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OU

LE LIVRE

DES CENT-ET-UN.

DU COSTUME PARISIEN,

ET DE SON AVENIR.

Je me suis souvent étonné que, dans le plan tout spécial du livre des Cent-et-un, personne n'ait encore abordé le sujet éminemment parisien de la Mode. Cette puissance, naguère encore absolue, aurait-elle succombé comme tant d'autres puissances, et ne resterait-il chez nous, à la mode, d'autre privilége que celui de donner

PARIS. VII.

I

son nom à un journal de l'ancien régime? Oh! alors, qui ne se garderait de remuer cette cendre refroidie? qui ne renoncerait à la prétention d'auteur original devant la crainte de passer pour un plagiaire de Mercier ou de Sainte-Foix? Il n'en est rien pourtant. La frivolité, compagne obligée de la mode, n'a pas abdiqué son rôle de souveraine : nous continuons d'être frivoles en révolutions, en discussions, en émeutes, comme en tout le reste: nous n'avons de plus qu'autrefois qu'un singulier avantage, celui de profaner un plus grand nombre d'idées sérieuses. Mais, quelle que soit la direction de notre esprit, le fond n'en change pas : le livre des Cent-et-un, qui peint sous des couleurs si diverses, et avec des contradictions si amusantes, nos passions, nos répugnances, toute notre vie actuelle, le livre des Cent-et-un est un monument précieux dans lequel la postérité (si postérité il y a) cherchera surtout quelles étaient, après la révolution de 1830, les modes de Paris, en politique, en croyances, comme on cherche ailleurs la façon des robes et des habits d'une époque.

Si donc on ne peut nier que nous ayons gardé nos habitudes de légèreté en matières sérieuses, on me pardonnera peut-être de traiter avec quelque sérieux un sujet sur lequel chacun ne pense guère plus loin que la pensée de

son tailleur. C'est notre défaut à nous autres, qui avons prodigieusement doctrinalisé sous la restauration, qui avons tout prévu, tout calculé, tout systématisé dans nos écrits, sauf la nature humaine, et ses éternelles passions. Battus dans toutes les rencontres, chassés de poste en poste, par nos amis de la veille, par ceux même qui trouvaient hier notre prose plus lucide et nos principes de meilleur aloi, nous avons renoncé à la politique, aux arts, à la littérature même : qu'on nous laisse au moins, pour fiche de consolation, de parler en toute sûreté doctrine sur quelque sujet, sur la mode, par exemple.

Chose étrange, pourtant! Grimod de la Reynière, et mon respectable parent, Brillat - Savarin, ont fondé les doctrines de la cuisine! Il est de bon goût, dans le monde, de passer pour doctrinaire en gastronomie: on proclame et reproclame, malgré la proscription du mot, la doctrine de Ch. Fourier et celle de Saint-Simon; et nous n'avons pas encore les doctrinaires de la toilette rendons à la société le nouveau service de lui révéler une de ses forces: montronslui les richesses philosophiques qu'elle possède dans son sein, sans qu'elle s'en doute et puis nous nous inscrirons d'office au nombre des bienfaiteurs de l'humanité.

Nous disions autrefois : la littérature est l'ex

pression de la société ; mais l'axiome s'est bien usé depuis. Ce que je serais tenté de dire, pour renouveler la phrase, c'est que tout est l'expression de tout cette formule a l'avantage d'être à-la-fois moins claire et plus vraie; ce qui nous satisfait parfaitement, nous autres. Ainsi donc, le costume sera une de nos expressions, aussi bonne, aussi complète que tout autre. Mais la doctrine ne s'en tient pas là: elle prophétise le costume, aussi bien et mieux que le reste: pour cela, nous possédons une méthode à peu près infaillible: le lecteur me pardonnera, en faveur de l'importance de la découverte, les longueurs du prospectus.

Le siècle de Louis XIV, comme chacun sait, a renouvelé le costume en France; pour ne parler maintenant que des hommes, ce qu'il y a au monde de plus moderne parmi les choses modernes, le vêtement le plus antipathique à la nature, à l'antiquité, à tous les siècles et à tous les lieux, hors le dix-septième siècle et la France, l'habit français est sorti tout brandi de cette époque; et l'Europe, alors plus réellement soumise qu'il y a vingt ans, adopta tout aussitôt cette pompeuse extravagance: en 1670, l'habit français était d'un ton clair, et décoré d'une assez élégante broderie; en 1710, ce n'était plus qu'un cilice de couleur sombre, et bordé d'une espèce

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