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à mettre en parallèle la douceur de revoir la patrie, dans laquelle nous n'étions pas même relevés de la mort civile, avec la crainte de profiter de cette faveur.

Vous, Monsieur, vous avez cherché le moyen que vous avez cru le plus facile d'assurer notre retour, je suis donc touchée de tout ce que vous avez fait pour cela. D'autres ont été moins bienveillans! Mais je sais comprendre toutes les positions, comme je m'explique toutes les craintes et tous les intérêts nouveaux, et jamais je ne refuserai de rendre justice à quiconque, même aux dépens de notre bonheur, saura rendre ma patrie heureuse. Avec de tels sentimens, si je me suis décidée à laisser publier le livre dont vous me parlez d'une manière si aimable, c'est que j'ai cru devoir répondre à la calomnie, si peu digne de moi, d'avoir pu chercher à troubler mon pays. Je n'avais qu'à laisser parler simplement les faits; c'est à la vérité seule à me défendre. Je vous remercie de vos discours; je les connaissais déjà, et je suis bien aise de les recevoir de vous : dans ma profonde solitude, je lis avec intérêt tout ce qui s'écrit en France; lorsque je vois développer à la tribune des pensées élevées et désintéressées, j'applaudis le défenseur de tout ce qui est noble et juste, sous quelque drapeau qu'il se montre, et je jouis de tout ce qui relève mes compatriotes et justifie à mes yeux l'estime et l'affection que je leur porte cela vous explique, Monsieur, le plaisir que je trouve à vous assurer de mes sentimens.

Arenenberg, le 12 mai 1834.

A Monsieur du Bois Aymė.

HORTENSE.

CHRONIQUE DE PARIS."

( FÉVRIER. )

Paris, 1er mars 1838.

Vous m'engagez, Monsieur, à vous mander, chaque mois, le résumé des faits, gestes et dits notables de la capitale, advenus et récités dans le monde littéraire, artiste et parlementaire, c'est-àdire que vous avez quelque souci de savoir ce qui se passe ici; étrange manie de la province! tandis que Paris s'inquiète peu de ce que vous faites chez vous. Pourvu que les départemens lui expédient leurs écus, leurs truffes et leurs députés, il n'a cure du reste; il vit à l'aise, prend ses ébats, et, lui repu, pense que la France l'est aussi. D'ailleurs, Monsieur, la tâche que vous m'imposez n'est point médiocre, et pour répondre convenablement à vos désirs il faudrait être littérateur, artiste, et quelque peu initié aux mystères parlementaires. Cependant, comme depuis tantôt dix ans j'ai choisi domicile à Paris, ayant pignon sur rue, selon l'expression des coutumes, je me trouve doué de cette triple prérogative, en vertu de ce principe incontestable de notre régime représentatif, qu'il suffit d'être à Paris pour avoir l'omniscience en partage.

1 Notre compatriote M. ANATOLE PISTON a bien voulu nous promettre sa collaboration. Il livrera à la Revue du Dauphiné le résumé des principaux événemens arrivés pendant le cours de chaque mois à Paris.

Toutefois, n'espérez pas que ma plume vous trace à larges traits la chronique complète des événemens accomplis au sein de la capitale pendant le mois qui vient de s'écouler : les colonnes cyclopéennes du Moniteur et du Temps ne suffiraient point à ce labeur. Vous me demandez un bulletin en quelques lignes; par conséquent c'est à de mots que peu doit se borner ma tâche.

— Une révolution vient d'éclater au sein de la plus turbulente des républiques, la république des lettres. Personne ne veut être volé, surtout les auteurs, fort chatouilleux à l'endroit de leurs productions. Or, pour mettre un frein à la rapacité des plagiaires et des contrefacteurs, Messieurs les hommes de lettres de la capitale viennent de former une association semblable à celle qui existe entre les auteurs dramatiques. Le but de cette association est de donner à la propriété littéraire une garantie puisée dans les termes de la loi et les décisions de la jurisprudence. On devait espérer que l'acte d'association, dressé par l'élite de nos écrivains, puisque MM. Villemain, Arago et Alexandre Dumas font partie du comité d'administration, se recommanderait par le mérite de sa rédaction et la congruité de son style; mais point, car il ne laisse rien à envier aux formules hibrides du barreau et au vocabulaire barbare du palais : Considérant que malgré...................., et considérant en outre à examiner la question sous le point de vue moral.......... C'est le texte que je cite. Que des causidicastres et des jugeurs traduisent leurs sentences en solécismes de cette espèce, rien de mieux, puisqu'ils se sont fait, à leur usage, un répertoire de barbarismes, comme les pharmaciens ont un vocabulaire spécial pour nomenclaturer leurs drogues; mais que les pères-conscrits de l'Académie française, que les conservateurs de la pureté de la langue empruntent, pour exprimer leurs pensées, les locutions de la basoche, c'est là ce qui a lieu d'étonner les esprits qui attachent quelque prix à cette belle et noble langue française, si cruellement maltraitée par les avocats et le Constitutionnel.

