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DE LA POÉSIE

PASTORALE ET CHAMPÊTRE

CHEZ LES ANCIENS.

S'IL est vrai que la pastorale ou idylle ne soit, suivant son acception primitive, que la représentation d'une situation intéressante ou la peinture d'un sentiment doux placée au milieu d'une scène riante de la campagne, c'est bien loin de notre âge et de notre climat qu'il en faudra chercher l'origine : nos regards devront se tourner vers cet Orient, où ont été écrits les premiers ouvrages qui nous instruisent des premiers sentimens de l'homme. Peut-être les habitans d'Éden, après avoir adressé au Créateur l'hymne de la reconnaissance et de la prière, connurent encore d'autres chants et se servirent de cette langue du cœur pour se parler de leurs amours. Au milieu de cette solitude parée de fleurs et ombragée de bocages, comme ils devaient être enchanteurs les accens du roi de la création exprimant sa tendresse naissante! comme elle devait être ravissante la voix de la douce compagne de sa vie répondant à ses innocens transports! Jamais sentimens plus purs ne se développèrent au sein d'une plus admirable nature. Mais la terre n'a rien conservé des souvenirs de cet âge de bonheur et d'innocence.

Cependant il nous est resté de la vie de nos premiers pères une sorte de réminiscence confuse, qui nous porte à chercher la félicité

dans l'existence tranquille des champs et parmi les sites agréables de la nature. Ce goût s'est toujours conservé dans le genre humain; seulement, comme il est combattu maintenant par les habitudes contraires de la civilisation, il agit avec moins de force sur nous qu'il n'a dû le faire dans les temps reculés du monde. Nous voyons, en effet, que les premiers hommes, obéissant à cet instinct naturel et constant, ne songèrent pas de long-temps à se réunir dans l'enceinte des villes; ils emmenaient avec eux leurs familles, leurs serviteurs et leurs troupeaux, et dressant le soir la tente qu'ils devaient enlever le matin, ils portaient çà et là leur course vagabonde sur la terre, comme s'ils eussent cherché le lieu de délices d'où leurs pères avaient été exilés. Quoique ces vagues désirs de félicité ne pussent jamais être complétement satisfaits, on ne peut nier pourtant que cette vie errante des patriarches-pasteurs ne dût être moins malheureuse que cette existence fixe et immobile où la société se travaille péniblement pour se procurer des jouissances, et se forge des maux en croyant se créer des plaisirs.

Quand nous lisons une peinture champêtre de la Genèse, une de ees pastorales sacrées qui nous transportent dans des mœurs şi différentes des nôtres, nous nous étonnons en nous attendrissant; il y a je ne sais quoi de naturel qui nous charme en réveillant en nous des sentimens primitifs étouffés par une civilisation avancée; nous sommes alors comme des vieillards qui regrettent l'enfance et pleurent aux traits naïfs de cet âge à jamais éteint pour eux. Quel suave tableau, quelle frappante peinture de mœurs dans ces quelques lignes que n'eût jamais enfantées l'imagination d'un poète profane! C'est le moment où Isaac attend l'arrivée de son épouse qu'on doit lui amener.

<< Isaac était sorti pour méditer dans la campagne, au déclin » du jour; et comme il levait les yeux, il vit venir les chameaux » de loin.

» Rebecca aussi ayant aperçu Isaac, descendit de son chameau, >> Et dit au serviteur : Quel est celui qui vient dans la campagne

L

» à notre rencontre;

et il lui dit: C'est mon seigneur;

» Rebecca prit aussitôt son voile et se couvrit.

et

» Or, Isaac conduisit Rebecca dans la tente de Sara, sa mère, » et la reçut pour femme, et il l'aima tellement que la douleur que » lui avait causée la mort de sa mère en fut adoucie. »>

Quelle idée le dernier trait donne et de cette douleur et de cet amour! Elle devait être, en effet, bien plus forte que la nôtre la sensibilité de ces pasteurs solitaires; comme elle ne s'émoussait pas par toutes ces impressions sans cesse renaissantes dont la société actuelle nous fatigue, elle se réservait toute vive pour le petit nombre de chagrins et de plaisirs réels dont leur longue vie était semée : c'est ce qui fait qu'ils rendaient avec tant de simplicité et d'énergie ce qu'ils sentaient d'une manière si forte et si vraie

