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Il est difficile de déterminer exactement la part d'action que les événemens donnèrent à la ville de Valence, au milieu de ce conflit incessant des invasions des Barbares et des résistances de l'empire romain à l'agonie : les annales de cette période extraordinaire sont morcelées et sans lien, comme les faits heurtés dont elles ont conservé le souvenir sans en dévoiler les détails; les phases générales, les points culminans de ce grand cataclysme qui versait sur les ruines du vieux monde civilisé le torrent dévastateur des races septentrionales, ont seuls subjugué la sollicitude des chroniqueurs, dont la plume est restée silencieuse sur les accidens particuliers de cette étonnante migration des peuples. Valence fut sans doute la proie de tous les envahisseurs qui se ruèrent sur la Gaule méridionale; les Goths, les Alains, les Wisigoths, les Huns, les Franks et les Bourguignons l'occupèrent tour-à-tour : à ces derniers surtout elle appartint pendant long-temps, parce qu'elle fut comprise dans les limites territoriales de la monarchie qu'ils fondèrent et de celles qui en dérivèrent.

OLLIVIER JULES.

(La suite aux prochaines livraisons.)

» tienda traduntur. » - L'abbé Dobos prétend qu'il faut lire Orléans, au lieu de Valence, et que ce fut sur les bords de la Loire, et non sur ceux du Rhône, que les Alains s'établirent, ( Histoire critique de la Monarchie française, livre II, chap. IX.) — LE BEAU est d'un sentiment opposé: « En 406, dit-il, deux corps nom» breux d'Alains, partis des bords du Danube sous le commandement de deux » rois, Respendial et Goar, vinrent jusqu'au Rhin. Goar s'établit avec les siens » au-dessous de Mayence, et probablement à Rhinfeld ou San-Goard. Le fils de celui-ci, ou son successeur Sambida, obtint du général romain Aëtius, attaqué déjà par Clodion, roi des Francs, et d'autres hordes barbares, la possession » d'une vaste étendue de terres abandonnées dans les environs de Valence en Dauphiné. Sambida s'y établit avec ses Alains, et ce petit royaume finit au

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» bout de 50 ans. De là le nom patronimique d'Alain que l'on trouve encore aujourd'hui assez commun dans nos contrées. (Histoire du Bas-Empire, par LE BEAU, tome VI, fol. 228. )

DE LA BALLADE.

LORSQUE les idées sociales commencèrent à germer parmi les hommes primitifs et à les réunir en familles et en races, le sentiment religieux fut, de toutes les expansions de leur naïf génie, la plus vive et la plus spontanée : le Créateur de la nature reçut les premières inspirations de leur reconnaissance. Mais les élémens fugitifs de la parole auraient laissé tomber ces inspirations en oubli bientôt, s'ils n'eussent eu recours, pour les graver dans leur souvenir, au nombre et à l'harmonie d'une forme particulière de langage: le rythme poétique fut trouvé, et les vers furent les premiers enfans de l'intelligence humaine à son essor partout les poètes ont précédé les prosateurs dans le développement littéraire des langues.

Lorsque la société humaine, se dépouillant des langes de l'enfance, grandit virilement, la poésie prit aussi un vol plus élevé; elle ne se borna plus à formuler des chants simples et sans art, mais ses inspirations se généralisèrent, et dans son domaine elle embrassa tous les besoins de la vie intellectuelle, dont les poètes furent les organes. La religion dans ses oracles et ses théogonies, la politique dans ses lois, la morale dans ses plus sages préceptes, l'histoire dans ses récits, la philosophie dans ses enseignemens,

TOME III.

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invoquèrent le rythme pour se populariser et commander l'entraînement. Hesiode révéla les mystères de l'astronomie dans son poème des travaux et des jours; Homère chanta les dieux et les héros. La phrase métrique, avec l'harmonie musicale de sa cadence, la magie de ses images et de son style, frappant vivement de jeunes imaginations vierges du contact froid et positif de la science, acquit promptement un développement plus populaire que la prose.

Ce phénomène de l'intelligence, sans en rechercher les phases dans les souvenirs de l'antiquité, apparaît lucidement dans l'histoire de notre littérature nationale. En France, la prose commence avec le XIIIe siècle à secouer les entraves de la barbarie, tandis que la poésie antérieurement à cette époque brillait d'un vif éclat. Ainsi, les chansons de Thibaut, comte de Champagne, les vers de Coucy, de Marie de France, les romans métriques de la Rose, du Vieux Renard, du Champ vertueux de bonne vie, les fabliaux et les épopées chevaleresques, révélaient une éclatante phase poétique, alors que la prose se livrait timidement aux premiers essais d'une inculte phraséologie, ou, dans quelques parties de la France actuelle, frappée de réprobation, s'effaçait devant les barbarismes d'une grossière latinité.

