes des montagnes fument
Comme des autels qui s'allument,
Ou comme des coursiers soufflans,
Quand, tombés au bout du voyage,
La sueur, en ardent nuage,
S'élève épaisse de leurs flancs.

Adieu, magique Eden! l'heure de partir sonne;
Nos souvenirs, du moins, ne quitteront personne.
Le Rhône est traversé. Tout change: désormais
Plus de ces grappes d'or que septembre moissonne,
Plus de fleurs, de soleil. Rien que d'âpres sommets,
Et des champs sans culture où siffle un vent de glace,
Des ravins desséchés; et seulement, par place,
Quelques vieux châtaigniers, squelettes caverneux,
Tordant sur les chemins leurs bras chargés de nœuds.
Dauphiné! Vivarais! - Dieu d'en haut fit un signe,
Et le Rhône, en tombant, refoula d'un côté
La joie et l'abondance, attributs de la vigne,
Et de l'autre le deuil et l'infécondité!
Dans notre vie ainsi l'âge trace une ligne,
Qu'on ne peut prévenir, qu'on n'ose pas prévoir;
En-deçà tout est rose, au-delà tout est noir.

Pourtant, par cette triste route,

Notre voyage était charmant;

Car vous reconduisiez avec nous, lentement,

Ces amis que l'Auvergne, à grand'peine sans doute, Vous avait prêtés un moment;

Et dans une double calèche

Nos trois ménages voiturés,
Entr'eux s'embellissaient l'Ardèche,
De qui la tristesse revêche
S'égayait sous le feu de vos propos dorés :
Toute vue est brillante et fraîche

Prise à travers l'éclat des vitraux colorés.
Avec si bonne compagnie,

A quoi donc n'aurais-je pas goût?

On transporterait Naples et Gênes en Laponie!.....
Les choses ne sont rien, les personnes sont tout.
Puis nous avions en perspective
Chassaigne, la terre adoptive

Et de mon cœur et de mes chants;
Chassaigne, élégant et sauvage,
Port hospitalier, doux rivage.....
Ecueil des sots et des méchants,
Qui déjà pour nous, je parie,
Déployait la robe fleurie

De ses jardins et de ses champs.

En attendant, c'est que nous sommes

A Saint-Bonnet-le-Froid, mourant de faim..... Voilà Un reste de vieux lard, du lait aigre et des pommes: Certes, avec ces pommes-là

Eve n'eût point perdu les hommes !.....

Le Vivarais aurait le droit de réclamer contre l'injurieux anathême que lui lance M. Emile Deschamps. Si ce spirituel poète n'avait pas traversé rapidement cette contrée dans sa partie la plus sèche et la plus aride, s'il l'avait visitée avec plus de détail, elle lui aurait offert mille beautés pittoresques qui auraient désarmé son courroux si vivement excité par un gîte inhospitalier : le pont d'Arc, cette voûte hardie jetée par la nature sur l'Ardèche, la chaussée des Géants, et ces mille torrens de laves descendus des montagnes volcanisées et durcis depuis des siècles, ces forteresses et ces donjons bâtis en pierres basaltiques, et présentant çà et là, sur des rocs inaccessibles, leurs créneaux noirâtres, qui se dentellent légèrement sur l'azur des cieux. Il y aurait eu là de quoi inspirer d'admirables vers au poète qui sait si bien chanter les souvenirs du moyen-âge1 et les grands spectacles des Alpes.

A la suite de sa tirade satyrique contre le site malencontreux de Saint-Bonnet-le-Froid, M. Deschamps rapporte des causeries intimes de ses amis et compagnons de voyage, et faisant un retour sur luimême, il s'écrie:

Ainsi, parlant entr'eux, nos fortunés amis
Réveillaient les chagrins dans mon ame endormis.
Moi, qui n'eus pas de fils, et qui n'ai plus de père,
Ni de mère à fêter, à soigner........, j'enviais
Leurs bienheureux tourmens, leurs bonheurs inquiets;
Je disais : « Aglaé, si, comme je l'espère,

» Tu restes seule, un jour, frêle esquif naufragé,

» Parmi ces flots d'humains qui recouvrent le globe,

» Où de toi, ni de moi rien n'aura surnagé,

» Pour jeter quelques fleurs sur le deuil de ta robe,

1 Tous les amateurs de la belle poésie connaissent les délicieuses stances de M. Emile Deschamps sur le vieux château de Saint-Germain.

»Tu chercheras mes vers autrefois publiés,
» Pauvres enfans perdus et de tous oubliés,
» Afin d'y retrouver une confuse image
»De celui que l'amour et l'art ont excité,

» Et que mon ombre, au moins, riche de cet hommage,
» Se rêve dans ton cœur une immortalité !

» Puis tu rassembleras, le soir, dans notre chambre,
» Nos amis les plus chers, ceux-là qui sont ici,
» Et vous direz, autour d'un foyer de décembre :
Pourquoi ne vient-il pas se réchauffer aussi ! »

Eh bien! voilà les pleurs qui m'arrivent encore !
Quand notre voix connaît les notes du chagrin,
Si parfois elle essaie un chant vif et sonore,
Aussitôt reparaît le douloureux refrain!

Il faut se taire alors. Ma muse, on lui pardonne,
Au milieu du voyage, Henri vous abandonne;
Comme un guerrier blessé que la souffrance abat,
Retourne dans sa tente, à moitié du combat,

Et gémit, jusqu'à l'heure où ses compagnons d'armes
D'un laurier fraternel viendront toucher ses larmes.

Ainsi M. Deschamps termine par quelques accens doux comme l'adieu que s'adressent des amis après une fête, mélancoliques comme le silence d'une nuit champêtre succédant aux bruyans plaisirs de la journée.

Ce voyage poétique a été lu à Paris en présence de nos littérateurs les plus célèbres, et a recueilli des applaudissemens unanimes. Nous espérons que les suffrages reconnaissans de notre province ratifieront les admirations désintéressées de la capitale.

Chant de douleur.

I.

ENFANS, quand nous rions, et que, levant la tête,
Nous regardons le ciel sans craindre la tempête,
Quand notre œil fasciné reflète son azur,
Lorsque nous écoutons la voix de notre mère,
Priant Dieu qu'il nous donne un sort toujours prospère,
Et par-dessus tout un cœur pur;

Alors, insoucieux des temps cachés dans l'ombre,
Nous rêvons, sans prévoir les orages sans nombre
Qui viendront assombrir l'éclat d'un si beau ciel;
Alors notre front calme et serein se colore
D'une joie infinie et qu'un rien fait éclore,
Dans notre cœur exempt de fiel.

Que ces jours argentés que le deuil nous envie Passent rapidement! qu'elle est triste la vie, Quand on pleure au matin, qu'on pleure encor le soir; Quand l'amitié n'a plus de récit qui console,

Sur un sol embrasé quand l'ame s'étiole,

Quand l'avenir est sans espoir.......

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