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Quel jour, à-peu-près, me faudra-t-il revenir? »>

- «Oh! cela ne presse pas: le plus tard possible. »

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Six semaines environ après, Trois-Étoile s'arrêtant devant l'affiche du ... y lut le titre de l'une de ses pièces. Il retourna, tout essoufflé de joie, dans la rue du comité; Monsieur n'y était pas pour l'instant. Le soir, Trois-Etoile paya sa place au pour voir la première représentation de la pièce dont il avait au moins créé le titre. Deux scènes et quelques jolis petits mots exceptés, il reconnaît son œuvre tout entière. Il trépigne d'aise et d'enthousiasme à mesure que les applaudissements redoublent. On demande à grands cris l'auteur. Il espère qu'on va lui donner une part dans ce brillant succès. Vaine attente! On lève la toile entre deux salves de bravos; il n'est pas plus question de TroisÉtoile que s'il n'existait pas. Pauvre jeune homme, qui n'avais rencontré personne qui te peignis en un seul nom le comité de lecture du .......!

Il tira une autre pièce de son répertoire, la reconstruisit tout exprès sur le nez d'Odry, et la présenta aux Variétés. On lui fit entendre que le théâtre avait ses auteurs d'habitude, qu'il eût à lire leur nom sur l'affiche, et que, s'il tenait absolument à être joué, il pouvait aller chez ces

messieurs, qui ne manqueraient pas de lui accorder un septième de leurs droits sur l'ouvrage, s'il était vraiment bon. Il commençait à comprendre : il garda sa pièce. Il n'osait plus chercher un comité de lecture. Au Vaudeville, au défunt théâtre des Nouveautés, et ailleurs, ces comités ne furent ou ne sont que momeries, faites pour duper les enfants et rien de plus. Monopole! monopole! Heureux encore quand c'est celui du talent!

De toutes parts éconduit, l'infortuné TroisÉtoile n'osait pas même aborder les Funambules, quand, par un de ces beaux mouvements qui parfois jaillissent du désespoir, il songea au théâtre de madame. Saqui.

Madame Saqui n'est pas une divinité qui se fasse invisible comme certains directeurs des autres théâtres; elle n'est pas fière, madame Saqui; et quelquefois en robe scintillante de paillettes d'or, elle distribue elle-même les billets à la porte de son théâtre.

Elle était livrée à cette occupation, lorsque Trois-Étoile prit sur lui de l'aborder et de lui présenter humblement sa requête. Ici du moins on encouragea sa jeunesse, et lecture lui fut accordée.

Son mélodrame avait je ne sais quelle odeur du terroir pour lequel il était fait. Des gendar

mes; un adjoint au maire; une auberge isolée; un homme sombre et caverneux, qui semblait compter ses pas en méditant le crime; un campagnard bien niais dont l'unique affaire était de rire toujours; puis, en forme de bouquet, six coups de pistolet; le tout couronné d'un parricide et d'un triple suicide, pour dénoûment.

Trois-Étoile comparut donc devant madame Saqui. Elle l'écouta, gracieusement appuyée sur son balancier, comme l'amour sur son arc; et, quand on filait une entraînante tirade, l'acrobate présidente levait les yeux de telle sorte, que vous eussiez cru la voir exécuter son ascension sur le fil de fer. Elle était escortée de deux des artistes les plus distingués de sa troupe : de celui qui se tord les bras, pour se communiquer le feu sacré; et de cet autre qui se met le doigt dans l'oeil, à l'effet de larmoyer le pathétique.

La pièce fut reçue par acclamations, et, qui plus est, jouée sans procès et sans collaborateur imposé. Ce fut, dans cette soirée décisive, un tonnerre d'applaudissements à faillir briser les glaces qui ornent l'intérieur du théâtre; ce fut une ivresse! Les bruits de toutes sortes se croisaient du parterre au cintre, « Aie! Ti-Ti! ça te semble-t-y beau?» «Ça me suffoque, mon chéri, ça me suffoque. » C'était cela, et mille autres éloges non moins énergiques. Tout le

monde y trouvait son affaire, jusqu'au petit limonadier, qui résumait chaque acte par cette finale adoucissante : « Mon dernier bâton de sucre d'orge à la fleur d'orange, un sou!

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En un mot, ce fut un succès complet, et qui, durant deux mois entiers, mit en émoi les faubourgs Saint-Antoine et du Temple.

Le petit Lazary, les Funambules, ces éternels rivaux du théâtre Saqui, supplièrent l'auteur de leur faire des pièces; mais, comme il s'y refusait par reconnaissance pour sa bienfaitrice, on députa vers lui le célèbre Debureau, avec ses yeux bordés de rouge et sa face enfarinée. Il céda mais ceci n'est plus de mon sujet.

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Le cercle de ses connaissances s'agrandissait. Il eut pour amie une dame, qui lui offrit la protection de son fils, âgé de neuf ans, auprès de M. Comte, le physicien directeur du théâtre dés jeunes artistes. Trois-Étoile accepta, et l'enfant protecteur le présenta à M. Comte. Mais, ô démence! ô folie du siècle! ici encore il y avait monopole. Cependant, grâce à l'imposant appui du jeune élève, il obtint une lecture. Les plus intelligents d'entre les enfants furent convoqués. Plusieurs manquèrent à l'appel parce qu'ils avaient eu, la veille, une indisposition de bonbons. Un auteur destiné peut-être à un haut avenir littéraire,

et dont la réputation est sortie du passage Choiseul, il y a peu de temps encore, assistait à cette lecture, et paraissait, à la déférence que lui témoignait le directeur, être l'arbitre suprême du lieu. M. Comte suivait ses mouvements de tous ses yeux, et, de temps à autre, il lui glissait dans l'oreille un mot, auquel on ne répondait que par un signe affirmatif ou négatif. La pièce lue, le jeune arbitre fut pris à part, et, après une courte explication, le directeur se retournant vers Trois-Étoile, lui dit, avec bienveillance, de revenir le lendemain. Le fait est que, de ce moment, la pièce était admise. Mais il importait de savoir si l'auteur avait la prétention d'imposer son nom à l'affiche du théâtre Choiseul.

Trois-Étoile ne fit qu'un bond du passage Choiseul au théâtre de la Gaîté, pour lequel il avait préparé un drame bien triste et bien noir. Il prenait confiance dans sa naissante réputa

tion.

Le directeur de la Gaîté, qui, je crois, est acteur en même temps, a bien quelque chose de ses confrères de province: mais il n'en vaut pas moins pour cela. Je n'en veux d'autre preuve que les égards tout particuliers avec lesquels il semble recevoir les hommes de lettres, connus ou inconnus, qui se présentent à lui. Il ne refuse

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