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LES THÉATRES DE SOCIÉTÉ.

Parmi tous les amusements que multipliait la prospérité dont nous jouissions avant la révolution de 1830, la comédie de société occupait le premier rang. Les concerts et les bals pâlissaient devant une soirée dramatique, et les mots On fera de la musique, ou bien On dansera, n'avaient pas, sur une invitation, l'attrait puissant de cette courte et modeste annonce : On jouera des proverbes. Il n'était pas de prières, pas de

démarches, pas de ruses dont on ne se servît pour être invité. On se réconciliait avec un ennemi, on donnait la main à un homme de police, on écoutait sans bâiller un député du centre aucun sacrifice ne coûtait si l'heureux billet devait en être le prix. C'était alors un billet de spectacle qui éveillait la concurrence: c'est aujourd'hui un billet d'hôpital. Comme tout a changé !

Ce n'était pas seulement dans les vastes galeries du faubourg Saint-Germain, et dans les riches salons de la Chaussée-d'Antin, que s'élevaient ces théâtres improvisés : le simple atelier de l'artisan s'embellissait parfois du double rang de paravents et de la rampe de chandelles: aucun plaisir n'était interdit à la classe ouvrière, qui trouvait dans le travail de la veille les amusements du lendemain. Il m'est arrivé d'assister, dans un grenier, à la représentation de Zaïre et du Dîner de Madelon. Zaïre était une jeune et jolie blanchisseuse qui savait mal son rôle, ce qui donna lieu à un plaisant de dire qu'elle aurait dû le repasser; mais, comme à chaque instant elle essuyait ses yeux avec un beau mouchoir brodé, je fus convaincu de son extrême sensibilité; et, quand elle tomba morte sous le poignard d'Orosmane, je fus édifié de voir avec quelle décence elle s'occupa de cacher au public

la jarretière que le mouvement de sa chute avait mise à découvert. Je ne dirai rien du jeu de l'Orosmane: on peut s'en faire une idée maintenant au Théâtre-Français : mais je n'ai point oublié avec quelle présence d'esprit il se jeta, après s'être frappé, sur la malheureuse Zaïre, de manière à l'embrasser à plusieurs reprises. Tous les spectateurs applaudirent; et on persuada à la mère de Zaïre, qui ne savait pas lire, que c'était écrit dans le rôle. Le Dîner de Madelon ne fut pas moins remarquable par la dignité que la cuisinière mit dans son ròle. Elle eût joué Cléopâtre, Athalie, avec les mêmes gestes, le même accent, et les mêmes attitudes; et, lorsqu'elle s'assit à la table de son maître, elle déploya toute la grâce et toute la noblesse de Sémiramis montant sur son trône. Cette Madelon était pourtant une cuisinière; mais une cuisinière sur un théâtre ne doit pas ressembler à une cuisinière dans sa cuisine aussi ses grands airs de princesse eurent-ils beaucoup de succès. Cette bizarre représentation, qui m'amusa beaucoup, m'a convaincu que le mérite le moins apprécié dans un acteur par un public peu éclairé, c'est le naturel. La dame de province qui se plaint de ce que mademoiselle Mars joue sur le théâtre comme si elle était dans sa chambre, m'aide à comprendre le public de nos boulevarts. Je me rends compte

de son engouement pour des pièces où l'exagération du style répond à l'invraisemblance des situations, et pour des comédiens qui joignent à la fausseté d'une déclamation emphatique le ridicule d'attitudes forcées et de contorsions bizarres. Le naturel n'est senti que par les gens de goût; et c'est l'art seul qui le donne.

Ce naturel, qu'on ne trouve jamais chez les acteurs qui s'exercent sur les planches d'un grenier, ne se rencontre même que bien rarement parmi les comédiens qui se montrent dans un salon. Ce n'est pas que l'intelligence, l'esprit et le goût leur manquent; mais la plupart ont le tort de chercher leur talent dans le talent d'un comé

dien de profession. Ils apprennent des gestes, ils

étudient des intonations; et comme ces gestes et ces intonations ne sont pas les leurs, mais ceux d'un maître, il en résulte qu'ils deviennent nécessairement de mauvaises copies souvent même d'un mauvais original. Les conseils d'un comédien sont utiles pour la mise en scène, mais non pour l'art de dire. Si vous n'avez pas en vousmême la faculté d'exprimer nettement ce que vous sentez, si votre organe se refuse à peindre les émotions de votre âme, si vos regards ne s'animent pas du feu de vos paroles, et si vos traits restent immobiles dans le trouble des passions, croyez-moi, ne jouez jamais la comédie,

et n'espérez pas que les meilleures leçons puissent suppléer à ce qui vous manque. Permettezmoi de vous dire, en parodiant le Misanthrope:

Et n'allez pas quitter, de quoi que l'on vous somme,
Le nom que, dans la cour, vous avez d'honnête homme,
Pour prendre, des leçons d'un pauvre professeur,
Celui de ridicule et misérable acteur.

Il n'y a ni honte ni malheur à ne pas jouer la comédie; mais comme il y a toujours un peu de ridicule à la mal jouer, beaucoup de gens de-. vraient s'abstenir, qui ne s'abstiennent pas. D'où vient? C'est que rien n'est plus amusant.

Que, dans une société où la langueur et l'ennui commencent à s'introduire, une voix s'élève tout-à-coup et dise: Jouons la comédie! voyez soudain comme toutes les figures s'animent, comme toutes les ambitions s'éveillent, comme tous les amours-propres surgissent. Mais qui jouera? Personne n'ose encore se proposer. Une jeune dame s'écrie: J'aurais trop peur... Ce mot suffit pour prouver qu'elle veut qu'on la rassure... et pendant qu'on s'efforce de dissiper la. frayeur qu'elle n'a pas, la maîtresse du logis va chercher dans un coin un jeune homme auquel personne ne prend garde. Il a fait le quart d'un vaudeville.... cela suffit, c'est un auteur, et on le proclame directeur de la troupe..... Voyez alors.

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