Page images
PDF
EPUB

LA

GAGEURE IMPRÉVUE,

COMÉDIE.

SCÈNE I.

GOTTE, seule.

Nous nous plaignons, nous autres domestiques, et nous avons tort. Il est vrai que nous avons à souffrir des caprices, dcs humeurs, des brusqueries, souvent des querelles dont nous ne devinons pas la cause; mais, au moins, si cela fâche, cela désennuie. Eh! l'ennui!.... l'ennui!.... ah! c'est une terrible chose que l'ennui.... Si cela dure encore deux heures, ma maîtresse en mourra. Mais, pour une femme d'esprit, n'avoir pas l'esprit de s'amuser, cela m'étonne. C'est peut-être que, plus on a d'esprit, moins on a de ressources pour se désennuyer. Vivent les sots pour s'amuser de tout! Ah! la voilà qui quitte enfin son balcon.

SCÈNE II.

GOTTE, LA MARQUISE

GOTTE.

MADAME a-t-elle vu passer bien du monde ?

LA MARQUISE

Oui, des gens bien mouillés, des voituriers, des pauvres gens qui font pitié. Voilà une journée d'une tristesse.... La pluie est encore augmentée.

GOTTE.

Je ne sais si madame s'ennuie; mais je vous assure que moi.... De ce temps-là, on est toute je ne sais comment.

LA MARQUISE.

Il m'est venu l'idée la plus folle.... S'il étoit passé sur le grand chemin quelqu'un qui eût eu figure humaine, je l'aurois fait appeler pour me tenir compagnie.

[ocr errors]

GOTTE.

Il n'est point de cavalier qui n'en eût été bien

aise. Mais, madame, monsieur le marquis n'aura

pas lieu d'être satisfait de sa chasse.

[merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small]

Hier au soir vous lui avez conseillé d'y aller.

LA MARQUISE.

'Il en mouroit d'envie, et j'attendois des visites. La comtesse de Wordacle....

[blocks in formation]

Je badine, je ne hais personne. Donnez-moi ce livre. (Elle prend le livre.) Ah! de la morale; je ne lirai pas. Si mon clavecin.... Je vous avois dit de faire arranger mon clavecin; mais vous ne songez à rien : s'il étoit accordé, j'en toucherois.

GOTTE.

Il l'est, madame, le facteur est venu ce matin.
LA MARQUISE.

J'en jouerai ce soir, cela amusera monsieur de Clainville.... Je vais broder.... Non, approchez une table, je veux écrire. Ah dieu!

GOTTE, approchant une table.

La voilà.

LA MARQUISE se met à table, rêve, regarde des plumes, et les jette.

Ah! pas une seule plume en état d'écrire.

GOTTE.

En voici de toutes neuves.

LA MARQUISE.

Pensez-vous que je ne les voie pas?... Faites donc fermer cette fenêtre.... non, je vais m'y remettre, laissez. (La marquise va se remettre à la fenétre.)

GOTTE, à part.

Ah! de l'humeur, c'est un peu trop. Voilà donc de la morale, de la morale. Il faut que je lise cela pour savoir ce que c'est que de la morale. (Elle lit.) Essai sur l'homme. Voilà une singulière morale. Il faut que je lise cela. (Elle remet le livre.)

[blocks in formation]

Sonne quelqu'un. Cela sera plaisant... Ah! c'est un peu.... Il faut que ma réputation soit aussi bien établie qu'elle l'est pour risquer cette plaisanterie.

SCÈNE III.

LA MARQUISE, GOTTE, UN LAQUAIS.

LA MARQUISE, au laquais.

vous ver

ALLEZ vite à la petite porte du parc; rez passer un officier qui a un surtout bleu, un chapeau bordé d'argent. Vous lui direz: Monsieur, une dame que vous venez de saluer, vous prie de vouloir bien vous arrêter un instant. Vous le ferez entrer par les basses cours. S'il vous demande mon nom, vous lui̟ direz que c'est madame la comtesse de Wordacle..

LE LAQUAIS.

Madame la comtesse de Wordacle?

LA MARQUISE.

Oui, courez vite.

SCÈNE IV.

LA MARQUISE, GOTTE.

GOTTE.

MADAME la comtesse de Wordacle?

LA MARQUISE.

Oui.

GOTTE.

Cette comtesse si vieille, si laide, si bossue?

LA MARQUISE.

Oui, cela sera très singulier. Partout où mon officier en fera le portrait, on se moquera de lui.

[blocks in formation]

commun : il aura dit un nom pour un autre.

GOTTE.

Mais, madame, avez-vous pensé?...

« PreviousContinue »