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mérite que l'on voulait avoir, du génie dont on se croyait doué, mais point du tout d'un talent acquis et réel que l'on possédât.

Or, j'observe que, de nos jours, outre les vivants déjà nommés ci-dessus, MM. de La Mennais, de Lamartine, Casimir Delavigne, Victor Hugo, P. Mérimée, Sainte-Beuve, Alfred de Vigny, Robert, Schnetz, P. Delaroche, H. Vernet, Champmartin, E. Delacroix, les frères Johannot, et quelques autres, se rasent.

Porter la barbe longue quand tout le monde se rase n'est donc pas, comme quelques personnes le croient aujourd'hui, un moyen infaillible de devenir naïf, original; d'avoir un talent vrai, fort ou poétique, et de donner une direction nouvelle et heureuse aux lettres et aux arts: cela indique tout simplement que l'on désire avoir ces qualités, ce mérite, et assez souvent que l'on croit les posséder.

Dans tous les pays et chez tous les peuples, la barbe, portée par des hommes isolés au milieu d'une population imberbe, a toujours été la preuve non équivoque d'une prétention de leur part à restaurer, à régénérer quelques vieux usages ou des goûts anciens que le temps avait usés. Depuis qu'Octavien-Auguste avait pris pour lui et donné à la haute société de Rome l'habitude de se raser chaque jour, tous les mar

chands de philosophie, tous les gens qui colportaient de la rhétorique et des vers dans cette ville, ainsi que ces petits républicains entêtés et hargneux qui, sous les empereurs, parodièrent Caton l'ancien et Régulus, se teignaient la figure de cumin, afin d'être bien jaunes, et portaient le bâton, la barbe et des poignards, pour avoir l'air d'être plus vertueux et meilleurs citoyens que les autres.

Les folies des hommes changent de formes; au fond ce sont toujours les mêmes.

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LA CHANSON

ET LES SOCIÉTÉS CHANTANTES.

Sans chanter peut-on vivre un jour?

(Mélomanie.)

Tout finit par des chansons.

(BEAUMARCHAIS.)

Notre premier besoin est de rire et fronder. En France, on a toujours chanté, et l'on chantera toujours, parce que le caractère distinctif de la nation est la gaieté, qui va trop souvent jusqu'à l'insouciance.

La chanson rend meilleur; elle dispose à la

bonté, à l'indulgence; il est rare que l'homme qui chante pense à mal faire. Un magistrat, enlevé trop tôt au barreau et aux lettres, Frédéric Bourguignon, a dit, dans de fort jolis couplets :

Le penchant

Du chant

Jamais du méchant
N'a calmé l'insomnie;
Avec nos accords,

Le cri du remords

N'est pas en harmonie.

En traçant cet article, je n'ai pas la prétention de faire ce qu'on appelle une histoire raisonnée de la chanson; cela demanderait des développements et un travail qui ne pourraient trouver place dans ce livre.

Je laisse à des talents d'un ordre plus élevé, à des plumes plus exercées que la mienne, le soin de fouiller les vieilles chroniques, de prendre la chanson à son berceau; depuis le guerrier scalde qui s'écriait sur le champ de bataille : Corbeaux, voici votre pâture; nos ennemis sont morts: remerciez-moi, venez, voici votre pâture!... jusqu'aux soldats de la république, qui chantaient, pieds nus et mourant de faim: Veillons au salut de l'empire, sans se douter que l'empire allait bientôt dévorer la république.

Voulant ne m'occuper que de l'influence de

la chanson dans les temps modernes, je ne parlerai pas des anciens cantiques; le plus connu, comme le plus ridicule, est celui que le peuple chantait tous les ans à la fête de l'âne, car l'âne avait sa fête chez nous.

Je ne parlerai pas non plus d'Olivier Basselin, ce père du vaudeville. Je nommerai, pour mémoire seulement, Gauthier Garguille, comédien du treizième siècle; Guillaume Michel, audiencier à Paris; le Savoyard, qui chantait à la suite d'un marchand d'orviétan, et dont Boileau disait, en parlant des poésies de Neuf-Germain et de La Serre:

Et dans un coin relégués à l'écart,

Servir de second tome aux airs de Savoyard.

Je pourrais parler des fameux Noes Bourguignons, du sieur de La Monnaie, receveur des tailles de Dijon, ainsi que d'une foule de chansonniers de la même époque, et d'autres qui leur sont antérieurs.

De tout temps le peuple a été moqueur. N'était-il pas le même qu'aujourd'hui, quand il allait sous le balcon de ce Charles VII, que, par dérision, il appelait le roi de Bourges, et qu'il chantait à ce dauphin qui oubliait dans les bras d'Agnès Sorel que les Anglais étaient les maîtres

des deux tiers de la France:

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