Avec le temps, les formes logiques de la poésie s'étaient multipliées au gré de la pensée et des sentimens divers dont elle était l'expression tour-à-tour grave, sérieuse ou légère, ses accens devinrent tour-à-tour solennels ou joyeux. Celui de ses modes qui, parmi nos aïeux, obtint le plus de faveur fut la Ballade, dont on retrouve l'origine dans un des genres poétiques le plus en harmonie avec le caractère national, la chanson.

La chanson remonte, en France, aux époques les plus reculées. La Normandie, dit-on, donna naissance aux premiers chants en langue vulgaire, composés de paroles rimées et notées sur un rythme très-simple. Destinée d'abord à célébrer les exploits de la guerre et les tourmens de l'amour, la chanson devint bientôt l'interprète de toutes les passions, de tous les sentimens de l'ame :

l'amant lui confia les rigueurs de l'objet aimé, la jeune mère l'invoqua pour endormir son nouveau-né et calmer ses premiers chagrins, et le vassal lui demanda un allégement à sa servitude ou des imprécations contre un maître impitoyable; elle mêla ses refrains à tous les usages de la vie domestique, abrégeant les longues veilles de l'hiver, au milieu des festins jetant une joie bruyante; puis, s'armant du fouet de la satire, elle servit d'organe à la malice et à la vengeance.

Les chansons consacrées à raconter les gestes des preux et les hauts faits des batailles sont les plus anciennes : les soldats les chantaient en marchant au combat. Charles-Magne les avait fait recueillir leur perte est irréparable pour l'histoire littéraire de nos pères et la connaissance intime de leurs mœurs et de leurs appréciations. De toutes ces chansons de gestes, écloses du cycle carlovingien, la plus célèbre, celle dont les accens retentirent pendant long-temps en Italie, en Espagne et en France, sur tous les champs de bataille, est sans contredit celle du paladin Rolland, dont il ne reste plus aujourd'hui de traces, malgré son immense popularité, vivace encore au XIV° siècle1.

Issue de la chanson et destinée comme elle à être entourée de la faveur populaire, la ballade ne fut originairement qu'une petite pièce de vers composée pour l'accompagnement de la danse. C'est sous cette forme qu'elle se vulgarisa dans la Provence, en Italie et en France, et pénétra en Angleterre à la suite des conquérans normands. Mais là, de simple et gracieuse qu'elle était, elle ne tarda pas à s'élever à de plus graves proportions. Les légendes terribles et dramatiques, le récit des grandes infortunes et des troubles du

1 Nous croyons que notre collaborateur exprime ici une opinion peu fondéc. Les travaux philologiques de MM. Raynouard, Francisque Michel et Monin prouvent que la Chanson de Rolland, avec ses nombreuses versions, est parvenue jusqu'à nous. — La Chanson de Rolland ou de Roncevaux, du XIIe siècle. Paris, Sylvestre, 1837. — Voyez un article fort curieux, de M. Chabaille, sur les Épopées chevaleresques, dans la Revue française, tome III, page 342; décemb. 1837. (N. du D.)

cœur, les traditions merveilleuses et les fables populaires, devinrent l'aliment de ses inspirations. En se localisant, elle se revêtit de la vive empreinte du caractère et du génie particulier de chaque peuple en Angleterre, ses accens furent sauvages et rudes; en Espagne, élégiaques et déparés par un peu d'afféterie; intimes, mystiques et obscurs en Allemagne, jusqu'à ce que la voix de Burger, de Goethe, d'Uhland et de Schiller soit enfin venue leur rendre la naïveté de leurs grâces originelles.

En France, la ballade resta long-temps un chant lyrique qui ne fut pas sans analogie avec la chanson. Un grand nombre de poètes la firent briller d'un vif éclat, et parmi eux le premier qui lui ait imposé des formes et des règles logiques est notre historien national Froissart. Après lui, Christine de Pisan, puisant dans ses malheurs une touchante sensibilité, lui donna plus de perfection. On connaît ce refrain si plein d'ame et de tristesse :

« Seulette suis sans ami demourée ! »

Puis apparurent Alain Chartier, Charles d'Orléans et Clotilde de Surville, dont le talent si pur étonne pour le temps où il se révéla'. Qui ne connaît ce vers si vrai et si simple qui sert de refrain à une de se plus jolies ballades :

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Enfin Villon, Marot, Octavien de Saint-Gelais et Jean Bouchet donnèrent à la ballade un charme dont quelques exemples feront aisément apprécier le mérite :

1 Les poésies de Clotilde de Surville ont donné lieu à de nombreuses critiques littéraires, et il est difficile de renverser les objections élevées contre leur authenticité. M. Raynouard, dans le Journal des Savans (juillet 1824), M. de Roquefort et Barbier ont prouvé que la plus grande partie de ces poésies ont été composées par le marquis de Surville, mort en octobre 1798. ( N. du D. )

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