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on se divertit à dire: «Par simplicité, je prends la meilleure place; par simplicité je vais me louer; par simplicité, je veux ce qu'il y a de plus loin de moi sur la table.»> En vérité, c'est se jouer de tout, et tourner en raillerie ce qu'il y a de plus sérieux. Il faut encore défaire nos filles 5 de ce tour d'esprit railleur que je leur ai donné, et que je connais présentement très opposé à la simplicité; c'est un raffinement de l'orgueil, qui dit par ce tour de raillerie ce qu'il n'oserait dire sérieusement. Mais, encore une fois, ne leur parlez ni sur l'orgueil, ni sur la raillerie; il 10 faut la détruire sans la combattre, et par ne s'en plus servir; leurs confesseurs leur parleront de l'humilité, et beaucoup mieux que nous; ne les prêchons plus, et essayez de ce silence qu'il y a si longtemps que je vous demande; il aura de meilleurs effets que toutes nos paroles. 15 Je suis bien aise que M1le de *** se soit enfin humiliée; louons-en Dieu, et ne la louons point; c'est encore une de nos fautes de les trop louer. N'irritez point leur orgueil par de trop fréquentes corrections; mais, quand vous aurez été obligée d'en faire quelqu'une, ne les ad- 20 mirez pas de les avoir bien prises.

Quant à vous, ma chère fille, je connais vos intentions; vous n'avez, ce me semble, nul tort particulier en tout ceci; il n'est que trop vrai que le plus grand mal vient de moi; mais prenez garde, comme les autres, de n'avoir pas 25 votre part dans cet orgueil si bien établi partout qu'on ne le sent presque plus. Nous avons voulu éviter les petitesses de certains couvents, et Dieu nous punit de cette hauteur; il n'y a point de maison au monde qui ait plus besoin d'humilité extérieure et intérieure que la 30 nôtre: sa situation près de la cour, sa grandeur, sa richesse, sa noblesse, l'air de faveur qu'on y respire, les caresses

d'un grand roi, les soins d'une personne en crédit,1 l'exemple de la vanité et de toutes les manières du monde qu'elle vous donne malgré elle, par la force de l'habitude, tous ces pièges si dangereux nous doivent faire 5 prendre des mesures toutes contraires à celles que nous avons prises.

il vous

Bénissons Dieu de nous avoir ouvert les yeux; inspire la piété, elle augmente tous les jours chez vous; établissons-la solidement. Ne soyons point honteuses 10 de nous rétracter, changeons nos manières d'agir et de parler, et demandons instamment à Dieu qu'il change le fond de nos cœurs, qu'il ôte de notre maison cet esprit d'élévation, de raillerie, de subtilité, de curiosité, de liberté de juger et de dire son avis sur tout, de se 15 mêler des charges les unes des autres, au hasard de blesser la charité; qu'il ôte cette délicatesse, cette impatience des moindres incommodités; le silence et l'humilité en seront les meilleurs moyens. Faites part de ma lettre à notre mère supérieure; il faut que tout soit commun

20 entre nous...

2. Sur la journée d'une enfant raisonnable et l'habitude de la règle

(Instruction à la classe rouge, 1701)

Mme de Maintenon demanda à Mlle de Provieuse2 si elle savait ce que c'était qu'une fille raisonnable. La demoiselle ne sachant pas trop que répondre à cette question, Mme de Maintenon lui dit: «Une personne rai25 sonnable, c'est une personne qui fait toujours et à chaque heure du jour ce qu'elle doit faire, qui commence la jour

1 Mme de Maintenon elle-même.

2 Une des élèves; des fillettes de 7 à 10 ans.

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née par adorer Dieu de tout son cœur, non pas seulement parce qu'on lui a dit de le faire, ou parce que les autres le font, mais qui pense tout de bon à s'offrir à Dieu et tout ce qu'elle sera pendant le jour. Elle se lève promptement, s'habille avec diligence, modestie, et le 5 plus proprement qu'elle peut; fait bien son lit, arrange bien ses hardes, aide aux plus petites, si elle a du temps de reste. Elle descend à la classe, y prie Dieu avec respect et avec dévotion, sans badiner, sans rire, car rien n'est plus sérieux que de prier Dieu. Après cela elle dé- 10 jeûne aussi de tout son cœur; s'il est permis de parler, elle le fait; sinon elle garde le silence et s'entretient avec Dieu. Elle va au choeur pour entendre la messe; elle pense à se bien placer, elle regarde si ses compagnes ont de la place; elle se met vis-à-vis d'elles; elle ne regarde 15 point de tous côtés pour voir ceux qui entrent ou qui sortent; elle s'applique aux parties de la messe avec tout le respect et la dévotion dont elle est capable, parce que de toutes les choses de la religion, c'est la plus sainte. Elle retourne à la classe, où elle s'occupe à ce qui est marqué; 20 elle s'applique à bien apprendre à lire, à écrire; si elle est capable de montrer aux autres, elle s'y donne tout entière, comme si sa vie en dépendait; elle écoute avec attention et respect, tâche de comprendre ce que l'on dit et d'en tirer quelque profit pour sa conduite intérieure ou 25 extérieure, selon la matière dont on parle. Avant d'aller dîner, elle fait son examen particulier, pour voir en quoi elle peut avoir déplu à Dieu dans la matinée, pour lui en demander pardon, et prendre résolution de mieux faire le reste du jour; elle regarde surtout si elle n'est tombée 30 en rien dans le principal défaut dont elle a entrepris de se défaire. Voilà notre personne raisonnable au réfec

