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pages blanches d'un mince in-8° quelques déclamations insapides sur vos souffrances imaginaires et l'abandon du poète parmi les hommes, formulées en phrases hibrides et en style inachevé, vous avez trouvé commode, en vous insurgeant contre la raison et le bon goût, de placer les écarts de votre plume sous le sceau de l'inviolabilité. Faites de méchans vers et de plus méchante prose encore, mais permettez qu'on les trouve détestables. Quelques rares exemplaires de votre livre survivront-ils, comme celui de Pontaymeri, à l'avidité des marchands de tabac et des beurrières et à l'action dissolvante du temps? Je crains que non; car il est imprimé sur ce papier cotonneux, débile et sans corps, que l'humidité et l'haleine incisive de la température pétrissent et réduisent si rapidement en détritus, que son éphémère existence est la vive image de la futilité des productions littéraires qui lui sont confiées; tandis que les vers de Pontaymeri ont été frappés sur ce papier nerveux du XVIe siècle, fortement trempé, sonnant à l'oreille et ferme au toucher; c'est là d'ailleurs ce qu'on peut dire de plus honorable en faveur de l'œuvre de Pontaymeri, qui sage eût été de suivre le conseil d'Horace: Tu nihil invita dices facies ve Minerva. Au lieu de faire d'assommans alexandrins, que ne donna-t-il de grands coups d'épée sous la bannière du connétable de Lesdiguières, comme un noble et bon gentilhomme qu'il était. Ajoutons enfin que son livre pourrait être fort utilement employé dans l'application du système pénitentiaire, en imposant sa lecture comme peine afflictive aux infortunés coupables de délits de la presse. Nous prions les ames charitables qui font de la philantropie au coin de leur feu et qui écrivent bucoliquement sur les bagnes, les prisons et les condamnés d'innocentes pastorales à la manière de feu M. de Florian, de ne pas négliger ce petit moyen d'améliorer notre législation pénale. Ce serait là une voie de progrès nouvelle à joindre aux progrès de toute nature qui font de nous la nation la plus admirable et la plus complète du globe. Le poème de Pontaymeri pourrait du moins être bon à quelque chose, tandis

que jusqu'à ce jour son extrême rareté n'a éveillé d'autre sollicitude que celle de quelques bibliophiles, honnêtes et inoffensifs monomanes, qui l'achètent au poids de l'or et se gardent bien de le lire. Pour vous, lecteur bienveillant, vous me pardonnerez cette longue garrulité au prix de ce conseil n'achetez pas le poème de la Cité du Montelimar, et fasse le ciel que vous ne soyez jamais condamné à le lire !

OLLIVIER JULES.

OCCUPATION

DE GRENOBLE PAR LES SARRAZINS

AU X SIÈCLE.

Je ne sais ce que l'histoire a le plus à redouter, ou des altérations propagées par l'ignorance dans les traditions vulgaires, ou de celles qu'introduisent dans les livres les paradoxes de la science. En y réfléchissant bien, je crois que la vérité historique a reçu de plus rudes atteintes des savans que des ignorans. D'incomplets renseignemens, auxquels suppléent et le goût du merveilleux, et les préjugés nationaux, et ceux de l'époque, voilà par où le peuple entre dans la voie des erreurs traditionnelles. Rappelez-vous cette marche qu'il a suivie, si vous recherchez la vérité dans les traces de ses opinions, et vous l'atteindrez bien souvent. Là on ne ruse pas pour la cacher; on veut l'embellir, on l'obscurcit; on croit lui rendre hommage en la dénaturant. Mais les savans, on ne saurait croire que de ressources ils possèdent pour leurs erreurs.

1 Nos lecteurs nous sauront gré sans doute d'avoir reproduit dans la Revue da Dauphiné le curieux article de M. Berger de XivREY sur l'occupation de Grenoble par les Sarrazins, dans lequel cet écrivain discute avec une judicieuse critique l'événement historique controversé en sens divers par MM. REINAUD, de l'Institut, OLLIVIER JULES et PILOT. Voyez Invasions des Sarrazins en France, par M. REINAUD. Lettre de M. Ollivier à M. Reinaud sur le séjour des Sarrazins en Dauphine. Lettre de M. Pilot à M. Ollivier sur le même sujet, dans la Revue du Dauphine, tome I, page 225; tome II, page 137. (N. du D.)