-Ce bon vieux Constitutionnel, respectable octogénaire, nourri

des contes de M. Bouilly, des alexandrins de l'empire et des pastorales de M. Dupaty, brandit toujours son épée de bois contre les députés qui dinent chez M. de Montalivet; il en dresse des listes de proscription, prétend expulser la truffe des offices de M. Molé, et, spartiate asthmatique, confie le salut de l'état au brouet noir renouvelé des banquets lacédémoniens de 93. En vérité, le Constitutionnel est féroce, et son austérité n'est pas généreuse; car, enfin, s'il n'a plus de dents, c'est qu'elles se sont usées sous le frottement d'une mastication presque séculaire; si son ratelier ne fonctionne plus, est-ce à dire que celui d'autrui doive rester inactif? autant vaudrait que les podagres fissent couper par ordonnance les jambes aux jeunes gens. Mais il nous est revenu de bon lieu que le Constitutionnel était, au fond, moins farouche qu'il ne le paraît. Ses rédacteurs, dit-on, chargés d'une obésité toute ministérielle, s'accommodent fort bien, malgré ses objurgations anti-conviviales, des festins de M. le président de la chambre, et voire des ministres. Bonnes gens! qui prêchent l'abstinence comme Sénèque le mépris des richesses, et qui, censeurs impitoyables sous l'empire, rompent aujourd'hui à tout venant des lances en faveur de la liberté illimitée de la presse.

On ne s'est pas contenté de vouloir couper les vivres à MM. les députés leur vêtement a été mis en question. Quelle devait être la couleur, la forme, la coupe de leur habit, de leur culotte et de leur veste? Auraient-ils habit, culotte et veste? Seraient-ils destitués de la noble prérogative qui rend l'homme si supérieur aux animaux, à savoir de porter habit, veste et culotte?

La question était grave, aussi méritait-elle toute l'attention de la chambre, comme le dit M. Étienne. Mise en délibération, l'opposition, la droite et les centres se sont passionnés pour cette grande affaire du costume. Bientôt cependant elle fit un pas immense, car la nécessité du costume, controversée dans l'origine, finit par obtenir l'assentiment unanime; mais sur la couleur et la forme graves débats. Les aristocrates demandaient l'habit brodé, avec

plaque distinctive sur le cœur, ce qui aurait confondu les députés avec les facteurs de la petite poste, et, selon les mauvais plaisans, les aurait fait prendre pour des gens de lettres. Les démocrates et les avocats voulaient le frac noir, comme plus en harmonie avec Ja simplicité de nos mœurs constitutionnelles; les avocats, surtout, faisaient ce raisonnement, et M. Dupin était leur organe, mais il s'exprimait tout bas : le frac noir, disait-il, est le costume des gens de palais; or, nous sommes les seuls représentans de la nation; donc le frac noir doit être exclusivement adopté. De tous ces débats contradictoires restait que la question humanitaire du costume était sauvée, ce qui, certes, était un immense progrès social. L'opposition convoitait ardemment la réhabilitation du frac noir adopté par le tiers-état à l'assemblée nationale. Les esprits superficiels ne voyaient pas de prime abord tout ce qu'il y avait de profond dans les conséquences de cette révolution de culotte. En effet, le frac noir décrété institution nationale, il devenait évident que désormais il ne serait plus exposé, comme l'année dernière, aux fêtes de Versailles, à figurer tristement parmi les vêtemens dorés; tandis qu'il prévaudrait et s'imposerait tyranniquement aux fêtes du château et à l'étiquette royale. Ce devait être là une belle conquête !

Au milieu de ce conflit, bien empêché se trouvait le président, l'aîné des trois Dupin; car chacun sait que, malgré ses feintes allures de Cincinnatus bourgeois, il ne déteste pas d'encadrer son visage luride dans les broderies d'un collet monté, et sa désinvolture d'hibernois dans les atours du costume officiel. Mais qu'allait devenir sa réputation de rusticité antique, s'il votait à haute voix pour l'habit brodé avec plaque au côté gauche; et d'autre part si désormais ses épaules présidentales étaient condamnées à se couvrir du modeste et noir elbœuf? Son faste et sa vanité de parvenu n'étaient-ils pas exposés à une rude déchéance? Mais rassurez-vous, ames timorées, le bon génie qui a toujours inspiré l'heureux président dans les conjonctures difficiles de l'état, Janus à la double face, ne l'eût pas abandonné en ce péril extrême. Que le frac noir

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