toire; qu'y fait-elle? Elle y mange de bon appétit; point en gourmande, la tête sur son assiette, mais de bonne. grâce et proprement; et puisque Dieu a bien voulu qu'on trouvât du plaisir dans le manger, elle le prend sans scru5 pule et avec simplicité. Elle écoute la lecture avec encore plus de plaisir, et c'est sa principale attention; elle fait la récréation d'aussi bon cœur que le reste, y apporte la joie, saute, danse, et joue volontiers à tout ce que les autres désirent; elle pense à les réjouir, car cette personne Io raisonnable fait bien tout ce qu'elle fait, et il ne serait pas raisonnable d'être sérieuse à la récréation, et de n'y vouloir jamais parler que de choses graves ou de dévotion. Elle écoute ensuite la lecture ou l'instruction, tâche de la retenir, et demande ce qu'elle n'entend pas; elle apporte 15 la même application aux exercices de l'après-midi qu'elle a fait à ceux du matin; elle travaille de son mieux, elle ne perd pas un moment de temps, elle chante avec les autres, et est ravie de chanter les louanges de Dieu; elle écoute le catéchisme sans ennui, tâchant de s'en bien instruire. 20 Elle va souper comme elle a dîné, et ensuite à la récréation, où il faut encore bien sauter, se promener, jouer et 'rire, car cette personne est fort gaie.

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Elle fait la prière et l'examen, et s'ira coucher parfaitement contente de sa journée.»>

3. Sur la mauvaise gloire

(Instruction à la classe jaune, 1701)

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[Les frivolités et les bizarreries de la classe jaune — 14-16 ans inquiétèrent particulièrement Mme de Maintenon.]

Il y a longtemps que je vous parle de cet orgueil mal placé que je tâche de détruire à Saint-Cyr, et cependant

je l'y trouve encore. Je ne saurais comprendre ce qu'a fait une de vous. On l'envoie balayer, et, parce qu'on lui marque ce qu'elle doit faire, elle s'en choque et dit: «Une servante ne doit pas me commander; c'est à nous de faire ce que nous voulons.» Peut-on voir une telle in- 5 solence? Quoi! parce qu'on vous dit: «Vous balayerez là,» ou: «Vous ferez cela,» vous êtes choquée! Mais moi, si on m'envoyait aider une servante, la première chose que je ferais serait de demander ce qu'elle veut que je fasse, car certainement je ne saurais par où commencer. 10 Il faut qu'il y ait bien du travers dans votre tête. Et où en serions-nous, si c'était un affront de s'instruire de gens au-dessous de soi? On le fait tous les jours, et personne ne s'avise de s'en croire déshonoré.

On dit à une autre de porter du bois et de balayer; elle 15 répond qu'elle n'est pas une servante. Non certainement, vous ne l'êtes pas; mais je souhaite qu'au sortir d'ici vous trouviez une chambre à balayer; vous serez trop heureuse, et vous saurez alors que d'autres que des servantes balayent. Je me souviens qu'allant un jour chez Mme de 20 Montchevreuil qui attendait compagnie, elle avait bien envie que sa chambre fût propre, et ne pouvait pas la nettoyer elle-même parce qu'elle était malade, ni la faire faire par ses gens, qu'elle n'avait pas alors; je me mis à frotter de toutes mes forces pour la rendre nette, et je ne 25 trouvais point cela au-dessous de moi. J'aurais beau frotter votre plancher, aller quérir du bois ou laver la vaisselle, je ne me croirais point rabaissée pour cela. Que tout le monde vienne à Saint-Cyr, et qu'on vous trouve toutes le balai à la main, on ne le trouvera pas étrange et 30 cela ne vous déshonorera pas. Nous sommes toutes nées demoiselles mais pauvres demoiselles, et comme dit

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