paradoxales, et dans quel inextricable labyrinthe d'argumens spécieux, de bizarres systèmes, de polémiques passionnées, d'opinions tranchantes, de généralités ambitieuses, ils enferment souvent cette pauvre vérité; comme ils s'en éloignent avec ardeur, en fermant les oreilles à sa voix, qui les appelle d'un tout autre côté. Avec la science dépensée en paradoxes, on aurait bien plus que doublé la somme des vérités, de celles du moins que la science peut conquérir; car le simple bon sens et d'heureuses chances d'observations sont les meilleurs fournisseurs de vérités. Reste à savoir si l'erreur tenace de la polémique n'a pas une part légitime à réclamer dans le résultat obtenu, eu égard au stimulant dont elle féconde les opinions adverses. Ce rôle même peut ne pas être considéré comme négatif, lorsqu'il s'agit d'éclaircir des faits lointains, obscurcis par la nuit des siècles. Jusqu'à leur complet éclaircissement, on peut long-temps, même avec l'expérience du terrain historique, prendre une lueur fausse pour le flambeau du vrai, et s'écarter de celui-ci à chaque pas davantage. L'erreur alors mérite beaucoup d'égards; il n'est même permis de la qualifier d'erreur qu'après l'avoir soumise à toute l'attention d'un mûr examen contradictoire. Reconnue telle, elle reste honorable, sa part est marquée dans la conquête de cette vérité qu'elle semble avoir combattue.

N'hésitons pas à dire, après cela, que telle nous semble la marche suivie par M. J.-J. Pilot dans sa Lettre à M. Ollivier sur l'occupation de Grenoble et du Graisivaudan par une nation païenne désignée sous le nom de Sarrazins. Si, en opposition aux conclusions de cette savante brochure, nous croyons pouvoir établir ici, avec ce qui nous paraît l'évidence, que ces païens de nos vieux auteurs étaient bien effectivement les Sarrazins, et marquer même, à fort peu de temps près, la durée de cette occupation, les circonstances dont elle fut, sinon accompagnée, du moins précédée et suivie; c'est que les argumens qui semblaient s'élever contre cet événement, tout-à-fait incertain avant le docte travail de

M. Reinaud', ont sans doute fourni tout ce qu'ils pouvaient fournir entre les mains d'un homme habile et instruit comme est l'auteur de cette Lettre. Ils permettent donc à la critique de se prononcer aujourd'hui sur cette question et de la tenir pour complétement développée.

Le fait de l'occupation de Grenoble par les Sarrazins au Xe siècle se présente comme flanqué, en quelque sorte, de deux opinions extrêmes. L'une était que les Sarrazins n'avaient pas cessé de posséder une partie du diocèse de Grenoble pendant plus de deux siècles, c'est-à-dire depuis Charles-Martel, au premier quart du VIIIe siècle, jusque dans la seconde moitié du Xo. Cette opinion paraît avoir été celle des traditions populaires; et tout en reconnaissant son inexactitude, nous remarquerons qu'un dernier chapitre de la Chronique de Turpin, resté inédit jusqu'à cette année, où il vient d'être publié par M. Paulin Paris, de l'Institut, dans le second volume des Grandes Chroniques de France 2, raconte la prise de Grenoble sur les Sarrazins par Roland : « Mais » pour bon exemple donner aux roys et aux princes qui guerre » ont à mener contre les ennemis de la cretienté, ne doit-on » ci oublier une merveilleuse adventure qui advint à Rollant au » temps qu'il vivoit, avant qu'il entrast en Espaigne. Il advint qu'il assist à grand ost une cité qui avait nom Garnopole; sept >> ans entiers dura le siege. >>

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Le récit est en effet si merveilleux, qu'il aura pu le paraître trop aux éditeurs précédens, moins respectueux pour leur texte que le jeune savant à qui nous devons cette dernière édition. Toujours ce récit prouve-t-il qu'au XI° siècle, où a été composée

1 Invasions des Sarrazins en France, et de France en Savoie, en Piémont et danş ta Suisse, pendant les VIII, IX et X siècles de notre ère, d'après les auteurs chrétiens et mahometans, par M. REINAUD, membre de l'Institut, etc. Paris, veuve Dondey-Dupré, 1836, in-8°.

2 Paris, Techener, in-42, page 288 et suiv.

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