Parmi les descendans des patriarches, chez ce peuple qui habitait la terre promise, il se conserva toujours quelque chose de ces. sentimens tendres et naïfs. C'est ainsi que nous voyons Noëmi, veuve délaissée dans le pays de Moab, se souvenir de la terre d'Israël où sont les os de ses ancêtres, et vouloir y porter ses derniers soupirs. Tout le monde connaît ce combat de tendresse entre cette mère qui veut affronter seule la pauvreté et le malheur, et cette Ruth, si aimante et si dévouée, qui fait sa félicité de partager tant de misère. Sa réponse est du nombre de ces discours qui déconcertent la louange : « Partout où vous irez, dit-elle, j'irai, et là où vous vous arrêterez, là aussi je m'arrêterai : » votre peuple sera mon peuple, et votre Dieu sera mon Dicu. » Quand ensuite Ruth va glaner pour sa mère dans le champ de Booz, la pastorale sacrée ne contient pas de longues descriptions des lieux, à la manière des Grecs, mais les sentimens vertueux y sont exprimés avec un charme que l'on chercherait en vain dans les idylles profanes. Augias, dans Théocrite, se promène au milieu de ses taureaux et de ses brebis, comme Booz au milieu de ses moissons; mais le roi-pasteur de l'Élide n'est sensible qu'au spectacle de son opulence, et le riche de Bethleem est compatissant

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au malheur et à la piété d'une jeune glaneuse. Dans toute cette pastorale sacrée respirent une ingénuité charmante, une tendresse délicate, une simplicité de dialogue qui ne ressemble à rien de ce que les hommes ont fait dans la suite des temps; l'innocence et la naïveté des paroles de Ruth et de Noëmi ont je ne sais quoi qui nous étonne; c'est une langue étrangère que nous essaierions en vain de reproduire : nous ne sommes pas encore assez dépravés pour ne plus la comprendre, mais nous le sommes trop pour la parler nous-mêmes.

Un drame pastoral se présente ensuite parmi les monumens qui nous restent de la poésie sacrée : c'est une espèce d'épithalame où la tendresse nouvelle et brûlante de deux époux respire dans des peintures enchantées. Craignant d'analyser d'une manière trop profane les beautés du Cantique des Cantiques, j'emprunterai à Bossuet ses propres expressions: « Tout ce cantique, dit-il, >> abonde en objets délicieux; ce sont partout des fleurs, des fruits, » les plantes les plus belles, les plus variées, un printemps riant » et fleuri, des campagnes fertiles, des jardins frais et délicieux, » des eaux, des puits, des fontaines, les parfums les plus précieux » que l'art a préparés ou qui sont l'ouvrage de la nature; ajoutez >> encore le chant des colombes et des plaintives tourterelles, du » miel, du lait, des flots de vin exquis; enfin, dans l'un et l'autre » sexe, la grâce, la beauté, de chastes embrassemens, des amours >> aussi doux que pudiques. S'il s'y rencontre quelques objets terri»bles, tels que des rochers, des montagnes, des repaires affreux » de lions, c'est pour accroître encore, par le contraste et la » variété, le charme du tableau. »

Maintenant, avant de nous livrer à l'examen des poésies pastorales des Grecs, où se produisent des mœurs si différentes de celles des Hébreux, nous donnerons quelques considérations sur les nuances diverses sous lesquelles se présentent chez ces deux peuples les goûts et les habitudes champêtres. Plus nous remontons aux époques reculées de la Grèce, plus nous retrouvons daus.

la pureté et la simplicité des mœurs le souvenir des primitives révélations de l'Orient. Quelques sages des temps antiques allaient en Asie rechercher les dogmes qui se perdaient, et ils veillaient à conserver pure la transmission des préceptes de morale donnés par Dieu à l'homme. De là venait chez les Grecs cette confuse tradition qui attribuait à Orphée l'invention de la morale et de la religion. Au moins paraît-il vrai de dire de ce sage à demi-fabuleux qu'il épura les mœurs des peuples, et que ses goûts vertueux et champêtres ne restèrent pas sans imitateurs. Euripide nous donne une peinture douce de la vie orphique dans le caractère d'Hippolyte, au moment où ce prince offre à Diane une couronne de fleurs : « Recevez, dit-il, ô Déesse! la couronne que j'ai cueillie dans la prairie où l'herbe qu'épargne la faux n'est jamais profanée par » l'avidité des troupeaux : il est permis à l'abeille d'en sucer les >> fleurs arrosées par l'innocence, et ceux à qui la nature a accordé » la tempérance peuvent seuls les recueillir; les méchans n'y ont

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point accès. Ornez-en votre tête céleste; soyez propice à la piété » sincère et à la jeunesse timide. Seul entre les mortels j'ai vécu » près de vous; je vous entends, je vous réponds sans vous voir. » Faites, Déesse! que je termine ma carrière comme je l'ai >> commencée ! »

Ce morceau charmant a quelque chose de cette chasteté de vœux et d'hommages qui caractérisait les saints sacrifices des anciens patriarches, et la douceur de ce culte champêtre berce l'ame d'idées riantes et délicieuses.

Il y avait encore une sorte de pratique religieuse commune aux Grecs et aux Hébreux, c'est l'exercice de l'hospitalité : cette vertu était une nécessité dans ces temps où les communications étaient rares et les échanges difficiles; elle semblait être un penchant du cœur, alors qu'on n'avait pas encore appris à ne se rapprocher que par des raisons de calcul et d'égoïsme, alors qu'on se voyait, non pas pour tirer de chacun le parti le plus avantageux pour ses intérêts ou son plaisir, mais pour rendre des services ou

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